Douleur chronique: peu de preuves de l'efficacité des antidépresseurs

Environ une personne sur cinq dans le monde, et une sur quatre au Canada, vit avec une douleur chronique. Il s’agit d’un motif fréquent de consultation médicale: les douleurs chroniques représentent un rendez-vous sur cinq chez le médecin généraliste au Royaume-Uni.Face à la prudence croissante qui entoure la prescription d'opioïdes – en raison de leur potentiel de dépendance – de nombreux médecins cherchent à prescrire d’autres médicaments hors AMM afin de traiter les douleurs de longue durée. Le recours aux antidépresseurs est une option répandue.Au Royaume-Uni, les médecins peuvent prescrire les antidépresseurs suivants pour la «douleur chronique primaire» (douleur sans cause sous-jacente connue): amitriptyline, citalopram, duloxétine, fluoxétine, paroxétine et sertraline. L'amitriptyline et la duloxétine sont également recommandées pour les douleurs nerveuses, telles que la sciatique.Cependant, notre examen des études portant sur l'efficacité des antidépresseurs dans le traitement de la douleur chronique a révélé qu'il n'existe de preuves que pour un seul de ces médicaments: la duloxétine.À lire aussi: Les fondamentaux de la douleur chronique: mécanismes et mesuresNous avons trouvé 178 études pertinentes regroupant au total 28 664 participants. Il s'agit de la plus grande étude jamais réalisée sur les antidépresseurs pour la douleur chronique, et la première à inclure tous les antidépresseurs pour tous les types de douleur chronique.Quarante-trois de ces études (soit 11 608 personnes) ont porté sur la duloxétine. Nous avons constaté que ce médicament réduit modérément la douleur et améliore la mobilité. C'est le seul antidépresseur dont nous sommes certains qu'il a un effet. Nous avons également constaté qu'une dose de 60 mg de duloxétine était aussi efficace pour soulager la douleur qu'une dose de 120 mg.En comparaison, si 43 autres études ont également porté sur l'amitriptyline, le nombre total de participants n'était que de 3372, ce qui indique que la plupart de ces études sont de très petite taille et susceptibles de donner lieu à des résultats biaisés.Le nombre d'études et de participants pour les autres antidépresseurs est le suivant:Citalopram: 5 études avec 209 participantsFluoxétine: 11 études avec 622 participantsParoxétine: 9 études avec 960 participantsSertraline: 3 études avec 210 participantsLes données relatives à l'amitriptyline, au citalopram, à la fluoxétine, à la paroxétine et à la sertraline étaient très insuffisantes et aucune conclusion n'a pu être tirée quant à leur capacité à soulager la douleur.Ceci est d'autant plus important que les données de prescription font état de 15 784 225 ordonnances d'amitriptyline au cours de l'année écoulée. On peut raisonnablement supposer qu'une grande partie de ces prescriptions sont destinées à soulager la douleur, car l'amitriptyline n'est plus recommandée pour le traitement de la dépression.Cela suggère que des millions de personnes pourraient prendre un antidépresseur pour traiter la douleur alors que son utilité n'est pas prouvée. En comparaison, 3 973 129 ordonnances de duloxétine ont été délivrées au cours de la même période, à la fois pour des motifs de dépression et de douleur.À lire aussi: Québec: dispositif contre la douleur chronique implanté pour la 1ère fois au CanadaÀ la lumière de nos conclusions, publiées en mai 2023, le National Institute for Health and Care Excellence (NICE) du Royaume-Uni a revu ses recommandations aux médecins sur la manière de traiter la douleur chronique.Cette mise à jour du NICE prévoit désormais de prescrire 60 mg de duloxétine pour traiter la douleur chronique primaire, mais aussi pour traiter la douleur nerveuse.Des options de traitement limitéesLes médecins généralistes se disent souvent frustrés par le nombre limité d’options dont ils disposent afin de traiter les patients souffrant de douleurs chroniques. Le fait que l'amitriptyline est peu coûteuse à prescrire – seulement 66 pence par boîte au Royaume-Uni – peut expliquer le grand nombre d'ordonnances faites pour ce médicament.Cet exemple démontre comment l'écart entre les données probantes et la pratique clinique peut nuire aux patients. Bien que notre étude n'ait pas été en mesure d'établir la sécurité à long terme de l'utilisation des antidépresseurs, des recherches antérieures ont mis en évidence les taux élevés d'effets secondaires liés à l'amitriptyline, notamment les vertiges, les nausées, les maux de tête et la constipation.Il est toutefois important de garder à l'esprit que la douleur est une expérience très individuelle et que les données de notre étude sont basées sur des groupes de personnes. Nous reconnaissons que certains médicaments peuvent être efficaces même si les résultats de la recherche ne sont pas concluants ou disponibles.Hollie Birkinshaw est chercheure en soins primaires à l'Université de Southampton. Tamar Pincus est professeure de psychologie de la santé et doyenne de l'Université de Southampton.Cet article est publié dans The Conversation sous une licence Creative Commons.

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