Équité salariale: les pédiatres déposent une demande d’injonction contre la FMSQ

L’Association des pédiatres du Québec (APQ) lance un pavé dans la mare en brisant l’unité syndicale qui règne en façade à la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ). L’APQ accuse cette dernière de «violer ses obligations» et de «manquer à son devoir de représentation juste et équitable» en laissant perdurer des iniquités dans la rémunération des pédiatres — une spécialité à prédominance féminine —, et plus généralement des médecins spécialistes femmes. Après avoir tenté ces dernières années de faire bouger la FMSQ sur cet enjeu, l’APQ et sa présidente, la Dre Marie-Claude Roy, s’en sont finalement remis à la Cour supérieure. Elles ont déposé jeudi une demande d’injection qui dénonce «les inégalités patentes, le traitement arbitraire et le défaut de représentation dont les pédiatres sont victimes» et dont la finalité est de contraindre la FMSQ à corriger la situation.D’abord rapportée par La Presse, la nouvelle a été confirmée par Profession Santé qui a consulté les documents judiciaires en question.On peut y lire que «la pédiatrie constitue la deuxième spécialité médicale avec la proportion la plus élevée de femmes [après l’obstétrique-gynécologie, NDLR]. Les pédiatres font donc partie de celles et ceux qui font les frais de cette discrimination systémique, qui s’inscrit dans une tendance de sous-valorisation de certaines tâches traditionnellement associées aux rôles féminins et maternels.» 72% des 825 membres de l’Association des pédiatres du Québec sont des femmes.Afin de justifier sa requête, l’APQ a calculé le revenu moyen ajusté (RMA) des spécialistes des huit associations ayant le plus fort pourcentage de femmes, comme la pédiatrie, la gériatrie et l’obstétrique. Leur RMA est inférieur de 152 767$ à celui des médecins des huit associations qui comptent le plus d’hommes, comme les urologues, les chirurgiens orthopédiques et les médecins nucléaires. «Ce qui signifie un écart de 30%», souligne la demande d’injonction.Selon l’APQ, cet écart s’explique entre autres par une rémunération à l’acte plus faible pour les spécialités à prédominance féminine. Elle indique que «la rémunération moyenne pour les actes médicaux posés par les spécialités à prédominance féminine est de 79$, alors qu’elle est de 133$ pour les spécialités à prédominance masculine. Il s’agit d’un écart de 68%.»Ce constat avait déjà été dressé par une étude réalisée pour le compte de l’Association des obstétriciens et gynécologues du Québec (AOGQ). Ses résultats, publiés en septembre dernier, montrent que certains actes médicaux posés sur une femme sont nettement moins bien rémunérés que leur équivalent chez l’homme, les écarts pouvant varier varient de 33% à 218% alors qu’il n’existe, selon l’AOGQ, aucun argumentaire médical pour le justifier. Par exemple, une curiethérapie de l’utérus est rémunérée à hauteur de 82,70$, contre 262,60$ pour une curiethérapie de la prostate, soit une différence de 218%. Un prélèvement d’ovule à des fins de fertilisation in vitro est rémunéré à hauteur de 369,45$, tandis qu’un prélèvement de spermatozoïdes aux mêmes fins est rémunéré à hauteur de 949,95$, une différence de 157%.Sous-valorisation systémique«Ce phénomène s’inscrit dans une sous-valorisation systémique de certaines compétences associées au travail du soin (care work) et au travail invisible, comme les compétences sociales, relationnelles, émotionnelles et interpersonnelles (qui) sont au cœur du travail des pédiatres», estime l’APQ qui considère que la sous-valorisation chronique de ces compétences s’explique du fait «qu’elles ont longtemps été considérées comme un prolongement du rôle traditionnel de la mère ou de l’épouse — tâches qui n’auraient donc pas à être rémunérées.» Sollicitées par Profession Santé, l’APQ et sa présidente n’ont pas souhaité accorder d’entrevue. «Étant donné la nature sensible de ce processus, l’APQ a choisi de ne pas commenter publiquement le dossier pour le moment. Nous préférons laisser le processus suivre son cours légalement», a répondu la directrice générale de l’association.De son côté, la FMSQ nous a fait parvenir une déclaration écrite dans laquelle elle affirme que son rôle est de «représenter les intérêts des 11000 médecins et de ses 35 associations.» La Fédération mentionne avoir «lancé un important exercice d’équité en 2022, qui vise à revoir les répartitions monétaires entre les associations de façon notamment à refléter la valeur réelle des actes médicaux».«La pédiatrie vient de décider de s’adresser aux tribunaux pour faire valoir ses seuls intérêts dans le cadre de cet exercice, et ce avant même sa conclusion», déplore la FMSQ en déclarant qu’elle «va continuer à travailler de concert avec toutes ses associations pour faire avancer cet important dossier». Elle conclut en écrivant qu’«elle évaluera le tout et déterminera les suites à donner à cette procédure».