«Avons-nous perdu le sens de la relation?»

« Une parole adressée à l’âme des patients autant qu’à celle des soignants. » Voilà l’intention derrière le livre Guérir est humain – Pour une prescription de la relation (Médiaspaul), que vient de cosigner le Dr Paul Grand’Maison. Son expérience d’aidant naturel a été déterminante. « Si vous avez la chance d’accompagner un proche en fin de vie ou souffrant d’une maladie chronique, faites-le, et pour lui et pour vous. » Le Dr Paul Grand’Maison. Photo : Julye FortierLe Dr Grand’Maison, 65 ans, a vécu une expérience personnelle majeure qu’il qualifie de « transformationnelle ». Sans la maladie de son épouse Nicole, atteinte d’un cancer, qu’il a accompagnée durant près de 10 ans jusqu’à son décès, il aurait encore pu continuer à parler bien longtemps, et avec enthousiasme, précise-t-il, de médecine familiale, de formation universitaire et autre. « Mais la vraie vie m’appelait ailleurs », raconte à Profession Santé celui qui se définit comme « médecin par formation, médecin de famille par profession, professeur par vocation, éducateur médical par passion et administrateur par évolution ».Le Dr Grand’Maison dirige le Bureau des relations internationales de l’Université de Sherbrooke. Six mois après que son épouse Nicole eut reçu un diagnostic de cancer du sein, lui-même subissait un léger infarctus, en 2002. « Comme médecin, je me croyais à l’abri. Et voilà que nous nous retrouvons tous deux aux prises avec des maladies chroniques, graves et potentiellement mortelles. Nous avons cheminé ensemble. »À situation nouvelle, possibilités nouvelles. D’une part, ce coup de semonce l’amène à mieux prendre en charge sa propre santé, avec perte de poids, entraînement régulier et autre. D’autre part, un enchaînement d’événements le conduit à lire puis à rencontrer le philosophe Jean Proulx, en 2012, auteur du livre Artisans de la beauté du monde.Tous deux se lancent dans une co-création, « lui avec son expérience de patient et son approche philosophique, moi avec mon expérience de médecin-enseignant, de soignant professionnel et d’aidant naturel », précise le Dr Grand’Maison.Étapes du deuilLeur livre commun, Guérir est humain, l’a aidé à faire son deuil, dont il récapitule les trois étapes :apprendre à vivre seul;être seul et réapprendre à vivre (prendre une bière avec un ami, retrouver le plaisir d’aller au cinéma);être seul, vivre et s’ouvrir à d’autres possibles.Et comme un bonheur ne vient jamais seul, arrivent pour lui des petits-enfants et la rencontre d’une compagne qu’un ami lui a présentée. En passant, il trouve agressante l’expression « tu as refait ta vie » qu’on lui adresse parfois. « Je ne la refais pas, je la poursuis ! », rectifie-t-il.Tous ces événements combinés ont approfondi ses réflexions sur la vie et la mort, avec un sentiment d’urgence, affirme-t-il, celui de mettre de l’avant la spiritualité. « Ces épreuves m’ont rendu plus complet, plus à l’écoute, moins exigeant, plus conscient de mes proches, enfants, petits-enfants, amis. »La spiritualité, dans son esprit, est aussi liée à la beauté du monde, qui doit se refléter également dans le monde relationnel. « Je crois en quelque chose de plus grand que moi, avec continuité dans le temps, quelque chose en lien avec le sens profond de la vie et des épreuves qu’elle entraîne. » La beauté du monde va de pair avec le courage d’être, la sagesse aussi, dont celle de reconnaître ses limites, de faire de bons choix et de savoir parfois laisser aller les choses. « Elle va surtout avec l’amour et la relation humaine, comme la tendresse entre un homme et une femme. »À ce propos, le Dr Grand’Maison aime citer Alfred de Musset : « Je ne sais pas où va mon chemin, mais je marche mieux quand ma main serre la tienne. »La spiritualité croise aussi le chemin de la médecine, poursuit-il, par la promotion de soins compatissants et globaux. « Elle aide la personne à vivre avec sa souffrance en lui donnant un sens, offre consolation et réconfort, et parfois guérison. »Mais quand il regarde l’état de la médecine au Québec, le Dr Grand’Maison avoue spontanément : « J’ai mal à ma profession ! Mal de l’image publique d’une médecine trop orientée