Enjeux médicaux-légaux: ce que révèle le dernier rapport de l’ACPM

Au téléphone ou en ligne, l’ACPM rapporte avoir eu quelque 54 000 interactions avec des médecins l’an dernier. Derrière ce chiffre en légère hausse – 50 000 échanges en 2023 comme en 2022 – se cache une réalité troublante: un niveau de stress élevé, peu importe la province où exercent les cliniciens. «Quand ils nous appellent, les médecins présentent majoritairement un niveau de stress qui va de 5 à 7 sur une échelle de 7», indique la Dre Pamela Eisener-Parsche, la directrice administrative (expérience membre) de l’ACPM qui souligne qu’«après l’appel avec nos conseillers, leur stress descend généralement entre 2 et 5.»Cette détresse est souvent liée au sentiment d’avoir failli, à leur impuissance face à des enjeux systémiques ou à la crainte des conséquences des procédures engagées contre eux. «Quand les médecins vont au travail, ils veulent bien faire et ils donnent leur meilleur pour leurs patients. Lorsqu’ils commettent une erreur, ils sont vraiment découragés», observe la médecin de famille qui soignait autrefois des personnes âgées.Qu’ils soient omnipraticiens ou spécialistes, ce qui décourage également les médecins, ce sont les pénuries de ressources, tant humaines que matérielles, qui sévissent dans les systèmes de santé d’un océan à l’autre. «Ils se heurtent à des problèmes qui les dépassent. Ils ressentent souvent une détresse morale, car ils n’ont pas les moyens d’exercer dans de bonnes conditions et ça les inquiète.» De plus, leur détresse s’accroît quand une plainte est déposée contre eux, car ils n’en connaissent généralement pas les tenants et aboutissants et redoutent que leur permis d’exercice soit révoqué. Une issue «peu fréquente», mentionne la Dre Eisener-Parsche, «mais qui les inquiète beaucoup».Explosion des plaintes disciplinairesLe rapport 2024 confirme une stabilisation des actions en justice, mais une hausse continue des plaintes aux collèges, partout au pays. Cette tendance est liée à une plus grande accessibilité des processus disciplinaires. «Plusieurs collèges ont adopté des formulaires en ligne. C’est plus simple qu’envoyer une lettre pour porter plainte», observe la directrice administrative de l’ACPM.Selon elle, la hausse des plaintes en déontologie est également reliée aux défaillances des réseaux publics de santé. «Beaucoup de plaintes ne concernent pas directement une erreur médicale, mais des attentes insatisfaites envers le système. Et c’est le médecin qui en porte la responsabilité», indique la Dre Eisener-Parsche en signalant qu’un volume conséquent de plaintes vise aussi des problèmes de communication ou des interactions difficiles avec des patients. «Quand on est fatigué, voire épuisé, on peut facilement manquer d’empathie», mentionne-t-elle. Québec: des particularités marquéesAu Québec, le panorama médico-légal présente plusieurs spécificités. D’abord, un volume nettement plus élevé de plaintes intrahospitalières – 993 l’an dernier, contre 579 en Ontario et 464 cumulées en Colombie-Britannique et en Alberta. «C’est historique: les mécanismes de plainte en milieu hospitalier y sont plus structurés, donc davantage utilisés», précise la Dre Eisener-Parsche.Autre particularité: le nombre élevé d’enquêtes liées aux organismes payeurs – 230 au Québec en 2024, contre 40 en Ontario et 41 cumulées en Colombie-Britannique et en Alberta. La raison est simple, la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) mène des investigations plus larges que les autres provinces. «Une seule enquête peut impliquer des centaines de médecins ayant par exemple utilisé un même code de facturation. Nous sommes très sollicités pour les accompagner», signale la directrice administrative de l’ACPM.Lire aussi: Les 5 erreurs de diagnostic les plus fréquentes en première ligneEnfin, on observe une proportion un peu plus importante d’actions en justice non signifiées – 122 l’an dernier, contre 112 en Ontario et seulement 53 en Colombie-Britannique et en Alberta. Ce phénomène s’expliquerait par une approche plus proactive des avocats québécois. «Il existe un protocole informel pour mettre en œuvre une résolution à l’amiable avant le dépôt d’une poursuite en cour. C’est positif, car cela réduit le fardeau judiciaire, et les patients comme les médecins peuvent trouver une entente plus humaine», estime la Dre Eisener-Parsche qui pense que les autres provinces devraient s’inspirer de l’approche québécoise. Compensations: des hausses spectaculaires au QuébecEn 2024, le montant total des compensations versées aux patients a doublé au Québec (46,6 M$ en 2024), alors qu’il était stable depuis 2018 (environ 23 M$). Cette flambée s’explique par un seul cas d’envergure encore devant les tribunaux, dont les provisions financières ont pesé lourdement dans les comptes de l’APCM.Lire aussi: Risques médico-légaux: les connaître pour mieux les prévenirAutre donnée notable: la compensation moyenne par dossier au pays dépasse de 37% la moyenne des dix dernières années, pour un montant total versé de 322 M$. Là encore, la Dre Eisener-Parsche rappelle que l’ACPM favorise les règlements rapides si la faute est avérée. «Lorsqu’on identifie une négligence, on travaille à régler le plus efficacement possible avec l’avocat du patient. Cela évite des procès inutiles, mais peut mener à des montants plus élevés.»L’IA, prochain enjeu médico-légal?Si les appels concernant l’intelligence artificielle (IA) sont encore rares, l’ACPM s’y prépare activement. Parce que de nombreux médecins utilisent déjà des outils assistés par IA, comme des scribes pour la rédaction de notes médicales. Et parce l’IA soulève déjà des questions déontologiques et juridiques, indique la Dre Eisener-Parsche, tel le risque d’erreur en suivant un conseil d’une IA sans exercer son jugement clinique ou à l’inverse, celui de ne pas utiliser une IA qui aurait pu prévenir un incident. «Nous travaillons de concert avec les collèges pour encadrer son usage, et nous publions des fiches-conseils à l’intention des membres dans le but de protéger le public, mais aussi les médecins.»

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