Cas prise de tête: une amputation du doigt évitée en dernier recours

Une fois éliminé tout ce qui est plausible, il reste les options plus improbables à explorer. Ce principe de base a amené le Dr François Marquis à poser un des diagnostics «les plus fous» de sa carrière d’interniste. Un moment eurêka qui a évité une conséquence nuisible et irréversible à un patient qui allait être amputé d’un doigt, inutilement.Le jeune homme en question était hospitalisé depuis près de deux semaines à l’unité de médecine interne de l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont. Il souffrait d’une arthrite septique au niveau d’une des jointures de l’annulaire droit et on l’avait mis sous antibiothérapie orale puis intraveineuse. En vain.«Les traitements endormaient l’infection, sans la guérir. La gangrène progressait lentement, mais sûrement», relate le Dr Marquis qui a été amené à prendre en charge ce patient dès lors qu’il a pris la responsabilité de l’unité. «Le consensus était qu’il fallait l’amputer pour stopper l’infection. Le patient était en réflexion», se souvient le clinicien.À lire aussi: L'antibiorésistance: où en sommes-nous?Jusque-là, ses collègues avaient tout essayé. Cultures de pus, hémocultures... Le travail avait été bien fait, mais n’avait rien donné. Ils étaient dans l’impasse et s’étaient résolus à l’amputation. «C’était l’urgence dans ma tête. Je ne pouvais pas croire qu’on allait lui couper le doigt sans savoir à cause de quoi», raconte le Dr Marquis.Il se rend donc au chevet du patient pour lui poser quelques questions. «Il avait la vie banale d’un étudiant extrêmement tranquille. Il n’avait aucun facteur de risque particulier.» Au niveau des antécédents médicaux, l’homme en début de vingtaine était traité pour une maladie de Crohn avec un agent inhibiteur du TNF-alpha, l’infliximab, pour ne pas le nommer, qui avait fait son entrée sur le marché canadien deux ou trois ans plus tôt. Ça a tout de suite fait tilt.L’interniste réussit à convaincre le chirurgien plasticien de réaliser une nouvelle biopsie afin de prélever du tissu articulaire plutôt que du liquide. Il envoie le prélèvement en microbiologie en demandant un diagnostic bactériologique de la tuberculose. Et là, bingo!Le Dr Marquis va alors vivre son «moment Dr House», en référence à la série télé éponyme, «ce moment où le patron pose la question qui semble ne faire absolument aucun sens». Il demande ainsi au patient s’il possède un aquarium. Il lui répond que non, mais qu’il fait régulièrement l’entretien de l’aquarium de son oncle. «Vous êtes-vous coupé le doigt sur du corail?» L’étudiant répond cette fois-ci par l’affirmative, en précisant que cela remonte à un mois environ.Il souffrait en fait d’une mycobactérie, dénommée Mycobacterium marinum, qui cause une forme de tuberculose du poisson et que l’on retrouve dans l’eau des aquariums mal entretenus. Résistant et peu sensible aux antibiotiques classiques, ce pathogène est responsable de la maladie dite des aquariophiles – également appelée «granulome des aquariums» – , car il peut se transmettre par le biais de lésions, même minimes, présentes sur la peau. Raison pour laquelle le port de gants est recommandé lors du nettoyage d’un aquarium. En l’occurrence, le jeune homme n’en avait pas mis.À contresensLe Dr Marquis a été mis sur la piste de la mycobactérie par l’infliximab, connu pour être un facteur de risque de développer une tuberculose. «C’est l’avantage d’arriver avec un regard neuf sur un dossier. On peut attraper des éléments différents», explique l’interniste également intensiviste.À consulter: Un rappel amical d’arrêter de tuer les gensDans ce cas-ci, il fallait selon lui réfléchir à contresens. «On pense que les mycobactéries comme la tuberculose causent des maladies pulmonaires, mais elles peuvent tout attaquer, comme provoquer une infection hyper localisée dans une articulation.» L’autre enjeu en pareille circonstance demeure que «les mycobactéries causent des infections dont les bactéries sont difficiles à cultiver», souligne le clinicien qui en a conclu que «la seule infection qui pouvait ne pas répondre aux cultures déjà effectuées était de la famille de la tuberculose».Une fois le bon diagnostic posé et les bons antibiotiques administrés, le patient a guéri rapidement, tout en conservant son doigt. Au grand soulagement de tous les médecins impliqués, qui n’étaient pas très à l’aise à l’idée qu’il perde son annulaire.Un patient vous a donné du fil à retordre, que ce soit pour établir son diagnostic, trouver le bon plan de traitement ou pour toute autre raison qui sort de l’ordinaire? Vous voulez présenter ce cas particulier à vos pairs médecins de famille ou spécialistes? Contactez notre journaliste Geoffrey Dirat et racontez lui votre histoire.

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