Projet de loi 52: l’échec de l’humanisation des soins?

Le projet de loi 52 polarise les professionnels de la santé. Alors que le Collège des médecins et les fédérations médicales donnent leur appui à l’aide médicale à mourir, d’autres, notamment les médecins spécialisés en soins palliatifs, sont scandalisés qu’une société en soit venue à instaurer des procédures pour répondre au désir de mort des plus malades d’entre nous.Ce projet de loi, piloté par la ministre déléguée aux Services sociaux, Véronique Hivon, propose d'encadrer de façon stricte les cas de malades incurables qui demandent aux médecins qu'on les aide à abréger leurs souffrances. Le Québec serait la première province au Canada à rendre légale l’aide médicale à mourir. Cette pratique serait ajoutée à la liste des actes réservés aux médecins.Selon Véronique Hivon, comme les soins palliatifs n'arrivent pas à soulager toutes les souffrances chez certaines personnes, les valeurs de compassion et de solidarité commandent de proposer d’autres moyens pour répondre à leurs besoins spécifiques. L'aide médicale à mourir constitue ainsi l’une de ces options supplémentaires dans le continuum de soins, « une option tout à fait exceptionnelle pour répondre à ces situations de souffrances exceptionnelles », prend soin de préciser la ministre.Plusieurs pays européens (les Pays-Bas, la Suisse, la Belgique) et plus récemment quelques États américains autorisent soit l’euthanasie soit le suicide assisté et ont adopté des mesures législatives pour encadrer ces actes médicaux. De telles mesures restent toutefois controversées même en ces lieux. Car, par définition, les grandes questions existentielles sur la vie et la mort ne connaissent pas de réponses scientifiques. Elles sont du ressort de l’éthique, mais probablement plus encore de la morale et des valeurs d’une société.Ce sont ces valeurs et cette éthique qui commandent que les soins palliatifs soient proposés aux patients en fin de vie. Or, l’offre de soins palliatifs au Québec n’est pas à la hauteur des besoins. Beaucoup de patients qui pourraient recevoir des soins palliatifs ne les reçoivent pas. Des familles n’arrivent pas à obtenir une chambre pour leur être cher en phase terminale dans les trop rares et précieuses maisons de soins palliatifs.Et dans les établissements de santé, les ressources actuelles permettent-elles de donner tous les soins de confort nécessaires aux patients en phase terminale qui ne peuvent bénéficier d’une place à l’unité de soins palliatifs et qu’on doit garder dans les unités de soins aigus ? Le personnel sait-il faire preuve d’empathie dans ces circonstances ? Est-il suffisamment formé pour offrir les soins particuliers, l’attention et l’accompagnement qui sont requis à cette étape ultime de la vie ?Sur un autre plan, la presse générale rapporte régulièrement des histoires de patients ou de résidents qu’on laisse dans leur couche d’incontinence pour des périodes qui vont au-delà de l’acceptable ou qu’on ne lave pas aussi souvent que le demanderait la convenance. À ces personnes, le réseau de la santé n’est pas en mesure d’offrir cette dignité tant mise de l’avant par le projet de loi 52, engoncé qu’il est dans les questions touchant l’utilisation appropriée des ressources.La protectrice du citoyen s’est dite favorable au projet de loi 52. Elle a jugé qu'il s'agissait d'un projet de loi équilibré, qui assurerait l'autonomie des grands malades qui demandent à mourir, tout en protégeant le droit à la vie des personnes les plus vulnérables. Elle a demandé aussi que tout malade en fin de vie puisse bénéficier de conditions particulières, par exemple être logé sans frais dans une chambre privée à l'hôpital, car, dit-elle, « il ne faut jamais que la question de l'argent soit un enjeu », quand il s'agit de personnes mourantes. Elle a d’ailleurs manifesté des inquiétudes à propos des contraintes budgétaires dans le réseau qui pourraient peser lourd dans l’accès des patients aux soins palliatifs.Des opposants à l’aide médicale à mourir n’hésitent pas à faire la même association entre le manque de ressources financières de l’État et le projet de loi 52. Ils estiment que cette réflexion collective, bien qu’elle s’inscrive certainement dans des préoccupations de santé publique et de compassion, n’est pas entièrement détachée de considérations économiques. Vont-ils trop loin ?À défaut de faire largement consensus, la Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité a le mérite de faire énormément réfléchir les professionnels de la santé sur le sens de la vie et de la mort, sur le sens de leur travail et sur la portée des gestes professionnels qui pourraient leur être demandés.

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