«Expertise» biaisée: sanction confirmée pour le psychiatre Louis Morissette

Ni les arguments du Dr Louis Morissette ni ceux du plaignant privé, l’ancien professeur à l’Université d’Ottawa Denis Rancourt, n’ont trouvé grâce aux yeux du Tribunal des professions. Le premier contestait sa culpabilité prononcée par le Conseil de discipline du Collège des médecins du Québec (CMQ) pour une opinion psychiatrique formulée au sujet du second qui, lui, estimait que la sanction infligée au médecin n’était pas assez sévère. Les deux ont été déboutés, le Tribunal des professions validant les décisions prises par le Conseil de discipline.Connu des prétoires pour ses témoignages dans de grands procès, comme ceux de Karla Homolka et de Guy Turcotte, le Dr Morissette a accepté fin novembre 2008 un mandat de l’Université d’Ottawa. Dans le cadre de mesures disciplinaires à l’encontre de Denis Rancourt, le médecin était chargé d’émettre une opinion psychiatrique à l’égard du professeur de physique. Ce dernier était par ailleurs en conflit depuis des années avec le doyen de la Faculté des sciences en poste à l’époque, André Lalonde, en raison d’un différend professionnel remontant à la fin des années 1990, un temps où les deux universitaires supervisaient conjointement des étudiants au doctorat.Dans son rapport de dix pages, le Dr Morissette dresse un portrait assez inquiétant de Denis Rancourt. Il émet l’hypothèse d’un diagnostic de «trouble délirant, forme grandiose et persécutoire» et souligne la «dangerosité potentielle» du professeur en recommandant à l’Université de «mettre des mesures en place pour assurer la sécurité du personnel et des étudiants» dans le cas où il se verrait imposer des sanctions. Finalement congédié le 10 décembre 2008, Denis Rancourt avait alors été escorté par des gardes de sécurité hors du campus. L’intéressé n’apprendra l’existence du rapport du Dr Morissette qu’en 2012, lors d’une séance d’arbitrage en lien avec son congédiement. Il devra ensuite se battre pendant cinq ans pour en obtenir une copie, le psychiatre refusant de lui transmettre au motif que le rapport appartient à l’Université tandis que celle-ci a fait tout son possible pour lui refuser l’accès au document avant de le lui remettre en 2017.Denis Rancourt découvre alors que le rapport du Dr Morissette contient plusieurs informations le concernant qui sont erronées ou partiellement inexactes. Le psychiatre écrit par exemple qu’il a eu «une enfance relativement difficile» à cause des comportements de son père. Or le professeur indique avoir eu un père aimable, généreux, sensible et pacifique. Il s’aperçoit également que l’opinion du médecin ne s’appuie que sur une discussion de deux heures environ avec André Lalonde et sur des documents que le doyen lui a fournis (divers articles de médias de la région d’Ottawa peu amènes à son égard, des extraits de son émission de radio ainsi que des textes qu’il a publiés dans le journal de l’Université ou sur ses blogues).Ni une ni deux, Denis Rancourt est convaincu que le Dr Morissette a failli en produisant une opinion psychiatrique fondée sur de fausses informations rapportées par le doyen Lalonde, sans avoir cherché à les vérifier, et que le psychiatre aurait dû à tout le moins le rencontrer avant de se prononcer sur sa dangerosité. Il dépose ainsi une demande d’enquête devant le syndic du Collège, demande qui sera classée au printemps 2018, le syndic refusant de porter plainte contre le médecin. Face à ce refus, le professeur dépose donc une plainte privée devant le Conseil de discipline.Atteinte à la dignité du Pr Rancourt et ombrage à toute la professionPendant deux ans, les avocats du Dr Morissette vont multiplier les procédures, les pourvois et les requêtes pour éviter que la cause du professeur Rancourt soit entendue par le Conseil. En vain. En février 2022, ses pairs le jugent coupable d’avoir contrevenu à l’article 4 du Code de déontologie des médecins pour «avoir secrètement élaboré un diagnostic, une opinion et des recommandations à l’égard de la dangerosité du plaignant, et ce, sans dossier médical, sans procéder à une entrevue et en utilisant des informations fausses».