Des soignants sur le devant de la scène

On sait les soignants dédiés à leur pratique et impliqués envers leurs patients. Mais seriez-vous prêt/es à vous mettre en scène si cela permettait de faire avancer la qualité des soins? C’est pourtant ce qui motive, depuis 33 ans, les équipes de l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec – Université Laval (IUCPQ) qui participent à la troupe de théâtre Les Fous de la Rampe. Médecins, infirmières, secrétaire, personne chargée de l’entretien… Peu importe leur profession, ces comédiens d’un jour, ou plutôt de quatre soirs, se mettent à nu au profit des soins aux patients. «Tout le monde est éligible. Il faut simplement être suffisamment disponible, car le projet dure 9 mois», confie le Dr Frédéric Sériès, pneumologue et professeur agrégé au Département de médecine de l'Université Laval. Il est l’un des piliers de la troupe, qu’il a intégrée en 1991 et dont il est depuis devenu le directeur artistique.Une fois par semaine entre janvier et août, puis deux fois par semaine à partir du mois de septembre, les apprentis acteurs et actrices de théâtre entrent dans un autre monde et se réunissent pour répéter, s’approprier leurs rôles. «Ça prend de la persévérance, du travail, mais aussi beaucoup d’humilité», raconte ce féru de théâtre. En effet, tout le monde n’est pas capable de recevoir la critique, pourtant essentielle et incontournable dans le milieu artistique. D’autant, qu’au fil des années, le personnel de l’IUCPQ a acquis une petite notoriété, et n’a plus de mal à séduire les professionnels du théâtre pour venir les parrainer et les conseiller. En 2016, le Dr Sériès parvient même à recruter un metteur en scène professionnel: Simon Lemoine, diplômé du conservatoire d’art dramatique de Québec. Ce dernier propulse la troupe à un niveau de maturité et de jeu inespérés. «Ça nous a donné une stature différente. Tous les grands et beaux noms de la scène québécoise sont venus nous aider – Valérie Laroche cette année, Jean-Sébastien Ouellette l’année dernière. C’est extrêmement apprécié, car ils sont d’une sensibilité formidable», sourit le directeur artistique.Mais le Dr Sériès garde l’apanage du choix de la pièce. Tragédie, drame, comédie, intrigue policière, pièces d'auteur… Aucun genre théâtral ne lui fait peur. La petite troupe a déjà interprété tous les incontournables du répertoire, de La Cage aux Folles aux Dix petits nègres d'Agatha Christie en passant par Le Gars du Québec de Michel Tremblay, Douze hommes en colère (rebaptisée Douze jurés en colère), Le père Noël est une ordure et Les sorcières de Salem. Le directeur artistique vogue au gré de ses lectures, toujours plus nombreuses afin de «prendre de l’avance sur les prochaines années», dit-il. On devine une passion dévorante pour le théâtre et une implication sans faille dans le projet d’une vie. «On a donné un peu dans tous les styles. La dernière pièce était Miroslav de Thierry Chaumillon… Mais après deux années avec des thématiques un peu dures, artistiquement très belles mais pas accessibles à tous les publics, on a voulu aller vers la comédie cette année.» Le Dr Sériès et Simon Lemoine ont donc opté pour un classique américain: la pièce Harvey de Mary Chase. Un succès de Broadway encore jamais adapté en français.Environ 25 000$ récoltés chaque annéeDepuis sa création, la troupe a déjà réuni une centaine d’employés de l’Institut, tous bénévoles. Aujourd’hui encore, seul le metteur en scène, professionnel, est rémunéré. Grâce à leurs 4 représentations annuelles, qui réunissent mille spectateurs en moyenne, Les Fous de la Rampe permettent de récolter environ 25 000$ par an au profit de la Fondation de l’IUCPQ. «Cet argent est destiné à financer des projets soumis par des employés de l’hôpital pour aider à la qualité des soins et faciliter leur travail au quotidien», explique le Dr Sériès. Les représentations de théâtre ont par exemple permis de financer une nouvelle table d’opération pour les chirurgies bariatriques. «On ne parle pas de projets à plusieurs millions de dollars, mais de projets plus terre à terre. L’hôpital ne va pas faire une demande auprès du Ministère pour de si petits budgets. Mais ce sont ces petites choses qui peuvent faire une différence pour les patients, qui ont un impact.»Au-delà de l’enjeu financier, cette activité bénévole aux antipodes de leur pratique permet aux soignants de se découvrir autrement, de créer des liens entre eux et avec leurs patients. «Le fait de s’impliquer dans cette dimension artistique nous sort automatiquement de notre quotidien. On se valorise, on découvre des choses et des gens autres, des rôles dont on n’a pas idée, observe le directeur artistique. On ne peut pas faire du théâtre si on n'apprend pas être à l'écoute de l'autre. Pour les professionnels qui, comme moi, ont des relations avec des patients, ça joue beaucoup.»Lorsque le pneumologue sent que le courant passe bien avec l’un ou l’une de ses patient/es, il n’hésite pas à enlever son chapeau de médecin pour lui proposer d’assister à une représentation. «Quand ils nous découvrent hors d’un environnement médical, sans la barrière soignant/soigné, ils sont ravis. On traverse le quatrième mur, à la fois du théâtre et du cabinet. Ils y sont très sensibles.» Une belle surprise, aussi, pour les collègues des apprentis comédiens. «Ils nous voient sous un jour complètement différent! Pour certains, ce sont la seule fois de l’année où ils se rendent au théâtre.» La troupe a ainsi souhaité rester accessible au plus grand nombre, en proposant des places à partir de 22$ au balcon, 25$ au parterre et jusqu’à 30$ pour un achat à la porte. Leur prochain objectif est de taille: préparer les 35 ans des Fous de la Rampe, qui seront célébrés en fanfare à l’automne 2026. Et rien n’a été laissé au hasard. La pièce est déjà choisie, «nous attendions d’avoir les droits d’auteur depuis cinq ans!», se réjouit le Dr Sériès. Le casting est aussi presque finalisé. «Certains membres de la troupe ont préféré se reposer l’année prochaine pour être en forme en 2026.» S'il est sûr que la représentation anniversaire fera un tabac, le pneumologue est aussi conscient que, tout comme dans sa pratique, il ne doit pas se reposer sur ses acquis. «Je sais à quel point le théâtre amateur est fragile, donc il faut toujours se valoriser, montrer qu'on est là et qu'on peut toucher tout le monde. Et puis on repart à zéro chaque année.»Les représentations de la pièce Harvey par la troupe Les Fous de la Rampe ont lieu les 25 et 26 octobre, et les 1er et 2 novembre, au Théâtre de la Cité universitaire. Les billets sont en vente dès maintenant sur le site de l'IUCPQ au coût de 25 $ (30 $ à la porte).

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