Défaut de diagnostic d’un AVC: une médecin de famille radiée trois mois

Émotive lors de son audition devant le Conseil de discipline du Collège des médecins du Québec (CMQ), la Dre Julie Gauthier a fait son mea culpa en présentant des excuses sincères à la patiente dont elle a omis le diagnostic d’accident vasculaire cérébral (AVC), sans l’avoir personnellement examinée. «J’ai été bouleversée d’apprendre qu’elle se soit sentie non considérée et qu’on lui avait refusé les soins requis par son état. Je reconnais mon erreur de jugement, car sa condition aurait nécessité que je l’évalue moi-même», a déclaré la médecin de famille qui a plaidé coupable au seul fait qui lui était reproché.Ses pairs ont jugé qu’elle avait enfreint l’article 47 du Code de déontologie qui stipule que «le médecin doit s’abstenir de faire des omissions, des manœuvres ou des actes intempestifs ou contraires aux données actuelles de la science médicale». En l’occurrence, il s’agit d’une «infraction objectivement grave. Dans les circonstances, il était impératif qu’elle examine et évalue elle-même la patiente. Une délégation de tâches à des externes ne peut constituer une excuse à des omissions de se conformer aux données actuelles de la science médicale. Il en va de la santé des patients et même de leur vie», souligne le Conseil qui a imposé à la clinicienne une radiation temporaire de trois mois.Inscrite au tableau de l’Ordre depuis 2005, spécialiste en médecine de famille depuis 2010, la Dre Gauthier consacre exclusivement sa pratique à la médecine d’urgence. Dans ce cadre-là, elle assure régulièrement la supervision et l’enseignement clinique auprès d’externes et de résidents. Le 7 mars 2022, elle est en poste à l’urgence de l’Hôpital Brome-Missisquoi-Perkins où elle supervise une externe avec qui elle n’a jamais travaillé.Peu avant 13h30, une femme accompagnée de son conjoint se présente à l’urgence avec une faiblesse à un membre, une asymétrie faciale et de la somnolence. Elle éprouve de la difficulté à parler. Des symptômes apparus un quart d’heure plus tôt. L’infirmière au triage évalue sa condition et produit la note suivante:«Neurologie, Faiblesse d’un membre/ Sympt d’AVC; Modificateurs 2e ordre adulte, Faiblesse membre / Sx d’AVC avec délais moins de 4.5h depuis début des Sx, début des s/s vers 13h15 soudainement, son faciès était asymétrique selon conjoint, difficile à évaluer au triage, somnolente mais s’éveille bien à la stimulation. Cincinnati positif 2/3. Connue pour faire crise. Affaiblissement facial gauche: affaiblissement léger bras gauche; difficulté à prononcer le mot “Cincinnati” mais discours normal».La professionnelle note aussi comme antécédents: «Vaccin covid x 3. Anxiété, trouble de personnalité». Elle suspecte un AVC est vient voir aussitôt la Dre Gauthier.Cette dernière témoigne qu’elle a «aperçu la patiente assise dans un fauteuil roulant poussé par un infirmier» et que celle-ci «pleurait assez fortement». La médecin explique que la femme «ne présentait aucun facteur de risque connu pour un AVC (pas d’hypertension, d’hypercholestérolémie, d’arythmie, de problème cardiaque ou de problème lié à l’hypercoagulation), était jeune, avait des antécédents de crises de panique et pleurait avec force, selon ce que je pouvais moi-même constater. Par conséquent, à ce stade préliminaire, mon niveau de suspicion d’un AVC était très faible et j’ai donc demandé que (la patiente) soit installée en salle 1, en ambulatoire, plutôt qu’en salle de réanimation.»La Dre Gauthier demande alors à l’externe qu’elle supervise de procéder rapidement à l’évaluation initiale. Au terme d’une consultation d’une bonne vingtaine de minutes, l’étudiante fait son compte-rendu à la médecin. Les deux passent en revue les étapes de l’examen neurologique effectué. «J’ai demandé qu’elle revoit la patiente et qu’elle revérifie particulièrement le septième nerf crânien. Je lui ai également demandé de procéder au test de Barré pendant 30 secondes — plus sensible que le test de Serment», raconte la Dre Gauthier.