Antidépresseurs: les effets psychologiques et sociaux du sevrage ne doivent pas être sous-estimés

«Notre connaissance des impacts du sevrage des antidépresseurs, au-delà des effets secondaires physiques, est limitée.» C’est par ce constat que les chercheurs des universités de Bath et de Bristol, au Royaume-Uni, débutent leur étude, publiée récemment dans la revue Health Expectations. Leur objectif: étudier les expériences et le point de vue des patients sous antidépresseurs concernant le sevrage et la manière dont celui-ci a affecté leur vie quotidienne. Selon les chercheurs, «les effets de sevrage sont ressentis par plus de la moitié des personnes qui tentent d’arrêter de prendre des antidépresseurs», que les effets soient de courte ou longue durée, légers ou plus prononcés. «Une revue systématique a même révélé que 46% des personnes en sevrage d'antidépresseurs considéraient leurs symptômes comme extrêmement sévères, un nombre considérable de personnes présentant ces symptômes pendant plus de deux semaines, et dans certains cas plusieurs mois», poursuivent les chercheurs dans leur rapport d’étude. Cela explique pourquoi certains patients continuent de prendre leurs antidépresseurs même une fois remis de leur dépression.«La relation patient-médecin généraliste joue un rôle crucial» dans le sevrageComme le montrent des travaux antérieurs, l'arrêt des antidépresseurs provoquent davantage de cas de syndrômes de sevrage que n'importe quel autre médicament. Mais même si la difficulté du sevrage est bien documentée, surtout ses effets physiques, les patients ont le sentiment que nombre de leurs symptômes ne sont pas suffisamment reconnus, compris ni bien pris en charge par leurs médecins, rapportent les chercheurs des universités de Bath et de Bristol. Pourtant, «la relation patient-médecin généraliste joue un rôle crucial dans la décision des patients de continuer ou d'arrêter les antidépresseurs», rappellent-ils.Pour y voir plus clair, ces derniers sont donc allés chercher l’information à la source, en recueillant l’expérience de sevrage de 20 patients, via des entretiens semi-structurés réalisés entre juin 2022 et février 2023. Après avoir annoncé l'étude sur les réseaux sociaux des auteurs, sur le campus de Bath et auprès des étudiants à la recherche, les participants ont été retenus sur plusieurs critères: être âgé de 18 à 65 ans, avoir déjà reçu un diagnostic de dépression et avoir pris un inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine (ISRS) pour traiter la dépression pendant plus de 6 mois. À lire aussi: Antidépresseurs: les cliniciens ne devraient pas sous-estimer les risques de sevrageEn outre, leur sevrage devait dater de moins d'un an et avoir duré moins d'un mois. Au moment des entretiens sur leur plus récente tentative de retrait, les participants étaient encore sous anti-dépresseurs (11 sur 20) ou avaient réussi à les arrêter – aucun n'était donc en cours de sevrage. Alors que 7 personnes interrogées sur 10 ont affirmé avoir réduit progressivement leur prise d'antidépresseurs au moment du sevrage, 13 participants présentaient une dépression modérée à sévère jusqu'à un an après leur tentative de sevrage. De nombreuses conséquences sur la santé émotionnelle et les relations humainesParmi les raisons ayant poussé les participants à arrêter leur traitement – outre les effets secondaires physiques (comme le dysfonctionnement sexuel) –, ceux-ci ont souvent évoqué les effets sur leurs relations personnelles. Venaient ensuite la peur de devenir dépendants aux antidépresseurs, l'altération de leurs émotions et la difficulté à se procurer leurs médicaments ayant mené à la non-observance.Au total, les auteurs ont identifié cinq thèmes principaux à l'issue de de ces entretiens:L'impact émotionnel et cognitif à double tranchant Après l'arrêt du traitement, les patients étaient heureux de ressentir davantage d'émotions, même si certains ont confié se sentir submergés par l'intensité de celles-ci. Par ailleurs, des patients on vu ressurgir des souvenirs qu'ils croyaient effacés. Même si les pensées négatives et les difficultés de concentration étaient fréquentes, plusieurs participants ont constaté une augmentation des pensées positives. «C'était un peu instable et les choses me bouleversaient plus facilement qu'avant», «Je dirais que je pensais très négativement. Ainsi, par exemple, avec mon travail de doctorat, j'ai eu une crise de confiance totale et je pensais que tout le monde ne savait pas ce que je faisais», expliquent par exemple les participants. L’impact négatif sur les relations socialesPlus de la moitié des patients ont fait état de la détérioration de leurs relations intimes à cause de leur incapacité à réguler leurs émotions, certains préférant parfois cacher le sevrage à leurs proches. L'un d'eux a même reconnu avoir été «tellement sensible et irritable que c'était devenu plus effrayant pour [sa famille] d'avoir