Et si on cessait de penser la performance médicale sans l’équipe?

L’article d’Anne Plourde, récemment publié sur Profession Santé6, soulève à juste titre les limites d’une approche purement quantitative pour évaluer la performance des médecins de famille. En réaction au projet de loi 106, qui souhaite lier leur rémunération à des indicateurs de volume, elle rappelle qu’un grand nombre de médecins consacrent plus de temps par consultation et que leur charge clinique ne se résume pas aux heures passées en cabinet. Mais il manque un angle fondamental dans ce débat: la collaboration interprofessionnelle.Car au-delà du temps que chaque médecin consacre à ses patients, la véritable capacité d’un système de première ligne repose sur la performance de ses équipes, et non de ses individus. Bien que la collaboration interprofessionnelle soit largement reconnue comme un levier essentiel pour améliorer l’accès, la qualité et la coordination des soins, elle demeure insuffisamment mise de l’avant dans les discussions publiques et les orientations politiques récentes.En particulier, les débats excluent une lacune majeure dans l’optimisation de la première ligne: on ne mesure pas systématiquement comment les équipes collaborent et si cette collaboration est optimale. En effet, de nombreux travaux soulignent que la clarté des rôles, la communication entre professionnels et le soutien organisationnel à la collaboration ont des effets mesurables sur les résultats cliniques et la satisfaction des patients1. Des études ont démontré que l’ambiguïté des rôles, le manque de coordination et l’absence de protocoles interprofessionnels nuisent à la continuité des soins, allongent les délais d’accès et contribuent à l’épuisement professionnel5. Sans nous y limiter, les infirmières et infirmières praticiennes spécialisées, les pharmaciens, les nutritionnistes, les physiothérapeutes et les travailleurs sociaux représentent une richesse clinique et organisationnelle immense. Pourtant, on ne sait pas clairement, au Québec, la répartition des responsabilités dans la prise en charge des maladies chroniques, des soins préventifs, des suivis de patients complexes ou encore lors de prises en charge épisodiques ne nécessitant pas l’intervention du médecin de famille. Ce flou organisationnel freine à la fois l’accès et l’efficience des soins. La contribution réelle de chaque professionnel, de même que les activités témoignant des niveaux de collaboration interprofessionnelle, doivent être mesurées et suivies afin de comprendre l’état des pratiques individuelles et du travail collectif, afin de promouvoir des initiatives qui optimisent et rendent efficientes les pratiques et la performance globale des équipes. En effet, une meilleure organisation du travail en équipe est associée à une augmentation de la qualité perçue par les patients et à une réduction des consultations évitables en première ligne2–4.Le projet de loi 106 ouvre la porte à une nouvelle logique de rémunération par capitation. En théorie, ce mode de financement peut favoriser une meilleure collaboration interprofessionnelle, puisqu’il valorise le suivi global d’une population plutôt que la multiplication d’actes médicaux isolés. Toutefois, si cette réforme n’est pas accompagnée de mécanismes clairs pour soutenir le travail en équipe et reconnaître la contribution des autres professions, il existe un risque que la pratique demeure fragmentée et centrée sur la performance individuelle ou sur l’unique contribution médicale sans égard à celle des autres membres de l’équipe.Si le gouvernement souhaite véritablement améliorer l’accès aux soins et la performance du réseau, il gagnerait à compléter son approche actuelle par une reconnaissance plus explicite du rôle central des équipes interprofessionnelles et de leur contribution essentielle. Miser sur l’évaluation et le soutien du travail collectif en première ligne constituerait une avenue prometteuse pour renforcer la capacité du système à répondre aux besoins de la population. Il s’agirait aussi d’une occasion de mettre en valeur un système qui repose sur l’implication conjointe de plusieurs professionnels de la santé et des services sociaux qui collaborent avec les médecins de famille et les patients.La productivité réelle d’un système de santé ne se mesure pas au nombre de patients vus par semaine, mais à sa capacité à répondre aux besoins d’une population, de façon durable, humaine et concertée, favorisant ainsi des résultats de santé et une expérience de soins qui sont favorables pour le patient. C’est dans cette optique qu’il faut penser et valoriser le collectif.Références:1. Reeves S, Pelone F, Harrison R, Goldman J, Zwarenstein M. Interprofessional collaboration to improve professional practice and healthcare outcomes. Cochrane Database Syst Rev. 2017;6(6):CD000072.2. San Martín-Rodríguez L, Beaulieu MD, D’Amour D, Ferrada-Videla M. The determinants of successful collaboration: a review of theoretical and empirical studies. J Interprof Care. 2005;19 Suppl 1:132-47.3. D’Amour D, Ferrada-Videla M, San Martín-Rodriguez L, Beaulieu MD. The conceptual basis for interprofessional collaboration: core concepts and theoretical frameworks. J Interprof Care. 2005;19 Suppl 1:116-31.4. Levesque JF, Haggerty JL, Russell G. Patient-centred access to health care: conceptualizing access at the interface of health systems and populations. Int J Equity Health. 2013;12:18.5. Dib K, Belrhiti Z. Unpacking the black box of interprofessional collaboration within healthcare networks: a scoping review. BMJ Open. 2025;15(6):e101702. doi:10.1136/bmjopen-2025-101702.6. Plourde A. Quels sont les vrais problèmes derrière le manque d’accès aux médecins de famille? Profession Santé. 2025 Jun 26 [cité 2025 Aug 26].

Et si on cessait de penser la performance médicale sans l’équipe?

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