Fraude au DSQ par un étudiant: un «sentiment d’injustice» pour le pharmacien propriétaire Mathieu Roberge

Trois enquêtes du syndic de l’Ordre des pharmaciens (OPQ), plusieurs enquêtes de l’Unité permanente anticorruption (UPAC), des amendes de plusieurs milliers de dollars… L’affaire de la fraude au DSQ impliquant au moins un ancien étudiant en 4e année de pharmacie à l’Université de Montréal (UdeM) en pleine pandémie de COVID-19 étonne tant par son ampleur – près de 500 faux certificats de vaccination été émis pendant plusieurs mois par l’étudiant, parfois contre rémunération – que par le vide juridique qu’elle a mis en lumière. Afin de sensibiliser les pharmaciens propriétaires et salariés, Mathieu Roberge, copropriétaire de la pharmacieimpliquée dans cette affaire, témoigne pour Profession Santé.Profession Santé: Dans quel état d’esprit êtes-vous aujourd’hui?Mathieu Roberge: Il y a un sentiment d’injustice, tant que la vérité n’aura pas éclaté et qu’ils ne seront pas sous le coup d’accusations criminelles et de sanctions. Le préjudice que nous avons subi est immense. Et nous sommes les seuls à nous être fait taper sur les doigts. Mais nous voulons aussi tourner la page, car aujourd’hui, ça va mieux. On a le goût de passer à autre chose.Pour bien comprendre les faits, pourriez-vous nous situer le contexte dans lequel ils se sont déroulés?Pendant la pandémie, nous faisions beaucoup, beaucoup de vaccinations. Nous étions chanceux, car nous n’étions pas en manque de personnel, et notre système de prise en charge était bien rodé. Ça aidait beaucoup la population locale. Même le centre de vaccination nous envoyait des patients quand ils ne pouvaient pas les vacciner. Quand la fraude a débuté, aux mois de décembre et de janvier [NDLR, décembre 2021 et janvier 2022], on était au pic de la vaccination. C’est là que le gouvernement a demandé aux étudiants, aux vétérinaires et aux hygiénistes dentaires notamment, d’aller vacciner. Si vous n’aviez pas de problèmes de personnel, pourquoi avoir recruté ces deux étudiants stagiaires?Cela nous permettait d’ouvrir davantage de plages horaires de vaccination en fin de semaine. La semaine, nous avions un pharmacien dédié à temps complet. Mais la fin de semaine, c’était notre pharmacien en poste qui en faisait, peut-être une dizaine, pas plus. La demande était tellement grande que le fait de pouvoir compter sur des étudiants formés à la vaccination et autorisés à le faire était une aide précieuse. Pourquoi se sont-ils présentés à votre pharmacie selon vous?Je pense qu’au début, ils cherchaient à savoir comment fonctionnait un grand centre de vaccination, et puis aussi à se faire la main, à contribuer. C’est sûr que de poser des actes cliniques dans une pharmacie permet aux étudiants d’être plus à l’aise une fois qu’ils deviennent pharmaciens.Ces deux étudiants ont donc été placés sous la responsabilité de votre copropriétaire, Joseph Alexander Basa, et formés au protocole de vaccination…Les premières journées à la pharmacie, ils étaient toujours accompagnés d'un pharmacien, ils n’étaient pas livrés à eux-mêmes. On leur montrait comment accueillir les gens, comment fonctionnait notre protocole. Après ces premiers shifts, la confiance s’est développée et, au bout de quelques semaines, l’équipe a décidé qu’ils étaient aptes à prendre en charge eux-mêmes une partie de notre vaccination pendant la fin de semaine. Ils faisaient partie de l’équipe. On n’imaginait pas qu’ils pourraient nous planter un couteau dans le dos. Ils ont aussi appris à effectuer des saisies massives dans le Registre de vaccination. Pourquoi?Toutes les pharmacies et tous les centres de vaccination se sont servis de cette saisie massive, nous n’avions pas le choix. Ça aurait été bien trop laborieux autrement. Donc on arrivait le matin, on entrait les numéros des vaccins qu’on allait fournir ce jour-là, le lieu de vaccination et l’identité du pharmacien qui allait vacciner. Ensuite, il n’y avait plus qu’à entrer le numéro d’assurance maladie du patient et enregistrer le tout. Ne manquez pas: Fraude au DSQ par un étudiant: une autre pharmacienne dans la tourmenteSous supervision, les deux étudiants ont appris à le faire, car ils n’avaient jamais touché au Registre de vaccination auparavant. Ça faisait aussi partie de leur formation de savoir l’utiliser le registre. C’était plus une tâche administrative pour nous décharger.Cette confiance a-t-elle pu mener à un défaut de surveillance de la part de l’équipe?Avec le recul, je dirais que cette confiance, qui était normale, a pu nous amener à les surveiller un peu moins, mais, sur le moment, on pensait bien faire. Peut-être qu’on n'aurait jamais dû les laisser avoir accès au Registre, entrer nous-mêmes les vaccinations ou être derrière eux quand ils entraient les informations. Mais le contexte de pandémie et le gros volume de patients n’aidaient pas. C'était une période un peu folle. Mais, à aucun moment, mes collègues pharmaciens ou ATP n’ont douté de ces gens-là. Aucun drapeau rouge n’est apparu. Comment avez-vous appris l’existence et l’ampleur de la fraude? Nous avons d’abord été informés de l’enquête de l’UPAC, puis