affaire à [lui].» Quelques proches ont d'ailleurs dit qu'ils préféreraient que les patients reprennent leur traitement.Des participants ont également confié qu'ils se sentaient plus détachés et moins empathiques et avaient tendance à se replier sur eux-même, les situations sociales leur semblant «laborieuses». Les impacts sur la santé physiqueSelon les témoignages recueillis, les auteurs ont identifié à la fois des conséquences positives et négatives sur la santé physique globale. Par exemple, de nombreux patients ont choisi de se tourner vers l'exercice physique pour gérer les effets négatifs du sevrage, et ont adopté de meilleures habitudes alimentaires après avoir retrouvé l'appétit. «À chaque fois que j'ai essayé d'arrêter [les antidépresseurs], j'ai perdu du poids et à chaque fois que j'ai repris, mon appétit n'était jamais comblé. Je ne me sens jamais rassasiée lorsque je suis sous traitement. Aujourd'hui, je vais beaucoup mieux et je me sens rassasié lorsque je prends un repas», explique l'un d'eux.Toutefois, «tous les participants ont déclaré avoir ressenti des effets secondaires physiques pendant le sevrage» ayant perturbé leur vie sociale, comme «de la fatigue et des nausées, des problèmes de sommeil, notamment des cauchemars, des sueurs nocturnes et des rêves intenses, de la diarrhée, de l'akathisie (difficulté à rester tranquille, ndlr), des vomissements, des zaps cérébraux et sensations électriques, de la transpiration, des bourdonnements d'oreilles, des maux de tête, des étourdissements et des douleurs articulaires.»L’importance du soutien de l’entourage médical et familialGlobalement, les patients font état d'un manque de soutien et de compréhension de la part de leur entourage, conduisant à «un sentiment de rejet et d'incompréhension», estiment les auteurs. «J'ai perdu beaucoup de mes amis. Et les amis que j'avais, je n'étais pas très enthousiaste car ils ne comprenaient pas vraiment mes problèmes de sevrage», a par exemple confié l'un des participants. À l'inverse, les patients ont ressenti un réel soutien lorsque leurs proches étaient déjà sensibilisés ou eux-mêmes concernés par des problèmes de santé mentale.Mais le soutien familial n'est pas le seul à être primordial dans ces périodes de sevrage: les professionnels de la santé ont leur rôle à jouer. «Les participants ont estimé que même si les médecins généralistes étaient globalement "gentils et solidaires", leur implication était minime pendant le sevrage», écrivent les auteurs. Des propos appuyés par ce témoignage: «J'ai donc consulté 6 médecins et je dirais que seul un sur six a reconnu que les antidépresseurs pouvaient provoquer des symptômes de sevrage.» Les patients réclament aujourd'hui davantage de sensibilisation, d'implication et de soutien émotionnel de la part des professionnels de la santé, ainsi qu'une meilleure disponibilité des ressources pour gérer le sevrage au mieux. L’importance de réduire progressivement et de manière flexible le traitement Le timing est essentiel pour un bon sevrage: la majorité des participants se sont accordés sur ce point. Choisir le bon moment, et ne pas se précipiter. Les effets négatifs et positifs du sevrage se sont manifestés à différents moments selon les patients, immédiats pour certains et tardifs pour d'autres. Mais tous affirment qu'un accompagnement médical est indispensable pour cesser progressivement les antidépresseurs. «Le sevrage sans surveillance était définitivement une erreur», estime l'un des patients.Ainsi, «l'expérience vécue du sevrage a un impact significatif sur le bien-être des individus», concluent les auteurs de l'étude. Autrement dit, les conséquences du sevrage ne sont pas seulement physiques, mais bel et bien psychologiques, avec des répercussions sur la vie émotionnelle et sociale appréhendées de manière différente par chaque patient. «Lorsqu’ils discutent du sevrage, les médecins généralistes devraient expliquer aux patients les difficultés qu'ils sont susceptibles de rencontrer sur le plan émotionnel, social et cognitif, en plus des symptômes de sevrage physiques qui peuvent persister pendant des mois», concluent les auteurs.Quelques chiffres La dépression majeure affecte environ 5,4% de la population canadienne, et le trouble anxieux, 4,6% de la population1. 431 816 adultes québécois se sont fait prescrire des antidépresseurs pour le seul mois de décembre 2023, avec une plus forte proportion de femmes2. Près d’un jeune sur deux âgé de 12 à 25 ans présentent des symptômes compatibles avec un trouble d’anxiété généralisée ou une dépression majeure2. Dès l’âge de 16 ans, au moins 50% d’entre eux présentent des symptômes d’anxiété ou de dépression modérés à sévères3. , assure Santé Montréal sur le site de la . 1. Données de Santé Canada rapportées par l’Association canadienne pour la santé mentale.2. Données de la RAMQ 3. Santé Montréal

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