Changer: mode d'emploi

La docteure Ainsley McCaskill avait du mal à caser ses escapades à vélo d'une heure dans son emploi du temps. Alors elle ne faisait presque jamais d'exercice. Pour améliorer son assiduité, elle a essayé d’identifier la plus petite chose qu'elle pouvait faire régulièrement. «J'ai décidé de faire 10 minutes d'exercice par jour. Tout ce qui durait 10 minutes ou plus comptait», explique-t-elle. «J’ai fait de l'exercice tous les jours pendant six mois. Je n'avais pas fait cela depuis mon enfance.» «Il s'agit de faire ce qu’il faut pour se rapprocher du succès et d'être clair sur ce que signifie vraiment le succès. J'avais l'habitude de penser que l'exercice devait durer 45 minutes ou plus. Or, quand on est un professionnel, ce n'est pas toujours réaliste.» C'est le genre de conseils que la Dre McCaskill donne à ses clients. Médecin hospitaliste en Colombie-Britannique, elle est également une coach certifiée qui travaille avec des médecins et d'autres professionnels. Le Medical Post, la publication sœur de Profession Santé, a demandé à trois experts, dont la Dre McCaskill, de donner des conseils aux médecins qui souhaitent changer de vie, que ce soit sur le plan personnel ou professionnel. Les trois experts ont fait écho à cette recommandation de commencer par franchir le plus petit pas. C’est d’ailleurs ce que suggèrent de nombreux ouvrages sur la manière d'améliorer sa vie, notamment le populaire Atomic Habits de James Clear, qui part du principe que les petites habitudes finissent au fil du temps par constituer des avancées majeures. Commencez par de petits pas Michael Vallis (PhD) est psychologue de la santé agréé à Halifax, consultant en changement de comportement en matière de santé et professeur agrégé de médecine familiale à l'Université Dalhousie. Il note que l'idée de se fixer de petits objectifs peut être difficile pour les médecins. «La plupart d'entre nous, en particulier les personnes ambitieuses comme les médecins, ont tendance à penser que si l'on veut faire quelque chose, il faut le faire en grand. Or, il est prouvé que c’est le contraire; les petits objectifs sont ceux que l'on peut réellement atteindre et même un effort minime a des effets positifs», indique le Dr Vallis. «Ainsi, plutôt que de décider de courir un marathon, soit un objectif que peu de gens pourraient atteindre, les micro-objectifs comme se promener 10 minutes après le déjeuner sont vraiment motivants.» Mais comment savoir quels changements opérer? Le Dr Vallis explique que les gens choisissent souvent des changements en fonction de leurs connaissances – par exemple, nous savons tous qu'il est bon de faire plus d'activité physique. Or, il encourage les gens à faire des changements en fonction de leurs valeurs. Ce sont ceux qui ont le plus de chances de durer. «Les éléments qui influent sur le comportement humain sont généralement la famille, les relations et le travail», explique M. Vallis. «Essayez de réfléchir en quoi le fait d'adopter un comportement vous rapprochera-t-il de la personne que vous voulez être. C’est difficile d’effectuer des changements, mais nous constatons que lorsque les gens alignent leurs objectifs sur leurs valeurs, ils parviennent à surmonter les obstacles au changement.» Choisissez votre propre bonheur Selon le Dr Murray Erlich, psychiatre torontois à la retraite et coach de vie certifié auprès de médecins, il n'est pas toujours facile de tenir des engagements envers soi-même. «Les études de médecine attirent des personnes qui sont orientées vers la réussite, et elles leur apprennent à se concentrer de moins en moins sur leur propre bien-être», selon lui. «Ainsi, les médecins ne font pas grand-chose pour cultiver leur propre bonheur. Ils peuvent penser qu'ils n'ont pas le droit de prioriser leur bonheur si cela risque d'entraîner un changement négatif.» Par exemple, un médecin peut vouloir limiter le nombre de patients qu'il voit dans une journée parce qu'il souffre d'épuisement professionnel, mais ne pas concrétiser ce souhait car il a peur de ne pas répondre aux besoins de ses patients. «Les médecins doivent donc apprendre à quel point il est important de prendre soin d'eux-mêmes. Pour leur propre bien, mais aussi parce que si on se sent mieux, on donne en étant dans l'abondance plutôt que dans le déficit.» Pour faciliter les choses, le Dr Erlich suggère de vous concentrer sur les avantages et sur la manière dont ce changement sera bénéfique pour vous et vos