GAP, financement, innovation… Les solutions pour une première ligne en santé

«La première ligne doit faire une chose: rester forte», a proclamé le ministre de la Santé Christian Dubé lors de son discours d’introduction de l’événement Première ligne en santé (PLS), qui s’est tenu au Palais des congrès de Montréal les 2 et 3 mai derniers. Sur ce point, l’ensemble des acteurs présents étaient d’accord, et plusieurs pistes de réflexion ont été avancées.À commencer par la nécessité de faire évoluer le guichet d’accès à la première ligne (GAP), une volonté chère au ministre de la Santé. «Le GAP était un instrument pour adresser la pertinence des soins, un point d’accès pour adresser le manque d’accès aux médecins de famille avec une demande croissante. Mais il y a aujourd’hui moitié moins de médecins accessibles pour la première ligne», regrette pourtant son instigateur, le médecin de famille Éric Lavoie, chef du Département régional de médecine générale du CISSS du Bas-Saint-Laurent, qui appelle au décloisonnement du réseau de première ligne. «Il y a par exemple un nombre limité de physiothérapeutes, mais 12% des demandes les concernent. Donc il faut aller les chercher et faire de l'aiguillage préalable.»Et surtout, ne pas pérenniser le GAP qui reste une béquille pour un système de santé en souffrance, martèle Mylaine Breton, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en gouvernance clinique des services de première ligne à l’Université de Sherbrooke. «Il faut une source régulière de soins avec un professionnel qui nous connaît, et donc revenir à une gouvernance locale avec une responsabilité territoriale, pour une offre de services qui réponde aux besoins prioritaires des gens sur place.» Un système encore trop hospitalocentréL’organisation de la première ligne en elle-même est aussi à repenser, affirme la présidente sortante de l’Association des infirmières praticiennes spécialisées du Québec et IPS en soins de première ligne, Christine Laliberté. «Dans notre équipe, il n’y a plus de hiérarchie, on aiguille le patient vers le bon professionnel même si on s’assure qu’une infirmière ou un médecin soit toujours présent en cas d’erreur d’aiguillage.» Pilote du projet Archimède, un nouveau modèle d’organisation des groupes de médecine de famille (GMF) basé sur l’interdisciplinarité, Christine Laliberté explique que malgré certaines résistances, le concept a fait ses preuves. «On est allé voir quelles étaient les principales raisons de consultation, et lesquelles étaient évitables. On utilise mieux nos ressources, on travaille ensemble pour se partager le suivi des patients. Il faut modifier les trajectoires de suivi pour aller dans la bonne direction professionnelle.» Elle appelle à faire confiance à tous les professionnels mais aussi aux organismes communautaires pour aller chercher des services complémentaires. À lire aussi: Prévention primaire: les pharmaciens doivent faire partie de l'équationCette nécessaire interdisciplinarité doit pourtant composer avec un système encore trop hospitalocentré, analyse Eva Villalba, directrice générale de Coalition priorité cancer au Québec et ambassadrice canadienne pour le Value-Based Health Care (VBHC) Center Europe. «Si je ne peux pas trouver de médecin de famille, je vais aller aux urgences, explique-t-elle. Mais si nous offrons de meilleurs soins à domicile, de meilleurs soins au niveau communautaire, et si le patient est en capacité de partager ses données avec de nombreux professionnels de santé, il y aura une vraie continuité des soins.» C’est justement ce qu’est venue plaider la ministre délégué à la Santé et responsable des Aînés, Sonia Bélanger, qui a annoncé travailler à une politique nationale de soutien à domicile, notamment avec la révision du rôle des centres locaux de services communautaires (CLSC). Ceux-ci proposeront, dès l’automne 2025, un accueil dédié aux personnes âgées de leurs territoires respectifs, en complément des mini-hôpitaux pour aînés, destinés à soulager les urgences hospitalières.Un mode de financement inadaptéMais tout cela a un coût, et le financement de la première ligne ne semble pour l’instant pas adapté à ses enjeux. La pyramide de financement de la première ligne est en réalité inversée, observe Eva Villalba. «Nous dépensons davantage en soins de courte durée pour des maladies graves, alors qu’il faudrait investir davantage dans la prévention, ce qui coûterait au final beaucoup moins cher.» Selon elle, le modèle de paiement à l’acte ne correspond pas à l’objectif d’accessibilité et de coordination de la première ligne, un système historiquement cloisonné. «Ce mode de financement décourage la constitution d’une équipe de soins. Ce n’est pas comme ça que les soins primaires devraient fonctionner. Pourquoi ne pas essayer le modèle américain basé sur la valeur, où toute l’équipe de soins reçoit une somme globale pour la prise en charge d’un patient? Cela permettrait d’accroître la proactivité de l’équipe, d’avoir moins d’hospitalisations