États-Unis: les intoxications et décès liés à la lidocaïne ont triplé en dix ans

Une équipe de recherche du département d'anesthésiologie du Chicago College of Medicine de l’Université de l'Illinois, aux États-Unis, a récemment cherché à mesurer l’impact des recommandations formulées en 2010 par les sociétés professionnelles d’anesthésie1 pour le traitement du risque de toxicité systémique des anesthésiques locaux sur les rapports d’empoisonnement et de décès liés à ces médicaments. Pour ce faire, les chercheurs ont analysé les rapports d’intoxication aux anesthésiques locaux et de décès provenant du National Poison Data System (NPDS) des centres antipoison américains pour la période 1983-2022. Ils ont ensuite évalué le nombre annuel de déclarations d'intoxications et de décès liés à l'anesthésie locale, regroupés en «lidocaïne» et «sans lidocaïne», à partir de 2001, année où les déclarations sur la lidocaïne ont été soumises séparément. Ils ont également examiné le nombre de déclarations d'intoxications et de décès liés à toutes les autres substances.Une diminution globale des rapports de toxicité des anesthésiques locauxEntre 1983 et 2022, l’analyse recense 74 rapports de décès liés aux anesthésiques locaux et 203 853 rapports d’intoxication aux anesthésiques locaux. D’après leur recherche2, publiée dans la revue Regional Anesthesia & Pain Medicine, l’introduction des recommandations en 2010 a eu un effet global sur les rapports d’intoxication aux anesthésiques locaux, puisque ceux-ci ont diminué par rapport à la décennie précédente (2001-2010, ROR = 0,77, IC à 95% 0,76 à 0,78, p < 0,0001). En effet, à partir de 2010, le risque relatif d'intoxication aux anesthésiques locaux a diminué de 23% par rapport à la décennie précédente.À lire aussi: Anesthésie locale et traitement de la douleur: des directives pour minimiser les infectionsEn revanche, les signalements d’intoxication à la lidocaïne ont ainsi augmenté de plus de 50%, passant de 1600 en 2016 à 2500 en 2021. Si l’on regarde dans le détail, on constate que les rapports d’intoxication à la lidocaïne et de mortalité par lidocaïne ont augmenté après 2010 (ROR = 2,7 IC à 95% 1,3 à 5,6, p = 0,0094), contrairement aux rapports d’intoxication et de mortalité sans lidocaïne. Ainsi, dans l'ensemble, de 2001 à 2022, 0,11% des rapports d'intoxication à la lidocaïne ont donné lieu à un rapport de décès, tandis que 0,012% des rapports d'intoxication à des anesthésiques locaux non liés à la lidocaïne ont donné lieu à un rapport de décès. De fortes doses administrées en intraveineuse en situation d’urgenceAutre constat: le risque relatif de décès dû à une anesthésie locale a plus que doublé entre 2011 et 2022 par rapport à la décennie précédente, en raison d’une augmentation des rapports de décès associés à la lidocaïne. Une analyse détaillée de 59 décès individuels dus à tous les types d’empoisonnement a révélé que 32 avaient été signalés avant 2010 (âge moyen de 25 ans) et 27 avaient été signalés entre 2011 et 2022 (âge moyen de 55 ans). Parmi les décès survenus entre 1983 et 2010, la lidocaïne a été utilisée dans les deux tiers des cas (67%), alors qu’elle a été utilisée dans la plupart (82%) des cas mortels entre 2011 et 2022.Les intoxications et décès liés à la lidocaïne ont pour la plupart eu lieu en situation d’urgence, souligne le rapport. En effet, l'analyse révèle une diminution des rapports de décès au bloc opératoire de 47% avant 2010 à 15% après 2010, mais une augmentation des rapports en préhospitalier, comme les urgences (de 7% à 31%). Par ailleurs, on observe également une augmentation des rapports de décès dus à l'administration intraveineuse de lidocaïne (3% à 27%, respectivement). Presque tous les cas recensés impliquaient des doses qui dépassaient fréquemment la limite supérieure recommandée sur la notice d'emballage (soit 500 mg), avant et après 2010 – des doses allant jusqu’à 2000 mg de lidocaïne administrées par les services médicaux d'urgence et dans les services d'urgence, souvent par erreur. «La facilité d’accès à des doses aussi importantes de lidocaïne est alarmante», soulignent les auteurs, qui rappellent en outre que, selon certains rapports de cas, même de petites doses de lidocaïne intraveineuse peuvent provoquer des effets secondaires graves chez les patients à risque.«Utilisation incohérente» et tardive de l’émulsion lipidique en cas d’intoxicationEnfin, les chercheurs s’étonnent de «l’utilisation incohérente de l’émulsion lipidique dans le traitement de la toxicité à la lidocaïne.» Ce traitement est en effet recommandé pour contrer les effets cardiaques et neurologiques de l’intoxication à la lidocaïne. Toutefois, dans de nombreux cas, le patient est décédé des suites de son intoxication, laissant à penser que l’émulsion lipidique a été administrée trop tard dans la réanimation, soulignent les auteurs.À lire aussi: Mal de dos: 9 traitements sur 10 ne présenteraient aucun intérêtSelon eux, «l'émulsion lipidique pourrait également être insuffisante lorsqu'un patient reçoit une dose catastrophique de lidocaïne, ce qui souligne encore la nécessité de mettre à jour les directives sur l'utilisation de l'émulsion lipidique et les options thérapeutiques alternatives, telles que l'assistance circulatoire extracorporelle», ainsi que des interventions pour prévenir l’exposition à des doses toxiques d’anesthésiques locaux. Tous les professionnels de la santé, et pas seulement les anesthésistes, devraient selon eux être formés à l’utilisation de la lidocaïne et des émulsions lipidiques, qu’il s’agisse d’un milieu d’urgence et préhospitalier, ou de la première ligne, puisqu’il «est facile d'acheter des grammes de lidocaïne sur Internet.»L’équipe du département d'anesthésiologie du Chicago College of Medicine de l’Université de l'Illinois met en lumière plusieurs limites à leur rapport d’analyse, comme le manque d’informations cliniques sur tous les cas. Selon eux, un comparateur plus approprié aurait pu être les intoxications dans les établissements de santé.Références: Neal JM, Bernards CM, Butterworth JF, et coll. ASRA Practice Advisory on Local Anesthetic Systemic Toxicity. Reg Anesth & Pain Med. 2010;35:152-161.Fettiplace M, Weinberg G, Nixon H, et coll. The impact of local anesthetic systemic toxicity advisories on reporting to the National Poison Data System (NPDS). Reg Anesth & Pain Med. Publié en ligne le 21 juillet 2025. doi: 10.1136/rapm-2025-106464

États-Unis: les intoxications et décès liés à la lidocaïne ont triplé en dix ans

Pour accéder au contenu, connectez-vous ou créez un compte gratuit.

Catégories connexes