À lire aussi: Écart salarial entre les hommes et les femmes médecins: des facettes méconnuesRépartition opaque de l’enveloppe globaleDans sa demande d’injonction, l’APQ critique le mode de répartition de l’enveloppe de rémunération des médecins spécialistes, qui doivent se partager les 5 milliards$ négociés avec le ministre de la Santé, Christian Dubé, qui veut d’ailleurs avoir plus de contrôle sur la manière dont les fédérations médicales dépensent les montants qu’elles obtiennent du gouvernement.Les pédiatres font notamment valoir que la portion de l’enveloppe globale qui leur est accordée «représente 81% de celle accordée aux ophtalmologistes, même si l’APQ compte deux fois plus de membres, et que (ceux-ci) effectuent au moins cinq fois plus de travail en heures défavorables». Ils rapportent également que le montant de leur enveloppe équivaut à 49% de celle des radiologistes, alors que l’APQ compte 10% de médecins en plus.Au-delà, les pédiatres disent subir des traitements défavorables. Ils soutiennent par exemple que leur manuel de facturation ne leur permet pas d’appliquer des codes de complexité, contrairement à d’autres spécialités membres de la FMSQ. Ils reprochent également des propos tenus en février 2024 par la Direction des affaires économiques la Fédération qui aurait déclaré que les tarifs en hémato-oncologie pédiatrique devaient être soumis à des restrictions, car il fallait protéger les patients face aux pédiatres qui pourraient prescrire de la chimiothérapie seulement parce que c’est payant. Selon l’APQ, «seule la FMSQ peut réellement rectifier — ou perpétuer — ces inégalités de traitement», parce qu’elle dispose d’un monopole sur la protection des intérêts pécuniaires de ses 35 associations membres, mais aussi parce qu’elle décide de la répartition de l’enveloppe globale accordée aux spécialistes et qu’il est de son ressort de modifier la valeur de certains actes. «Or la FMSQ a refusé de considérer sérieusement les demandes de l’APQ à ce sujet (qui) ont rencontré une opposition systématique.»Après son élection en 2021 à la présidence de la FMSQ, le Dr Vincent Oliva avait reconnu que les écarts de rémunération entre les spécialités constituaient un «dossier prioritaire» de sa nouvelle administration. Un chantier visant à analyser la valeur relative des actes posés par différents médecins a ainsi été lancé dans le but de réduire les disparités entre spécialistes.Les pédiatres rapportent que l’équipe responsable de cet exercice était «exclusivement composée d’hommes» dont ils doutent de l’indépendance puisqu’ils se rapportaient directement au conseil d’administration de la Fédération. L’APQ dit avoir sollicité cette équipe, mais qu’elle est restée indifférente à l’enjeu d’iniquité des genres et qu’elle a refusé d’entendre ses prétentions ainsi que celle d’autres associations.Malgré tout, l’association dit avoir tenté d’interpeller la Fédération, et son président, à plusieurs reprises afin de les sensibiliser à cet enjeu pour qu’ils corrigent la situation. En vain. En mars 2023, l’assemblée des délégués a même adopté une résolution pour que la FMSQ et son conseil d’administration «mettent en application l’équité de la rémunération comme un principe directeur de l’exercice» sur la valeur relative des actes. L’APQ affirme que «la FMSQ est liée par cette résolution».À lire aussi: Médecins: êtes-vous satisfaits de votre rémunération?«L’impasse ultime»L’association témoigne qu’elle a également entrepris en juin 2023 des démarches visant à obtenir de la FMSQ davantage de transparence concernant la rémunération des médecins spécialistes et la manière dont elle répartit l’enveloppe globale de 5 milliards$ négociée avec le MSSS. Elle prétend en effet que la Fédération «laisse ses associations membres dans l’ignorance quant à l’outil de répartition qu’elle utilise pour diviser les sommes de l’enveloppe globale qui ne sont pas attribuées directement aux différentes associations». Des questions restées sans réponses à ce jour. La discorde a atteint son point de non-retour l’été dernier. Considérant que «la FMSQ semble avoir complètement cessé d’accomplir son devoir de défense et de représentation des intérêts de l’APQ», et qu’elle «omet de faire quelconque suivi et de traiter avec sérieux (ses) demandes», les pédiatres ont envoyé à la Fédération un avis de médiation pour dénouer la crise. Après quelques lettres échangées entre les avocats des uns et des autres, la FMSQ a refusé de participer à cette médiation.«Encore une fois, plutôt que de s’engager dans un processus constructif visant à pallier les iniquités qui perdurent en son sein, la FMSQ choisit la voie d’évitement», regrette l’APQ.Elle demande entre autres à la Cour supérieure d’ordonner à la Fédération de «prendre les mesures qui s’imposent pour corriger les défauts de représentation» des pédiatres; de «divulguer à ses associations membres les détails de la répartition des sommes consenties par le ministère de la Santé»; de «mettre en place une approche de type Analyse comparative entre les sexes».L’association souhaite aussi que la Cour déclare que «la discrimination dont sont victimes les médecins spécialistes femmes est systémique» et que la FMSQ «a manqué à son obligation de défendre les intérêts de l’APQ» ainsi qu’à «son devoir de représentation juste et équitable» des pédiatres», en lui ordonnant finalement «de traiter les demandes de l’APQ relativement aux modifications aux codes de facturations de manière juste, objective, transparente et standardisée.»

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