«Certaines populations sont sous-représentées de manière chronique dans les études cliniques»

Pourquoi est-il important d’inclure les notions de race et d’ethnicité dans les études cliniques? Il y a un double enjeu. D’abord scientifique, car plus une population est diverse, plus on va pouvoir comprendre les mécanismes des pathologies, savoir pourquoi certaines personnes répondent mieux à certains traitements et d’autres pas, et comment on pourrait développer de nouvelles cibles thérapeutiques. Je pense que c’est l’aspect le plus important. L’autre enjeu est social: il faut que tous les segments de la population puissent bénéficier de manière égale, autant que faire se peut, des innovations en recherche, et notamment en génomique et génétique. Cela afin d'éviter d’exacerber les inégalités qui existent déjà, comme la distribution sociale et ethnique de la maladie, des facteurs de risques et de l’accès des gens aux médicaments. Notre recherche, nos études cliniques sont-elles aujourd’hui inclusives?Absolument pas. Certains segments de la population restent sous-représentés de manière chronique dans les études cliniques. Et je ne parle pas seulement de race et d'ethnicité, mais aussi de l’âge par exemple. De manière générale, on voit peu de personnes âgées, pas d’enfants ni de femmes enceintes dans les essais cliniques. On va donc inférer que le résultat obtenu par un «individu moyen» sera le même pour toutes les populations. Or, ce n’est pas le cas. Aux États-Unis, la Food and Drug Administration (FDA) et un certain nombre d’organismes réglementaires ont mis en place une politique pour pousser les chercheurs et les industriels à recruter davantage de patients issus de la diversité dans les essais cliniques. Je pense que ces réglementations ont mené à une certaine évolution. Mais ce n'est souvent pas assez. Quand on regarde, proportionnellement à la taille de la population et au fardeau de la maladie chez certaines populations, on observe par exemple une surmortalité des Noirs-américains liée aux maladies cardio-vasculaires (MCV) et aux cancers. À lire aussi: Quiz sur les discriminations en santéAu Canada et au Québec, il reste beaucoup de chemin à faire car il n’y a pas vraiment de réglementation spécifique contraignante qui exige que l’essai clinique soit représentatif et qu’il inclue les grandes ethnicités présentes dans la population. Cela n’existe pas chez nous, même si des lignes directrices indiquent aux chercheurs comment évaluer des résultats d’essais cliniques selon les différences ethniques. Cela évolue doucement: on parle de plus en plus de l’équité/diversité/inclusion, même si ce sont davantage des paroles que des actes. On voit aussi de plus en plus d’essais cliniques multicentriques, dont l’investigateur principal va être canadien mais le recrutement se fera sur plusieurs sites à travers le monde afin d’inclure une plus grande diversité de population. Ce procédé permet in fine de comprendre si le résultat observé ou l’impact d’un médicament est similaire ou non selon les populations. Et, s’il y a une différence, essayer de comprendre pourquoi. Enfin, l’année dernière, le JAMC a publié de nouvelles lignes directrices sur la déclaration de la race et de l’ethnicité dans les articles de recherche. Ce type de prise de position est important pour que les gens prennent conscience des enjeux. Pourquoi les populations les plus vulnérables ne sont-elles pas mieux représentées dans les essais? Il faut d’abord prendre en considération le facteur individuel. Historiquement, la recherche, notamment génétique et génomique, a commis des abus sur certaines populations, qui peuvent aujourd’hui se méfier de la science et des chercheurs. Il y a aussi des aspects structurels, liés aux biais des personnes chargées du recrutement, notamment dans les grands centres de recherche. Ils peuvent se dire, par exemple, que «ce type de personne ne sera pas fiable et ne suivra pas l’étude jusqu’à la fin». Dans certains cas, cela peut s’avérer vrai, car c’est un constat basé sur l’expérience du professionnel de santé. Cela n’empêche que ces biais peuvent se perpétuer sans être remis en question. À lire aussi: Entrevue avec la Dre Theresa Tam: «Nos systèmes de santé ne sont pas assez inclusifs»Enfin, les industriels ne mettent pas suffisamment de moyens pour aller chercher ces gens-là. Il ne faut pas utiliser les moyens de recrutement classiques, mais prendre le temps d’aller au sein des communautés, de discuter avec les populations et de leur expliquer pourquoi il est primordial qu’elles participent à cette étude. Si on leur démontre que c’est vraiment