Cancer: des progrès au Canada, un signal d’alarme pour le Québec

Publié conjointement par la Société canadienne du cancer, Statistique Canada et l’Agence de la santé publique du Canada, le rapport Statistiques canadiennes sur le cancer 2025 dresse un portrait en apparence paradoxal. Le nombre de nouveaux cas continue d’augmenter, porté par le vieillissement de la population, tandis que la mortalité recule et que la survie s’améliore pour plusieurs tumeurs majeures, montre ce document de 117 pages publié ce lundi matin.Pour le Dr Denis Soulières, hématologue-oncologue et porte-parole scientifique et médical de la Société canadienne du cancer (SCC), ce contraste est désormais bien documenté. «On voit que, même si le nombre de cas augmente, la mortalité, elle, diminue globalement», explique-t-il. La proportion de patients qui décèdent de leur cancer serait passée d’environ 30% il y a une quinzaine d’années à 22–25% aujourd’hui, selon le professeur titulaire de clinique à l’Université de Montréal.Mais derrière ces progrès, le rapport 2025 envoie aussi des signaux d’alerte. Les taux d’incidence ajustés sur l’âge ne diminuent pas et restent particulièrement élevés dans l’Est du pays, en particulier au Québec. «C’est un wake-up call pour ajuster le système de santé en fonction d’un problème clair de santé publique. […] En sachant les projections pour 2025, est-ce que le gouvernement est en mesure de dire qu’il peut offrir des soins à tous les nouveaux cas de cancer en temps opportun? C’est la question que ces chiffres soulèvent», insiste le Dr Soulières.Survie globale en hausseLa survie à 5 ans atteint désormais 64% au Canada. Une progression lente, mais continue, portée par un dépistage plus précoce et par l’arrivée de traitements qui améliorent le pronostic de plusieurs cancers majeurs. Pour le porte-parole de la SCC, cette amélioration est tangible dans les trajectoires de soins. «Diagnostiquer plus tôt veut dire aussi une plus grande probabilité de survie», rappelle-t-il.Au-delà des exemples emblématiques, le phénomène est général. Pour l’hémato-oncologue qui a longtemps pratiqué au CHUM, cette évolution reflète un changement structurel: meilleure détection, meilleurs traitements et prise en charge plus rapide pour plusieurs cancers fréquents. «On demeure avec des facteurs de risque importants, mais la survie post-diagnostic, elle, s’améliore de façon nette», poursuit-il.Baisse de la mortalité pour plusieurs cancers majeursLe rapport 2025 confirme une diminution continue de la mortalité liée au cancer au pays. Cette tendance est portée par les progrès thérapeutiques accomplis depuis deux décennies dans plusieurs domaines clés. En oncologie mammaire, la transformation est majeure. La survie médiane des patientes vivant avec une maladie métastatique atteignait environ 12 mois il y a 30 ans. Elle approche désormais les 36 mois. Une progression «clairement attribuable aux thérapies ciblées et à une meilleure stratification des patientes», souligne le Dr Soulières. Le même changement de cap est observé en oncologie thoracique. L’arrivée des inhibiteurs de points de contrôle a modifié la trajectoire naturelle du cancer du poumon avancé. La survie médiane y a presque doublé, avec des réponses plus durables chez une proportion croissante de patients. «C’est un domaine où l’impact clinique est évident», rappelle le spécialiste en oncologie de la sphère ORL.Le rapport 2025 montre aussi une baisse de la mortalité pour le mélanome, certains cancers digestifs et le cancer de la prostate. Les campagnes de sensibilisation sur l’exposition solaire semblent commencer à produire un effet mesurable, avec une incidence du mélanome qui se stabilise, voire diminue dans certaines cohortes. «On voit que des interventions de santé publique peuvent réellement infléchir les courbes», résume le porte-parole de la SCC.À lire aussi: Cancers précoces: plus de diagnostics, pas plus de décèsVieillissement démographique et cancers plus précocesLa hausse du nombre total de cas observée au pays reflète en partie le vieillissement de la population, mais les taux d’incidence ajustés sur l’âge ne montrent pas de diminution notable. «On demeure avec un fort niveau de facteurs de risque», rappelle le Dr Soulières. «Et l’incidence totale, elle, n’a pas diminué de façon particulière.»Dans l’Est du pays, la pression épidémiologique est plus marquée. Les projections situent le Québec en tête pour l’incidence normalisée, tant chez les hommes que chez les femmes. Terre-Neuve-et-Labrador et la Nouvelle-Écosse affichent également des valeurs élevées, un profil attribuable à des tendances historiques bien connues. «Ce n’est pas que le cas du Québec. C’est à peu près le cas pour toutes les provinces de l’Est», note l’hémato-oncologue. La dynamique est aussi générationnelle. Plusieurs cancers considérés comme «plus tardifs» apparaissent désormais plus tôt