Et vous, faites-vous confiance à vos patients?

On parle souvent de la confiance des patients envers leur médecin. Beaucoup moins de l’inverse. Un médecin de famille interrogé dans une récente étude australienne résume la chose ainsi: «Je me suis toujours demandé si mes patients me faisaient confiance. Je ne me suis presque jamais demandé si, moi, je leur faisais confiance.» Ce changement de perspective n’est pas anodin. Il oblige à revisiter une posture que la plupart des cliniciens adoptent sans vraiment y penser: croire – ou ne pas croire – ce que leur patient raconte, ce qu’il omet, la façon dont il se présente. C’est précisément ce que l’équipe de la Dre Kerry Uebel, de l’Université de Nouvelle-Galles du Sud, a voulu explorer. Comment les omnipraticiens perçoivent-ils cette confiance envers leurs patients? Comment se construit-elle au fil des consultations? Et qu’est-ce qui vient la mettre à l’épreuve dans le quotidien clinique?Si ces questions paraissent élémentaires, elles ouvrent pourtant sur un angle mort de la littérature. Depuis 20 ans, l’essentiel des travaux porte sur les déterminants de la confiance que les patients peuvent vouer à leur médecin. Beaucoup moins sur les implications du sentiment de confiance qu’un clinicien peut éprouver – ou non – à l’endroit d’un patient. «La plupart d’entre nous n’avons jamais vraiment réfléchi à ce que signifie faire confiance à un patient», admet un autre généraliste australien interviewé dans le cadre de cette étude dont les résultats viennent d’être publiés dans le dernier numéro de The Annals of Family Medicine.Cette asymétrie intrigue les auteurs. Ils rappellent que la confiance du clinicien influe sur la dynamique de l’entretien, la qualité de l’information recueillie, le degré de surveillance et même certaines décisions sensibles. Dans un contexte où les soins sont fragmentés et où les patients consultent plusieurs professionnels, «cette confiance constitue un pivot discret, mais essentiel, de la relation thérapeutique». C’est pour cette raison que l’équipe de la Dre Uebel a voulu documenter comment les médecins la définissent, ce qui la renforce et ce qui la fragilise.Pour éclairer cette zone grise, les chercheurs ont mené des entrevues semi-dirigées auprès de 25 médecins de famille australiens, âgés de 28 à 65 ans. Les entretiens ont été réalisés par téléphone ou en visioconférence, puis transcrits mot à mot avant d’être soumis à une analyse thématique rigoureuse. Les participants provenaient surtout de milieux urbains de Nouvelle-Galles du Sud, avec des parcours cliniques variés. L’objectif: saisir, dans leurs mots et dans leur vécu, ce qu’implique faire confiance à un patient.Les témoignages recueillis révèlent trois séquences distinctes. D’abord, une évidence presque usuelle. La confiance est le plus souvent présumée. «Je fais simplement confiance au patient», résume un omnipraticien, comme si le doute n’avait pas sa place au premier contact. Cette confiance de départ, souvent implicite, s’enracine ensuite dans la relation. Consultation après consultation, elle se précise, se nuance. Plusieurs médecins décrivent une dynamique réciproque, «quelque chose qui se construit des deux côtés», où l’honnêteté du patient et son engagement dans le suivi deviennent des repères. «Ils participent activement à la consultation… et ça change tout», note un autre.À lire aussi: Qu’est-ce qu’un «bon» médecin de famille?Quand le doute s’installeMais ce mouvement peut se briser. Demandes insistantes d’opioïdes, documents douteux, récits incohérents, les participants évoquent des situations où la confiance vacille. «Certaines personnes racontent des histoires pour obtenir des prescriptions», confie une généraliste. D’autres insistent sur la complexité du réel. «Ce n’est pas toujours du mensonge. Parfois, ils ont honte, ou ne savent pas ce qu’il faut dire.» La confiance peut aussi être minée par l’environnement de soins lui-même, notamment lorsque l’information circule mal entre établissements. «Le patient arrive et me raconte tout ce qui s’est passé, comme si j’étais au courant… alors que je n’ai encore reçu aucun document», déplore un médecin. Malgré ces écueils, plusieurs décrivent un effort constant pour maintenir le lien, même lorsque la relation devient plus exigeante.Au-delà des situations particulières rapportées par ces omnipraticiens australiens, l’étude révèle un trait commun. Faire confiance demande du travail. Les auteurs insistent sur cette dimension active. Dans un système où les trajectoires sont morcelées – ou simplement difficiles à suivre –, maintenir le fil de la relation exige du temps, de la constance et une certaine disponibilité émotionnelle. Plusieurs participants décrivent cet investissement comme un engagement professionnel, presque une responsabilité morale. «On essaie de garder le lien, même quand c’est difficile», dit l’un d’eux. Les chercheurs y voient un marqueur de qualité du soin, mais aussi une source de vulnérabilité lorsque les conditions organisationnelles ne suivent pas. Leur interprétation est claire. Pour que cette confiance puisse s’installer et tenir, il faut des environnements qui soutiennent la continuité des soins, favorisent la circulation de l’information et permettent aux cliniciens de mieux accompagner les patients à besoins complexes.Un éclairage partiel, mais éclairantComme toute étude qualitative, celle-ci comporte des limites. Les médecins interrogés provenaient d’un même état australien et avaient volontairement accepté de participer, ce qui peut teinter leurs perspectives. Le nombre d’entrevues reste restreint. Le contexte local – organisation des soins, modes de rémunération, disponibilité de l’information clinique – diffère aussi de celui du Québec. Les auteurs notent toutefois que la nature des enjeux soulevés dépasse largement le cadre australien. Les questions de continuité, de confiance réciproque et de navigation dans un système complexe résonnent dans bien d’autres environnements cliniques.À ne pas manquer: Comment les attentes des patients influencent le revenu des médecinsEn filigrane, cette étude rappelle que la confiance engage toujours les deux protagonistes. Les médecins y décrivent l’effort nécessaire pour croire leurs patients, même lorsque le contexte complique les choses. Mais dans le quotidien des soins, l’inverse demeure tout aussi vrai. Les patients, eux aussi, avancent avec leurs incertitudes, leurs craintes et leurs attentes. Leur confiance envers leur médecin – celle qui facilite les confidences, l’adhésion, la continuité – repose sur cette même idée de lien. Peut-être est-ce là la leçon la plus simple, et la plus exigeante. La confiance circule dans les deux sens. Et c’est dans cet espace partagé que la relation thérapeutique prend toute sa force.RéférenceKerry Uebel, Faith R. Yong, Maria Agaliotis, et coll. General Practitioners’ Trust in Their Patients: A Qualitative Study. The Annals of Family Medicine; 23 nov 2025, 23 (6) 500-506. doi: 10.1370/afm.250038

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