Élections fédérales: une occasion à ne pas rater pour les associations de médecins canadiennes

«Ce qui se passe est très effrayant», lance la Dre Carrie Bernard, présidente du Collège des médecins de famille du Canada (CMFC) lorsqu’on l’interroge sur les enjeux politiques de la prochaine élection fédérale. «En ce moment, tout le monde se focalise sur l’économie. Mais les hommes et femmes politiques doivent prendre conscience que la stabilité économique est un facteur déterminant de la santé.» C’est justement pour les interpeller sur ce sujet que le CMFC a publié, le 1er avril dernier, un communiqué soulignant l’importance de protéger et d’améliorer l’accès aux médecins de famille partout sur le territoire, alors que six millions de citoyens n’ont toujours pas d’omnipraticien. Cet accès sera d’ailleurs au cœur du vote à en croire une récente étude Nanos Research commandée par le Collège: parmi un panel de plus de 2000 Canadiens âgés de 18 ans ou plus, 81% des participants ont affirmé que les propositions des candidats pour garantir l’accès à un médecin de famille seraient un facteur déterminant dans leur choix.Favoriser la mobilité des médecins et le travail d’équipe Le CMFC formule ainsi plusieurs propositions à l’adresse des candidats fédéraux. Première priorité: renforcer les effectifs en s’engageant à ajouter 7500 nouveaux médecins de famille d’ici 2028 et 15 000 d’ici 2033. «La main-d'œuvre est vieillissante et le nombre de nouveaux médecins de famille dont nous aurons besoin est très important», commente la Dre Bernard auprès de Profession Santé. «C’est un défi, mais nous savons quoi faire pour y parvenir.» Parmi les pistes de solution évoquées, augmenter l’exonération du remboursement des prêts d’études, soutenir une rémunération équitable, affecter des fonds à la création de places additionnelles en médecine de famille, et accélérer la reconnaissance des diplômés internationaux en médecine.À lire aussi: Politiques américaines en santé: comment le Canada doit répondreLa présidente du CMFC rappelle aussi l’importance d’accorder un permis d’exercice pancanadien aux médecins, afin de leur permettre de pratiquer dans différentes provinces, notamment dans des zones isolées. «Que ce soit en début ou en fin de pratique, les médecins de famille aiment faire du remplacement pour aider différentes communautés, et beaucoup voudraient pratiquer dans différents espaces avant de s’installer. Ils pourraient répondre aux besoins en cas de pénurie par exemple. Mais l’obligation d’obtenir une licence dans chaque province rend la chose extrêmement coûteuse», regrette la Dre Bernard. Cette dernière insiste par ailleurs sur l’importance du travail en équipe et sur un meilleur accès à d’autres professionnels de la santé, comme les pharmaciens et les infirmières. «Mais cela ne doit pas se faire en silo», prévient-elle.Réduire le fardeau administratifDes constats et des propositions partagés par l’Association médicale canadienne, comme l’explique sa présidente, la Dre Joss Reimer. Outre un meilleur financement des universités pour permettre d’agrandir les cohortes, et un plus grand soutien aux médecins afin que ces derniers puissent intégrer de nouveaux outils comme l’intelligence artificielle dans leur pratique, elle insiste sur l’importance d’ouvrir les bras aux médecins internationaux, notamment Américains. «Il faut rationaliser l'immigration des médecins qui souhaitent venir travailler au Canada. Le gouvernement fédéral pourrait, s’il le souhaitait, réduire les obstacles à franchir pour obtenir l'autorisation d'immigrer au pays.»Seconde priorité: réduire le fardeau administratif qui pèse sur les médecins de famille – les médecins canadiens consacrant pas moins de 18,5 millions d’heures par an à faire de la paperasse, soit l’équivalent de 55,6 millions de consultations, selon le rapport 2024 de la Fédération canadienne des entreprises indépendantes. «Si nous pouvions réduire ce temps et plus encore, les médecins pourraient fournir davantage de soins», plaide la Dre Bernard. Pour le CMFC, il s’agit donc d’éliminer ou de simplifier les exigences liées aux formulaires fédéraux, de développer des solutions d’orientation efficaces et d’introduire une législation visant à diminuer la dépendance à l’égard des médecins de famille pour les attestations de maladie et l’accès aux prestations d’assurance.Exempter les produits médicaux et pharmaceutiques de contre-tarifsEn outre, les deux associations se disent particulièrement préoccupées par la possibilité, toujours sur la table, d’une augmentation des tarifs douaniers américains sur les produits médicaux et pharmaceutiques. «Les droits de douane peuvent affecter la chaîne d'approvisionnement et, en tant que médecins de famille, nous savons que lorsque cela se produit, nous passons un temps fou avec nos patients et avec les pharmaciens à essayer de trouver des substituts», explique la Dre Bernard. Comme lors de la pandémie de COVID-19, les régions rurales et éloignées, qui connaissent déjà des problèmes d’approvisionnement et de substitution, devraient être les plus durement affectées selon elle. «Les temps d’attente pour voir ou avoir un médecin de famille explosent, et tout ce qui pourrait s’ajouter à ce fardeau nous inquiète.»De son côté, la présidente de l’AMC indique avoir demandé au gouvernement d’exempter les produits médicaux et pharmaceutiques de contre-tarifs canadiens afin que les systèmes de santé – déjà en tension, en raison des contraintes budgétaires notamment – soient moins affectés par les droits de douane, et pour garantir aux patients un accès aux outils de santé dont ils ont besoin. «Nous savons déjà que certaines personnes ne peuvent pas payer leurs ordonnances, et sont obligées de diminuer le nombre de pilules qu'elles prennent voire tout simplement d’éviter de les prendre», déplore la Dre Reimer auprès de Profession Santé. À lire aussi: Les médicaments sont pour l'instant épargnés par les droits de douaneConscientes que le gouvernement fédéral n’est pas le premier responsable de l’organisation des soins de santé, les deux médecins estiment que le prochain parti au pouvoir devra s’accorder avec toutes les provinces et territoires pour établir une ligne d’action commune et harmoniser les orientations. «Le gouvernement fédéral a un rôle majeur à jouer car il gère trois systèmes de santé et car il est le principal bailleur de fonds de tous les systèmes provinciaux», rappelle ainsi la présidente de l’AMC. Cette dernière a déjà assisté à plusieurs lancements de campagne et rencontré plusieurs candidats de différents partis politiques fédéraux afin d’évoquer avec eux l’importance d’un système de santé fort et d’insister sur la corrélation entre la santé économique et la santé sanitaire du pays. «Les gens viennent nous voir pour leur santé physique, leur santé mentale et, aussi surprenant que cela puisse paraître, leur santé économique parce qu'elle affecte absolument les autres aspects de leur vie», fait écho la Dre Bernard.

Élections fédérales: une occasion à ne pas rater pour les associations de médecins canadiennes

Pour accéder au contenu, connectez-vous ou créez un compte gratuit.

Catégories connexes