dans la vie. Le Dr Soulières observe depuis quelques années une augmentation de certains cancers dans la tranche des 30 à 50 ans. Parmi les facteurs évoqués: obésité, sédentarité, consommation de tabac et d’alcool plus précoce. «On voit augmenter plusieurs types de cancer dans une tranche d’âge de 30 à 50 ans qu’on ne voyait pas avant», souligne-t-il.TINA 2025 et nouveaux cas (tous cancers confondus)Province / TerritoireTINA 2025(pour 100 000)Nouveaux casTINA 2025 hommesTINA 2025 femmesQuébec663,966 600727,4618,4Terre-Neuve-et-Labrador635,44 200676,8600,4Nouvelle-Écosse617,27 600670,1585,7Ontario598,797 100652,5558,9Île-du-Prince-Édouard585,71 150675,5518,2Canada (total)584,8254 800663,6557,4Alberta582,724 600638,2568,9Manitoba576,27 800640,4524,7Nouveau-Brunswick568,95 600632,6518,4Saskatchewan553,56 400605,7509,2Colombie-Britannique545,233 000617,8484,3Territoires*406,860——* Territoires = Yukon + Territoires du Nord-Ouest + Nunavut (regroupés).Source : Rapport Statistiques canadiennes sur le cancer 2025.Précision méthodologique : Le TINA national exclut dans ses calculs historiques le Québec après 2017 et la Nouvelle-Écosse après 2019, mais intègre des projections pour toutes les provinces en 2025, ce qui permet les comparaisons interprovinciales. Incidence en hausse et profil particulier de l’Est du paysMalgré les progrès en survie, l’incidence du cancer continue de progresser au Canada en 2025. Plusieurs tumeurs fréquentes - poumon chez la femme, pancréas, cancers digestifs - sont en hausse.Le phénomène est particulièrement visible dans l’Est du pays, où les taux projetés pour 2025 demeurent supérieurs à la moyenne canadienne. Le Québec arrive en tête pour l’incidence normalisée, un constat qui «frappe lorsqu’on compare avec le reste du Canada», note le Dr Soulières. Terre-Neuve-et-Labrador et la Nouvelle-Écosse affichent elles aussi des valeurs élevées.L’arrivée de données québécoises plus complètes, après des années de lacunes dans le registre provincial, contribue également à mieux cerner l’ampleur réelle du phénomène. «Pendant de très nombreuses années, on n’avait pas de données québécoises. Maintenant qu’on en a, il faut agir en fonction de ces chiffres», rappelle le porte-parole de la SCC.Retards, délais et trajectoires de soinsSelon le Dr Soulières, les projections 2025 ne reflètent plus les retards liés à la pandémie. Les enjeux actuels concernent surtout la capacité du réseau à respecter les délais cliniquement nécessaires. «On a encore beaucoup de questionnements par rapport à l’accès initial pour aller vers un diagnostic. C’est là-dessus qu’il faut mettre beaucoup d’emphase.»Les séquences recommandées demeurent difficiles à tenir: diagnostic dans les deux semaines, chirurgie dans les quatre à huit semaines, traitements dans les 8 à 12 semaines.«Si on était capables de respecter ces délais, on réduirait davantage les années de vie perdues», souligne-t-il. Ces enjeux résonnent directement avec les conclusions de l’étude internationale VENUSCANCER, qui montre combien les délais d’investigation et de traitement influencent la survie et les stades au diagnostic dans les cancers du sein, du col et de l’ovaire (voir encadré en bas de page). Le rapport 2025 souligne également la stagnation de certains cancers évitables, comme celui du col de l’utérus.À lire aussi: Cancer du col: un objectif d’élimination encore hors de portéeUn rattrapage indispensable au QuébecPendant des années, le Québec ne pouvait pas contribuer pleinement aux analyses pancanadiennes faute de données consolidées. Le registre provincial, en reconstruction depuis près de vingt ans, limitait la planification des ressources. Les informations désormais intégrées au rapport 2025 témoignent d’un progrès réel, mais elles restent incomplètes.Pour le Dr Soulières, l’enjeu est majeur. «Pendant de très nombreuses années, on n’avait pas de données québécoises», rappelle-t-il. Aujourd’hui, chaque hôpital transmet des données structurées sur les diagnostics, les traitements initiés et les décès, permettant d’établir des projections crédibles.Mais ce rattrapage demeure fragile. «Sans données, on travaille dans le vide», insiste le professeur de clinique. Selon lui, le Québec ne dispose toujours pas d’un mécanisme pour déterminer, par type de tumeur, les capacités nécessaires en chirurgie, oncologie médicale ou radio-oncologie. «Je ne pourrais pas vous dire qu’il existe un plan provincial pour ajuster les ressources en fonction des cas attendus», dit-il.Pour le Dr Soulières, la trajectoire est claire: le Québec devra renforcer ses capacités diagnostiques et thérapeutiques pour absorber la croissance attendue du nombre de cas. Le rapport 2025, dit-il, rappelle surtout qu’il faut agir dès maintenant pour éviter un décalage durable entre les besoins de la population et les ressources disponibles.

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