Devenez un messager de l’impossible

Annoncer une mauvaise nouvelle à un patient est un passage obligé pour tout médecin, cette fatalité pouvant survenir dans des situations cliniques très diverses: diagnostic plus ou moins grave, examen invasif à subir, résultats de labo défavorables, échec thérapeutique, etc. Pour le clinicien, ce n’est jamais sinécure. Et pour son patient, même s’il s’y est préparé, c’est toujours un choc.Afin que cette annonce soit la moins traumatisante possible, tant pour celui qui l’a fait que pour celui qui la reçoit, des oncologues proposent un atelier intitulé «Les messagers de l’impossible». «Ce n’est pas une formation en tant que telle où l’on dit aux gens voici ce qu’il ne faut pas faire et voilà ce qu’il faut faire. C’est plus un exercice d’introspection, car comme médecin, on a tous une couleur différente», souligne le Dr Israël Fortin, radio-oncologue à l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont. Dans cette optique, «on veut amener le participant à se demander comment il peut être plus humain lorsqu’il a une mauvaise nouvelle à annoncer. Comment il peut être plus proche de son patient et plus proche aussi de ses émotions.»Ce discours contrevient à ce que les étudiants et les résidents en médecine peuvent apprendre à la faculté ou dans les milieux de soins où ils effectuent leurs stages. «On nous apprend qu’il faut garder une bonne distance thérapeutique, qu’il faut se protéger comme médecin et que si l’on est trop dans le caring, ça va nous épuiser et nous détruire», convient la Dre Carole Lambert, radio-oncologue au Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM). Selon elle, «c’est l’inverse qui est vrai. Si tu ne vis pas tes émotions, tu les accumules et tu finis par ne plus les contrôler», affirme la clinicienne qui ne cache pas les siennes à ses patients. «Je les exprime, sans me laisser submerger, afin de les faire circuler et de les évacuer.» Ce faisant, la médecin montre à son patient qu’elle n’est pas indifférente à ce qu’il vit. «Ça crée du lien et ça nous rapproche.»L’atelier «Les messagers de l’impossible» insiste sur la dimension humaine à conserver lors de telles annonces. À l’origine, il est né du constat qu’au sein du Centre intégré de cancérologie du CHUM, des cliniciens manquaient de chaleur et d’empathie lorsqu’ils annonçaient un diagnostic de cancer et que cette expérience était traumatisante pour nombre de patients qui s’en plaignaient. Sous la houlette de la Dre Paule Lebel, alors directrice du Bureau du patient partenaire de la Faculté de médecine de l’Université de Montréal, l’atelier a été monté fin 2018 par les Drs Fortin et Lambert, le Dr Michel Duval, hémato-oncologue au CHU Sainte-Justine et deux patientes partenaires, Édith Fournier et Marie-France Langlet.En duo médecin-patient, ils ont donné l'atelier dans différents milieux de soins. «On a été un peu ralenti par la pandémie, mais là on veut le relancer. On pourrait même former d’autres formateurs», annonce le Dr Duval, en signalant que si l’atelier a été conçu au départ pour des oncologues, «on s’adapte au contexte. On l’a déjà donné par exemple dans des services d’urgence ou de soins intensifs». D’une durée de trois heures environ, il est destiné à des groupes de vingt personnes maximum pouvant comprendre des médecins, des infirmières et d’autres professionnels de la santé qui peuvent être amenés à annoncer une mauvaise nouvelle ou qui la vivent ensuite avec le patient.Lire aussi: Les médecins doivent être mieux formés pour annoncer une mauvaise nouvelleDynamique de groupe«Les médecins ont peu d’opportunités de faire le point sur leurs façons de faire. Là, ils peuvent en discuter entre eux. On les fait revenir sur des annonces qui les ont marqués, en bien ou en mal, et on les invite à réfléchir sur leur approche en se mettant à la place du patient», indique Marie-France Langlet, qui prend son rôle très à cœur en soulignant que sa contribution à l’atelier vient crédibiliser le propos. «En avoir conscience, c’est une chose. L’entendre de vive voix, en face-à-face, c’est une autre chose», souligne-t-elle en considérant que l’annonce d’une mauvaise nouvelle est un acte de soins à part entière. «Ce ne sont pas que des paroles. Si c’est mal fait, ça peut avoir un impact sur la relation de confiance et sur l’observance. À l’inverse, si c’est bien fait, ça renforce l’alliance thérapeutique».Pour le Dr Duval, la dynamique de groupe est irremplaçable. «On n’est pas des directeurs de conscience», insiste-t-il. «Les choses doivent venir de l’intérieur des gens. On est juste là pour les aider à accoucher», signale l’hémato-oncologue, qui se dit souvent «blasté» à l’issue des ateliers. «C’est assez émouvant. On y raconte des histoires horribles et d’autres extraordinairement bonnes.» Au final, tout le monde en ressort grandi.Donné gratuitement, l’atelier «Les messagers de l’impossible» est en passe d’obtenir à nouveau son accréditation au titre de la formation continue. Pour en bénéficier dans votre milieu de soins, vous pouvez contacter la Dre Lambert, le Dr Duval ou Marie-France Langlet.

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