patients. Pensez à votre vous futur Une autre astuce à garder en tête en matière d'état d'esprit consiste à regarder au-delà du moment présent. «Dans l'instant, nous nous concentrons sur ce que nous avons envie de faire maintenant, explique le Dr Erlich. Et dans l'instant, il est beaucoup plus agréable de s'asseoir sur le canapé, de regarder la télévision, de prendre un en-cas que d’aller à la salle de sport. Il est donc important de se concentrer sur des objectifs à plus long terme. Si vous voulez faire baisser votre tension artérielle, concentrez-vous là-dessus au moment de prendre une décision plutôt que sur votre désir superficiel du moment.» Préparez-vous à la réussite Le Dr Erlich suggère également de faciliter l’atteinte de vos objectifs autant que possible, par exemple en préparant vos vêtements de sport la veille de votre séance d’exercice matinale. Il recommande également de penser à une personne que vous admirez et d’identifier les habitudes auxquelles elle s’est tenue pour que cela vous motive à suivre son exemple. «Au lieu de vous comparer et de vous autocritiquer, prenez cette personne comme modèle et imaginez comment vous pouvez adapter les habitudes qu’elle a prises à votre vie. Il suggère également de demander de l'aide pour atteindre plus facilement vos objectifs, que ce soit auprès d'un coach de vie professionnel, d'un ami ou de votre conjoint.» Parmi les changements souhaités par les médecins, un bon nombre échappent à leur contrôle et nécessiteraient une transformation de l'ensemble du système de santé, admettent les trois experts. «Il peut être utile de reconnaître que cela n'est pas toujours votre responsabilité», croit le Dr Vallis. «Les médecins sont très sollicités et je pense qu'il peut être utile de poser ses limites et de s’y tenir.» Il n'y a pas de mal à être moins rigide concernant certaines responsabilités professionnelles, estime le Dr Erlich. Il donne l'exemple d'une attitude moins perfectionniste à l'égard des rapports et des lettres de consultation. «Cela peut être effrayant, il est donc important de tolérer l'anxiété qui accompagne ce changement, prévient-il. Je ne veux pas dire qu'il faut tourner les coins ronds, mais parfois les gens sont trop minutieux parce qu'ils sont perfectionnistes ou qu'ils ont peur de commettre un oubli. Le fait de faire correspondre ce que vous faites avec ce qui est exigé peut donc faciliter les choses dans votre pratique.» Le système peut être «incroyablement frustrant», reconnaît la Dre McCaskill. «L'épuisement professionnel est un problème systémique. C'est un problème exacerbé par des systèmes inefficaces.» «L'expérience typique des médecins est d'avoir l'impression de travailler dans un système défaillant et de ne rien pouvoir faire. Certains se tournent vers des rôles de gestion pour essayer de changer le système. Mais cela implique d'accepter davantage de projets. Alors beaucoup de gens restent frustrés. Je pense qu’on perd l'envie d'essayer de changer les choses lorsqu'on n'obtient qu'un succès limité.» Par ailleurs, les médecins devraient savoir que le fait de fournir des soins respectant des standards de qualité ne signifie pas que nous devons tous gérer nos cabinets de la même manière, ajoute la Dre McCaskill. «Nous nous attendons à ce que ce qui fonctionne pour les autres fonctionne aussi pour nous. Nous nous conformons au modèle de pratique et aux horaires établis. Je pense que ce n'est pas réaliste. Cela ne tient absolument pas compte du fait que les gens ont des forces différentes, des situations de vie différentes et des intérêts différents.» Ainsi il faut être attentif à ce qui vous semble facile dans votre journée et à ce qui vous pèse, selon la Dre McCaskill. «Prenez le temps de réfléchir à ce que vous pouvez faire qui soit sous votre contrôle pour améliorer votre lendemain. C'est très important, car le système, lui, ne sera pas différent lorsque vous arriverez au travail le lendemain.» Selon la Dre McCaskill, les petits changements durables constituent une bonne première étape. «Pouvoir se prouver à soi-même que l'on peut apporter un changement durable est très stimulant. C'est d'autant plus vrai lorsqu'au quotidien, on souhaite que les choses changent dans le système et que ça n’arrive jamais. Cela nous empêche de voir toutes les opportunités quotidiennes que nous avons de faire les changements que nous voulons et d'avoir la vie que nous voulons.»

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