Gains en capital: le gouvernement doit «corriger son erreur» selon l’AMC

La réforme du taux d’inclusion des gains en capital passera-t-elle l’hiver? L’Agence du Revenu du Canada a confirmé, la semaine dernière, qu’elle continuera d’appliquer le nouveau taux malgré la prorogation du Parlement annoncée par le Premier ministre démissionnaire Justin Trudeau le 6 janvier. Or, la mesure, d’abord évoquée dans le budget d’avril du gouvernement, a finalement fait l’objet d’un avis de motions de voies et moyens qui n’a jamais reçu la sanction royale suite au blocage du Parlement concernant le fonds pour les technologies vertes. Suite à la prorogation, qui efface tous les ordres du jour parlementaires, la motion va donc devoir attendre le retour du Parlement le 24 mars prochain pour être réintroduite. D’ici là, le nouveau taux d’inclusion des gains en capital, fixé à 66,67% au lieu de 50%, devrait donc continuer d’être appliqué. Il pourrait même rester en place jusqu’au printemps 2026 selon le ministre des Finances du Québec Éric Girard. Ce qui veut dire que les médecins ou les pharmaciens propriétaires qui ont déclenché un gain de capital de plus de 250 000$ après le 25 juin 2024 et possiblement jusqu’au 31 décembre 2025 devront composer avec un taux d’inclusion plus élevé.«Certains clients ont décidé de déclencher leur impôt dans la précipitation»«Ce qui se passe est une première, commente Me Stéphane Martin, avocat associé au cabinet Pharma Légal. On est dans l’expectative et on marche sur des œufs jusqu’à fin mars.» Le problème, c’est que la réforme, annoncée au printemps pour une entrée en vigueur le 25 juin 2024, a poussé des professionnels de la santé à accélérer des procédures, poursuit l’avocat. «Certaines personnes ont provoqué volontairement le gain en capital avant le 24 juin dans l’optique d’éviter le nouveau taux d’inclusion.» Une précipitation qui a pu engendrer de nombreux frais imprévus selon lui. «Certains de mes clients, dans l’appréhension de vendre rapidement leur entreprise, ont choisi de déclencher leur impôt plus tôt et doivent aujourd’hui se refinancer auprès des banques pour honorer leur facture fiscale. D’autres ont fait appel à des avocats fiscalistes, des notaires… Tout cela coûte de l’argent. Et, contrairement à l’acquisition d’une pharmacie ou de parts dans une société, ce cash-flow n’était pas budgété», souligne Me Martin. «Si la mesure n’est finalement pas adoptée, on aura l’impression d’avoir fait tout ça pour rien.»À lire aussi: Gain en capital: quelles conséquences pour les pharmaciens propriétaires?Un frein aux investissements des jeunes médecinsDu côté des médecins, les effets de cette réforme se font aussi ressentir sur l’appétit des jeunes professionnels à investir dans les cliniques médicales puisque la réforme impacte les gains en capital des sociétés à partir du 1er dollar, alerte l’Association médicale canadienne (AMC). «L’avenir des cliniques médicales nous inquiète, reconnaît ainsi le Dr Jean-Joseph Condé, représentant du Québec au conseil d’administration de l’AMC et son porte-parole francophone. Aujourd’hui, plus de 60% des soins de première ligne sont reçus dans des cliniques. Or, aucun jeune médecin n’est intéressé d’investir avec les nouvelles règles fiscales en vigueur. Et si les médecins arrêtent d’investir car c’est moins rentable, que va-t-il advenir de ces cliniques?»C’est pourquoi l’AMC réclame au gouvernement d’ordonner immédiatement à l’ARC d’arrêter de percevoir l’impôt sur les gains en capital des sociétés médicales professionnelles à un taux plus élevé. «Ce serait l’occasion pour le gouvernement de corriger l’erreur qu’il a faite en annonçant cette mesure, car personne n’avait perçu l'impact que cela aurait sur les sociétés professionnelles de médecins, argue le Dr Condé. On pensait s’attaquer à des multimillionnaires qui font du gain en capital important chaque année, alors que la mesure vient toucher de petites sociétés professionnelles.»Le porte-parole de l’AMC se questionne sur le bien-fondé d’une mesure qui pourrait être enterrée dans à peine trois mois. «Pourquoi donc pénaliser aujourd’hui les sociétés professionnelles des médecins, alors qu’on est en manque de médecins et d’infrastructures médicales? Aujourd’hui, il est plus avantageux pour un médecin ou un groupe de médecins d’acheter personnellement le duplex en face de la clinique médicale plutôt que d’investir dans une clinique médicale via leur société professionnelle.» Davantage que l’abrogation de la loi, l’AMC réclame donc que les sociétés médicales en soient exemptes.L'ARC pourrait s'exposer à des «poursuites et des actions collectives»Quoi qu’il en soit, les formulaires fiscaux incluant le nouveau taux devraient être édités à partir du 31 janvier. «Il va falloir se positionner, savoir si on déclare ou non avant le 24 mars, car l’ARC pourrait revenir sur sa décision ou émettre des lignes directrices, du moins c’est ce qu’on espère. Dans tous les cas, il faudra faire un choix avant le 30 avril, pour ne pas s’exposer à des pénalités ou des intérêts», conseille Me Stéphane Martin. «On est en période électorale, donc la décision sera purement politique», anticipe-t-il. D’autant que l’ARC pourrait contrevenir au processus démocratique, en appliquant une loi qui n’a pas reçu la sanction royale, ajoute le porte-parole de l’AMC, le Dr Condé: «L’agence du revenu était en droit d’appliquer la nouvelle mesure fiscale car il y avait un projet de loi sur la table. Mais avec la prorogation, ce projet de loi est tombé. Or, il paraît improbable, considérant la conjoncture politique actuelle, que cette mesure législative soit adoptée après le 24 mars.» L’Agence du revenu du Canada pourrait-elle s’exposer à des poursuites judiciaires? C’est en tout cas l’hypothèse émise par le professeur de droit à l’Université de Montréal et spécialiste du droit constitutionnel Stéphane Beaulac dans une lettre ouverte publiée dans La Presse. Selon lui, «si la loi n’est finalement pas adoptée en 2025, l’ARC pourrait donc faire face à bien plus que des demandes de remboursement. Des poursuites ou des actions collectives pourraient être intentées contre l’agence, et si une cour statuait qu’il y avait eu abus de pouvoir ou mauvaise foi, le tout pourrait coûter très cher.»

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