et des gens en meilleure santé.» Sauf qu’un meilleur système de financement réclame des données pour en évaluer les faiblesses et y remédier, estime la directrice générale de Coalition priorité cancer au Québec. «Il est facile de faire l'autruche, de se mettre la tête dans le sable et de continuer à appliquer le statu quo, parce que nous ne savons pas combien coûtent réellement une réhospitalisation, des complications, des tests… ni combien nous pourrions sauver en investissant dans un dépistage efficace, de bons diagnostics... Je pense que la première étape pour un bon système de financement, ce sont les données de référence.» En résumé, avoir une meilleure idée du coût des soins pour en améliorer la qualité. De l'innovation, privée comme publiquePour rendre sa santé à la première ligne québécoise, le système peut compter sur ses professionnels, toujours plus innovants afin d’améliorer l’offre de soins, publique ou privée. Par exemple, la clinique UP d’urgences pédiatriques cofondée en 2018 par l’urgentologue Sasha Dubrovsky. Il s’agit du premier service d’urgences spécialisé en pédiatrie situé hors d’un hôpital et accessible dans un réseau de proximité. «On s’est dit dès le départ qu’on allait laisser l’égo des médecins à la porte. Tout a été fait pour qu’on travaille en équipe, sans hiérarchie, avec 50 médecins. Tout le monde contribue à ce système fait pour le patient.» Un système aujourd’hui transférable à la prise en charge des adultes, affirme-t-il. «On ne veut pas être une petite clinique privée mais être pleinement intégré dans le réseau en tant que solution régionale populationnelle.» À lire aussi: Un recul inexcusable dans l’accès aux soinsAutre exemple: la clinique mobile de services de proximité du CISSS de la Montérégie-Centre qui a repris la route le 8 avril dernier. Une équipe composée d'une infirmière et d'un paramédic offre gratuitement des soins de santé aux personnes vulnérables ou isolées de leur secteur territorial. La clinique mobile peut accueillir jusqu'à 20 patients par jour, d'avril à novembre. «Il s'agit de répondre à un besoin de santé aigu mais non urgent, précise Véronique Guimont, directrice de la direction services hospitaliers et services généraux de première ligne au CISSS. Le but est de permettre aux patients de créer une consommation de soins, en stabilisant la clinique à un endroit à un moment précis de la semaine.» Parmi les besoins pris en charge, les symptômes grippaux, le dépistage du streptocoque, la gastroentérite, la contraception ou encore les problèmes de tension et de diabète. Beaucoup de technologies ont été intégrées à cette clinique mobile pour éviter que les patients n'aient à se déplacer. Ordonnances collectives, liens avec les médecins à distance pour recréer une sorte de GAP mobile... Les «avancées technologiques sont primordiales»Le ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon, a aussi annoncé le lancement du nouveau programme Harfang pour améliorer l’accès aux soins en régions éloignées, porté par CTS (Catalyseur dédié aux technologies de la santé). Alors que près d’un Québécois sur cinq vit aujourd’hui dans une région éloignée, avec parfois un accès difficile voire inexistant aux soins de santé, les régions sont souvent négligées par les innovations technologiques en santé, selon Jean-Pierre Robert, président directeur général du CTS. En collaboration avec le Bureau de l’innovation en santé et services sociaux du ministère de la Santé, Harfang va donc évaluer les besoins particuliers des établissements de santé ciblés et proposer des projets pilotes, à visée permanente, en accord avec les enjeux spécifiques du territoire. Le premier projet pilote devrait voir le jour d’ici six mois. À lire aussi: L’inscription de patients, une légitimation et un outil d’évaluation pour les IPSL'innovation est une priorité pour le gouvernement et une direction incontournable pour les professionnels du système de la santé, explique la chercheuse Mylaine Breton: «Ces avancées technologiques sont primordiales. Il faut que l’information circule, et la technologie est déjà là. Toutes les cliniques ont des dossiers médicaux électroniques, qui sont des sources d'information extraordinaires; les professionnels veulent être accompagnés pour s’améliorer.» Mais il reste encore quelques silos à briser, selon Éric Lavoie: «Il faut combattre les relents de corporatisme qui voudraient recloisonner le système. Il faut que celui-ci donne aux gens l’occasion de se parler, et que l’offre de services permette une vue d’ensemble de la première ligne.» Et, surtout, il ne faut pas perdre de vue le plus important: les patients. «Le corporatisme est encore très présent, mais il ne faut pas oublier que les patients, ce sont nous, nos familles, nos proches. Notre système est épuisé, on a besoin de créer de l’engagement pour garder ce lien avec nos patients, et donc d’amener de la nouveauté dans le système», conclut Christine Laliberté.

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