utile, ça pourrait booster leur participation. Aux États-Unis, on va dans les églises, par exemple, pour mieux mobiliser les membres de la communauté et créer un lien de confiance. L’important est donc de sensibiliser les personnes qui recrutent, ainsi que les populations concernées.Il faut aussi pointer le manque de recherches sur la question, particulièrement au Canada…La majorité des résultats dont on dispose viennent en effet des États-Unis, du Royaume-Uni ou encore d’Australie, mais beaucoup moins du Canada et du Québec. Nous sommes en retard, et certains collègues montent au créneau pour dénoncer cela. S’il n’y a pas de recherche, il y aura inévitablement un manquement dans la formation des professionnels sur ces aspects-là, mais aussi dans la manière dont ils vont aborder la maladie et prendre en charge leurs patients.Je vais vous donner un exemple personnel: les personnes nées au niveau des tropiques, comme dans mon cas, peuvent présenter une déformation des globules rouges, appelée drépanocytose, qui permet de lutter contre certaines menaces comme le paludisme. Ce n’est pas une pathologie très connue ici. Mon médecin pensait que je faisais de l’anémie, alors qu’il s’agissait d’une déformation normale. Lorsque je lui ai parlé de la drépanocytose, il a compris. Il faut donc que les professionnels s’éduquent, au risque de prescrire une batterie de tests inutiles à leurs patients. Je reconnais qu'il est presque impossible pour eux de connaître tous les facteurs d’hétérogénéité, et le brassage croissant des populations complique les choses. Les gens bougent beaucoup; il y a de moins en moins de populations homogènes. Mais l’une des solutions est justement d’impliquer ces segments de la population dans les études cliniques. Cela permettrait de constater les différences de phénotypes ou de manifestations cliniques, et surtout que ces éléments soient présents dans la littérature scientifique, et donc pris en compte par les professionnels.Faut-il donc suivre le modèle à l’américaine, avec une réglementation stricte?On dit souvent que 86 à 88% des études actuelles sont eurocentrées. Mais je suis assez opposé à l’idée d’instaurer une sorte de quota de diversité dans les études. Il faut selon moi faire les efforts qu’il faut pour inclure le plus de monde possible. Or, quand on oblige les industriels ou les promoteurs d’essais cliniques à inclure un certain nombre de patients d’origines diverses - et c’est le problème aux États-Unis - ça va être 5% par ci, 3% par là. Et quand on mène ensuite des analyses purement statistiques, on n’est pas capable de sortir des résultats pertinents avec 3% d’un échantillon, à moins que ce soit un échantillon de 30 millions de personnes – ce qui n’est pas le cas en général.On a donc tendance à mettre les données de ces personnes-là de côté ou à les amalgamer face à celles de race blanche. On perd la richesse de diversité qu’on recherchait. À lire aussi: Savoir reconnaître ses biais pour s’en protégerÇa doit être un effort collectif au niveau des chercheurs et des financeurs de la recherche. D'ailleurs, nous travaillons actuellement sur la toute première Bibliothèque pancanadienne du génome humain, un projet financé par les instituts de recherche en santé du Canada, incluant une composante sur la diversité en génomique. Vous dites enfin que tout ne se résume pas à la race ou à l’ethnie, mais qu’un discours de santé globale est nécessaire…Pour pouvoir comprendre la maladie ou les problèmes de santé, il faut comprendre les déterminants exogènes et endogènes. Il est assez rare d’avoir un trait génétique spécifique à une population faisant en sorte qu’elle est prédisposée à telle ou telle maladie, puisque tous les êtres humains sont génétiquement identiques à 99,99%. Il existe donc de légères disparités. On sait ainsi qu’être de race noire est un facteur de risque concernant les MCV comme les infarctus du myocarde ou les AVC, mais aussi certains types de cancers comme celui du sein et de la prostate. Le plus important est de tenir compte des différents déterminants en santé. Certains sont proches de la maladie comme l’hypertension, l’obésité, le diabète de type 2 – dont on sait qu’ils peuvent aboutir à des complications plus graves voire à des décès… D’autres facteurs sont mésologiques, comme l’environnement dans lequel les gens vivent – est-ce un quartier défavorisé, ont-ils un accès à une nourriture saine, aux soins et aux services… Enfin, il existe des déterminants distaux comme le système politique et les orientations sociales du pays dans lequel on se trouve.

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