vers l’argent, d’une profession où les mots performance et efficience ont plus de poids que la compassion et l’empathie, qui semblent avoir diminué dans notre groupe professionnel. » Pourtant, ajoute-t-il du même souffle, bien des docteurs que je connais, dont ceux qui ont pris soin de Nicole et mon propre médecin de famille, sont dévoués.Il est vrai que l’augmentation vertigineuse des revenus médicaux des dernières années a quelque chose d’indécent au plan social, poursuit-il. « Quand nous en parlons en famille ou ailleurs, je ressens un malaise. Une hausse de 60 % sur un salaire de 200 000 $, ça n’a rien à voir avec une augmentation de 15 % au fil des ans sur un salaire de 40 000 $. Surtout que payer toujours plus le docteur n’a pas eu d’impact sur l’offre de services ni sur la qualité de la médecine. Nous, médecins, avons beaucoup reçu, nous pouvons donner beaucoup. »J’ai mal à ma profession, poursuit le Dr Grand’Maison, mais je n’en suis pas découragé. « Seulement, elle a un sérieux recentrage à faire sur la compassion et le bien-être du patient, sur l’accompagnement aussi, tout en gardant la compétence clinique et professionnelle. » Et cela vaut d’autant plus pour la présence aux malades chroniques et les soins de fin de vie, ajoute-t-il. Remettre de la beauté en médecine, selon lui, c’est recentrer les services pour répondre aux vrais besoins et s’occuper des populations négligées. « Ça implique de résister à la tentation de se bâtir une petite clientèle facile, car en médecine, on peut presque choisir sa clientèle. »BilanLe Dr Grand’Maison prendra sa retraite en 2018. Est-ce dur de laisser la place aux jeunes ? « C’est plus facile de le faire à 65 ans qu’à 55, mais j’espère que ce que j’ai entrepris ne tombera pas à mon départ. Je crois à la continuité, je crois à la relève. » Il a en tête le Centre collaborateur de l’OMS/OPS de la faculté de médecine et des sciences de la santé de l’Université de Sherbrooke, qu’il a mis en place en 2001. Il en est le directeur adjoint.« J’aurais aimé offrir à mes patients ce que je suis devenu aujourd’hui, qui je suis maintenant », confie le médecin à l’automne de sa vie. Ses propos évoquent d’ailleurs le bilan, voire l’examen de conscience :Comme clinicien, ai-je toujours écouté mes patients ?Comme enseignant, ai-je ouvert l’esprit de mes étudiants, leur ai-je bien inculqué l’engagement à l’autre, à tenir la main du patient ?Comme administrateur (vice-doyen), ai-je veillé à l’équilibre de mes décisions entre compétences scientifique et humaine ?« Moi qui suis aussi un peu pédant, admet-il avec un brin d’autodérision, avec un côté grand professeur et grand docteur, je suis devenu une meilleure personne, un meilleur ami, acceptant aussi qu’on me tienne la main. Je suis plus prêt à me dévoiler et je dis que le spirituel est important. »Le Dr Grand’Maison reviendra à plusieurs reprises sur la spiritualité. Que manque-t-il lorsque tout est là ? « Chercher le sens de ce qui est plus grand que soi, dans un appel à se dépasser, à se détacher des choses au besoin. Nous avons laissé aller la religion, mais il faut cultiver la spiritualité, qui est une flamme, un incitatif à viser plus haut. Oui, j’ai un rôle à jouer pour mettre plus de beauté dans ce monde, et ça passe par la spiritualité. »Pour le Dr Grand’Maison, la spiritualité n’est pas juste un héritage à transmettre, elle doit surtout être une découverte. Non pas juste provenir du divin, comme dans le passé, mais émerger aujourd’hui par les actions des êtres humains, qui deviennent eux-mêmes porteurs de spiritualité. Sans nier toutes les traditions qui nous entourent, ou qui parfois aussi nous encombrent, ne faut-il pas à ce chapitre constamment repartir de zéro ? Pour lui, la prescription de la relation fait partie intégrante du chemin vers la spiritualité.Le Dr Grand’Maison établit d’ailleurs un certain lien avec le burn-out, qu’on dit très élevé chez les soignants. « Et si l’épuisement professionnel provenait, au moins en partie, du fait d’avoir perdu le sens de la relation ? À trop s’éloigner de son désir initial d’aider les gens, on risque de devenir cynique. »

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