«Le médecin doit exercer sa profession dans le respect de la vie, de la dignité et de la liberté de la personne.» — article 4 du Code de déontologie des médecinsLe rapport du psychiatre était tellement biaisé que le Conseil de discipline a eu de la difficulté à caractériser son travail, refusant de le qualifier «d’opinion, d’évaluation ou d’expertise». Sa décision souligne notamment que le Dr Morissette était au courant du conflit existant entre le doyen Lalonde et le professeur Rancourt et que cela aurait dû l’inciter à la prudence.En acceptant «de rendre une opinion sur la santé mentale du plaignant et sur sa dangerosité en se fiant uniquement à du ouï-dire provenant d’un tiers et non pas de la personne expertisée, en l’occurrence du doyen Lalonde avec qui le plaignant avait un sérieux conflit, et à des documents médiatiques et des extraits d’émission de radio triés sur le volet par ce même doyen», le Dr Morissette n’a pas eu un «comportement que l’on peut qualifier de prudent de la part d’un médecin psychiatre, qui doit agir dans le respect de la vie, de la dignité et de la liberté de toute personne, y compris du plaignant», affirment ainsi ses pairs. Ils ont de plus estimé qu’en procédant de la sorte et «en y associant son nom, son titre et la crédibilité que cela lui confère», le clinicien avait «porté ombrage à toute la profession».Lire aussi: Des notes conséquentes au dossier d’un patient, sans l’avoir auscultéAcquittement rejetéDevant le Tribunal des professions, le Dr Morissette et ses avocats ont principalement plaidé que le Conseil de discipline aurait dû acquitter le médecin, car en matière d’opinion psychiatrique, il n’existe pas de «règles de l’art» qui l’auraient obligé à rencontrer Denis Rancourt. Les juges notent que le psychiatre «tente d’élargir la portée de la décision du Conseil en alléguant que ce dernier aurait, unilatéralement, établi une norme de conduite, laquelle irait à l’encontre des règles de l’art en matière de psychiatrie légale.» Or ils constatent que le Conseil s’en est tenu aux faits assez particuliers de ce dossier et à la preuve qui lui a été présentée. «Même s’il réfère au comportement “prudent (ou acceptable) de la part d’un médecin psychiatre”, le Conseil ne fonde pas sa décision sur une norme de pratique ou les règles de l’art. Il ne fait qu’exprimer en quoi les reproches adressés au Dr Morissette constituent une atteinte à la dignité de la personne. Comme ce type d’atteinte relève d’une norme reliée au sens commun plutôt qu’à une norme technique ou scientifique complexe, le Conseil pouvait conclure comme il l’a fait», affirment les magistrats.Sanction confirméeDenis Rancourt a quant à lui porté en appel la décision sur sanction du Conseil qui a imposé au Dr Morissette une amende de 10 000$. Le professeur estime que cette sanction est «trop clémente» et que, dans les circonstances, le médecin aurait dû être radié ou limité dans l’exercice dans ses activités professionnelles en lien avec l’expertise légale.Dans sa décision, le Conseil souligne que le Dr Morissette «compte 25 ans comme médecin psychiatre en 2008. Fort d’une telle expérience, (il) devait connaître ses obligations déontologiques (et) il ne peut aucunement justifier d’y avoir contrevenu en minimisant la portée de son mandat.» Il constate également que le clinicien ne reconnaît pas sa faute et qu’il dit ne pas comprendre de quoi il a été déclaré coupable. Son risque de récidive est donc «toujours présent», selon le Conseil qui note aussi que le processus disciplinaire ne semble pas présenter un effet dissuasif sur le médecin.Ses pairs ont cependant estimé qu’il ne méritait pas une radiation temporaire. Ils sont plutôt d’avis que «l’imposition d’une forte amende constitue une sanction appropriée», mais que l’amende minimale de 2500$ ne serait aucunement dissuasive. Dans les circonstances, le Conseil a considéré que «l’imposition d’une amende de 10 000$, soit quatre fois le montant de l’amende minimale, satisfait aux objectifs de protection du public et de dissuasion de récidiver, tout en servant d’exemplarité chez les autres membres de la profession».Pour le Tribunal des professions, «le raisonnement du Conseil est logique, rationnel, cohérent et il ne souffre d’aucune erreur de principe. La sanction n’est pas manifestement non indiquée» et Denis Rancourt n’a pas démontré en quoi celle-ci s’écarterait significativement d’autres sanctions dans des dossiers similaires. Affaire classée.

«Expertise» biaisée: sanction confirmée pour le psychiatre Louis Morissette

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