le syndic de l’Ordre a lancé la sienne. Ce dernier m’a fourni une liste de patients et de dates précises. En vérifiant les numéros d’assurance maladie qui étaient inscrits, je me suis rendu compte que sur 200 entrées, seules 20 étaient vraies. Pour le reste des patients, aucun dossier n’avait été créé à la pharmacie, ce qui signifie qu’aucun honoraire n’avait été réclamé pour les vaccinations, et donc qu’elles n’avaient pas été effectuées. Les adresses de résidence des personnes ne correspondaient pas non plus, certaines étaient à Rivière-du-Loup, d’autres à Québec ou en Gaspésie. Ça ne faisait pas de sens. On ne s’imaginait pas une fraude d’une telle ampleur. Vous parlez d’un «préjudice immense» pour vous et votre équipe… Le préjudice a d’abord été personnel, car tous les pharmaciens ont dû rencontrer des policiers de l’UPAC, sans parler de l’enquête du syndic qui a été très longue, intense et stressante. Ma pharmacienne salariée incriminée est tombée malade à cause de ça. L’équipe a aussi été très affectée car ça a pris un certain temps avant qu’on découvre que les étudiants étaient à l’origine de la fraude. On a eu des doutes sur tout le monde. Les preuves de la police étaient irréfutables, et comme nous avons des systèmes sécurisés, quelqu’un avait forcément entré volontairement de fausses informations dans le registre. Et quelle image cela renvoie de la pharmacie auprès du public? Près de 500 personnes se sont promenées partout dans la province, sont allées au restaurant, au cinéma, faire du ski, avec une fausse preuve vaccinale portant ton nom et celui de ta pharmacie. Ce n’est pas quelque chose qu’on souhaite, alors qu’on a fait plus de 15 ou 20 000 vaccinations réelles par ailleurs.On parle aussi d’un préjudice financier. Nous sommes proches des 200 000 $ en frais d’avocats au total, pour mon copropriétaire et moi, ainsi que pour mes deux pharmaciens salariés.Vous êtes-vous senti soutenu par votre Ordre ou votre association professionnelle?Le fait que le syndic ouvre une enquête contre nous est légitime, car ils essaient de trouver le coupable. Mais nous ne nous sommes pas sentis soutenus par l’Ordre. Dans cette histoire, nous n’avions rien à nous reprocher. Nous ne sommes pas les fraudeurs! Au final, ce sont mon copropriétaire et deux de nos pharmaciens qui sont sanctionnés. Les étudiants [NDLR, qui sont aujourd'hui des pharmaciens en exercice], eux, peuvent travailler librement, ils n’ont aucune amende ni aucun frais d’avocat à payer. La responsabilité des étudiants doit-elle être davantage engagée selon vous?Oui, il y a présentement un vide juridique. Les universités ou l’Ordre devraient agir en cas de problème impliquant un étudiant [NDLR, le règlement disciplinaire de l'UdeM prévoit des sanctions concernant ses étudiants, pouvant aller jusqu'à l'expulsion. À lire dans notre précédent article]. Qu’il s’agisse d’un stage universitaire ou pas, si la personne fait une erreur, elle devrait en être responsable, et ça ne devrait pas être reconnu seulement comme une mauvaise supervision de la part du pharmacien. Consultez: Malgré ses fraudes, comment un ancien étudiant peut-il échapper au Conseil de discipline de l’OPQ?L’objectif d’un maître de stage est, entre autres, de rendre son stagiaire plus autonome, sans être tout le temps derrière lui, surtout rendu en quatrième année de pharmacie. Il doit déjà être aussi bon qu’un pharmacien, ou presque. Ça fait partie de leur formation, et ça doit même être inscrit dans leurs grilles d’évaluation. Et leur permettre d’être autonomes, c’est aussi leur laisser de l’espace et des responsabilités. Vous dites vouloir mettre en garde les pharmaciens…Les pharmaciens accueillent de manière bénévole beaucoup d'étudiants, car ça fait partie de leur formation. Mais il faut leur rappeler qu’ils engagent toute leur responsabilité [...] J'espère que nos collègues pharmaciens vont prendre acte de ce qui s'est passé chez nous, et en tirer des leçons, pour qu’idéalement, ça ne se reproduise plus jamais.Il va aussi falloir que l’Ordre s’en saisisse car ça met en danger les stages étudiants. Avec ce qui vient de se passer, pourquoi un pharmacien voudrait se mettre dans le trouble?Quels sont vos recours aujourd’hui?Des plaintes ont été déposées par plusieurs personnes auprès de l’UPAC, et les enquêtes sont en cours. De notre côté, nous sommes en réflexion. Est-ce qu’on va intenter un recours au civil, sachant qu’au Québec, les montants des indemnisations ne sont pas majeurs? La couverture médiatique est un petit point positif, mais il n’y a eu aucune accusation formelle contre les deux étudiants, ce ne sont pour l’instant que quelques reportages, alors que mes collègues, eux, ont été accusés, déclarés coupables et sanctionnés. Mais les fraudeurs n’ont pas payé leur dette. Ils auraient pu s’exprimer et s’excuser en plaidant l’erreur de jeunesse. Les gens qui se sont fait taper dessus n’étaient pas les bons. Ces propos ont été édités dans un souci de compréhension et de clarté.

Fraude au DSQ par un étudiant: un «sentiment d’injustice» pour le pharmacien propriétaire Mathieu Roberge

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