Éradiquer le VIH/sida d’ici 2030 au Québec: mission possible?

Le programme commun des Nations Unies sur le VIH/sida (ONUSIDA) a fixé des objectifs clairs dans le but de mettre un terme à l’épidémie du VIH/sida d’ici la fin de cette décennie. Pour y parvenir, il faut qu’en 2025, 95% des individus vivant avec le VIH connaissent leur statut, que 95% de ces personnes reçoivent des soins et prennent un traitement, et que 95% des patients traités aient une charge virale indétectable, ce qui rend le VIH intransmissible. Au Canada, ces ratios étaient respectivement de 90%, 87% et 95% en 2020. Autrement dit, une personne sur dix vivant avec le VIH au pays ne sait pas qu’elle est atteinte. Résultat, quelque 17 000 malades ne sont pas engagés dans le continuum de soins du VIH/sida. Ces statistiques démontrent que le Canada n’a pas encore atteint tous les objectifs auxquels il s’est pourtant engagé, souligne le directeur général de la Coalition des organismes communautaires québécois de lutte contre le sida (COCQ-SIDA), Ken Monteith. Et au rythme actuel, «on n’est pas sur la voie d’atteindre les objectifs mondiaux en matière de santé sexuelle des personnes vivant avec le VIH», prévient-il. Selon les plus récentes données de l’Agence de la santé publique du Canada, 1500 personnes ont été infectées par le VIH au pays en 2020. Cela porte le nombre de Canadiennes et Canadiens vivant avec le VIH à plus de 64 000. Au Québec, 305 nouveaux diagnostics ont été recensés en 2019, selon les derniers chiffres publiés par l’Institut national de la santé publique du Québec (INSPQ). L’enjeu du dépistage Devant ce tableau, le dépistage reste en tête des priorités pour éradiquer l’épidémie de VIH/sida. La barrière principale en la matière, «c’est l’anonymat», affirme le Dr Jean Robert, qui dirige Le dispensaire, une clinique d’infectiologie communautaire sans but lucratif située à Saint-Jérôme. «L’objectif du dépistage n’est pas de trouver des cas comme le fait la police avec les voleurs, mais bien de promouvoir l’absence d’infection», indique le spécialiste en santé communautaire. «Or les gens ressentent une discrimination perfide, puisque leur test de sang est inscrit dans leur DSQ [Dossier santé Québec, NDLR].» Lire aussi: Ottawa lancera de nouvelles consultations sur la non-divulgation du VIH Porte d’entrée vers les services en santé sexuelle, le dépistage est encore effectué au Québec dans un contexte médical. «Une exception rare et surprenante», a souligné un intervenant de l’île Maurice présent dans le public, alors que l’Organisation mondiale de la santé recommande qu’il soit démédicalisé, comme c’est le cas dans de nombreux pays, à l’instar du Maroc. «On s’est battu pour ça et aujourd’hui le dépistage est proposé dans la communauté», rapporte le président de l’Association de lutte contre le sida (ALCS), Mehdi Karkouri. Docteur en médecine et professeur de l’enseignement supérieur à la faculté de médecine de Casablanca, il signale que 60% des nouveaux cas au Maroc sont dépistés par les organismes communautaires, alors qu’ils ne disposent que de 10% des ressources du pays en dépistage. L’accès aux traitements Investie depuis des années dans la recherche sur le VIH/sida, la Dre Marina Klein rappelle que si le sida est une maladie aujourd’hui facile à traiter, sa prise en charge reste tout un défi. «La franchise que les patients québécois doivent payer pour avoir leurs médicaments est un frein majeur pour beaucoup de personnes. Chaque arrêt de la médication augmente les risques de transmission et de voir la condition de la personne se détériorer», indique la directrice de la recherche au Service des maladies virales chroniques du Centre universitaire de santé McGill. Coordinatrice générale du Centre Action Sida Montréal, Véronica Pizzi a mentionné que cette franchise est de 100$ par mois si la personne est assurée. «Quand on est au salaire minimum et qu’on a trois enfants, il faut faire des choix et on voit souvent des mères arrêter leur traitement pour cette raison-là.» Ailleurs au Canada, cette franchise n’existe pas, ni d’ailleurs au Maroc. «Le VIH est une maladie exonérante. Tout le monde y a accès, gratuitement et sans attente», indique Mehdi Karkouri. Lire aussi: Une étude identifie un variant virulent du VIH méconnu depuis des années Tous les participants à la table ronde sont ainsi unanimes: si l’on veut vraiment éradiquer le VIH/sida, les personnes ont besoin de soins gratuits et universels auxquels ils peuvent facilement accéder. Un message envoyé à Ottawa comme à Québec, dont les intervenants ont regretté l’absence de stratégie pour atteindre cet objectif. Outre un plan clair et précis, la COCQ-SIDA demande au gouvernement fédéral d’augmenter le budget dédié à la lutte contre le VIH/sida de 100 millions annuellement. Quant au gouvernement du Québec, elle lui réclame de créer un comité de travail afin de développer une stratégie concertée d’ici la Journée mondiale de lutte contre le sida, le 1er décembre prochain. Lire aussi: Des organismes veulent plus de financement d'Ottawa pour la recherche contre le sida Le support aux patients La gratuité, certes, «mais ça prend plus que des pilules pour mettre fin au VIH/sida. Les personnes ont également besoin de soutien», affirme néanmoins Ken Monteith. Or, c’est là où le bât blesse. «Les gens ont besoin d’un support holistique pour répondre à leurs diverses problématiques. Sans ce support, on risque de les perdre», signale la Dre Marina Klein, qui se retrouve avec une équipe réduite. «Il ne nous reste plus qu’une infirmière de liaison. On a retiré de notre service les ressources sociales et psychologiques. On est donc obligé de se retourner vers le milieu communautaire.» Sauf que les organismes impliqués dans la lutte contre le VIH/sida doivent se battre pour financer leurs activités. «On est dans une précarité financière qui nous fragilise, car on a zéro stabilité organisationnelle. On a besoin de plus de liberté et de sécurité», soutient Emilie Renahy, la directrice de AIDS Community Care Montreal, un organisme de soutien destiné aux communautés anglophones et allophones. «Au lieu de faire confiance à notre expertise, le gouvernement demande que nos programmes entrent dans les petites cases qu’il a définies», déplore pour sa part le président de l’organisme Maison Plein Coeur, Claude Lalande. «Plutôt que de se faire financer un programme par-ci et un autre par-là, on aimerait être perçu comme des partenaires.» À bon entendeur…

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