À l’issue de cette seconde évaluation, la clinicienne et l’externe concluent à un examen neurologique entièrement normal. «Mon diagnostic final était celui de crise de panique résolue», indique la médecin de famille qui se souvient d’avoir discuté avec l’étudiante des explications et des conseils à donner à la patiente lors de son congé.Deux jours plus tard, un collègue lui apprendra qu’un «AVC sylvien D probable» a été diagnostiqué à la patiente à la suite de sa réadmission à l’urgence.Lire aussi: AVC: le nombre de décès annuels pourrait doubler d’ici 2050Prise en charge et congé inadéquatsConsultée par le Conseil de discipline, la Dre Julie Grégoire observe dans son rapport d’expertise que «les informations notées par l’infirmière au triage lors de son évaluation suggéraient la survenue d’un accident vasculaire cérébral. La prise en charge urgente et efficace de cette condition requiert une expertise qui, souvent, dépasse les compétences d’un externe». D’autant plus que dans ce cas-ci, l’étudiante avait «une expérience clinique limitée», signale la médecin de famille qui ajoute que la discordance entre l’évaluation de l’infirmière au triage et celle de l’externe de même que la difficulté d’obtenir une histoire et de procéder à un examen physique fiable dans le contexte où la patiente était décrite comme somnolente et anxieuse auraient dû «inciter la Dre Gauthier à évaluer elle-même la patiente afin de clarifier les symptômes».En outre, l’experte entendue par le Conseil de discipline mentionne que l’infirmière au triage a noté que le résultat de la patiente à l’échelle Cincinnati était de deux sur trois: «Cet outil de dépistage hautement sensible et spécifique permet d’identifier rapidement les patients présentant les signes d’un AVC et qui pourraient bénéficier d’une thrombolyse. La présence d’une seule anomalie sur trois est associée à une augmentation significative de la survenue d’un AVC. (…) La docteure Gauthier aurait donc dû évaluer immédiatement (la patiente).»La Dre Julie Grégoire souligne également qu’en matière d’AVC, les bienfaits du traitement sont inversement proportionnels au temps écoulé entre l’apparition des symptômes et le début de celui-ci. «Ainsi, dans le cas présent, l’évaluation initiale par un externe n’était donc pas appropriée puisqu’elle a entraîné un délai dans la prise en charge», constate l’experte qui estime qu’«un biais cognitif semble avoir influencé les soins dès le départ en raison de l’anxiété que vivait (la patiente) et de ses antécédents d’attaque de panique, engendrant un diagnostic d’attaque de panique et l’absence de diagnostic différentiel». Elle conclut donc que «l’ensemble de ces éléments ont contribué à une erreur diagnostique ayant entraîné une prise en charge médicale inadéquate» qui n’aurait pas dû aboutir au congé de la femme.La décision du Conseil de discipline montre que l’avocat du syndic comme celle de la Dre Gauthier s’accorde à reconnaître l’introspection de la médecin, ses remords et son attitude positive durant l’enquête. Soulignant son absence d’antécédent disciplinaire et le caractère isolé de son infraction, le Conseil estime que «l’enquête du syndic et le processus disciplinaire ont eu l’effet dissuasif escompté sur (la médecin de famille)» et il souscrit à l’argument du syndic selon lequel il «n’éprouve pas une grande inquiétude par rapport (à son) risque de récidive».Durant son témoignage, la Dre Gauthier a déclaré que, depuis cet événement, elle fait preuve d’une prudence redoublée. «Je sélectionne avec la plus grande réserve les cas dont j’attribue une grande partie de l’évaluation à des apprenants, peu importe leur niveau de formation. Aucun externe ni résident junior sous ma supervision n’évalue seul quelconque patient sans que je ne (le) réévalue moi-même par la suite.» Afin d’améliorer la compréhension de son rôle de clinicienne-enseignante, elle indique d’ailleurs avoir suivi la formation «Initiation à la pédagogie, curriculum du clinicien enseignant» offerte par l’Université de Montréal.À lire aussiC’est normal de faire une erreurRisques médico-légaux: les connaître pour mieux les prévenirLa justice disciplinaire a besoin de rénovations

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