Anaplasmose granulocytaire humaine: comment prendre en charge cette «nouvelle» maladie?

Avec 25 cas recensés au Québec l'été dernier, l'anaplasmose granulocytaire humaine (AGH) est là pour rester et les professionnels de la santé doivent être prêts à diagnostiquer cette maladie transmise par les tiques, selon le Dr Alex Carignan, médecin microbiologiste infectiologue au CIUSSS de l’Estrie-CHUS. En effet, des données obtenues dans le cadre d'une étude de l’Agence de la santé publique du Canada et de l’Université de Sherbrooke, partagées la semaine dernière, démontrent qu'il s'agit du plus grand nombre de cas d’AGH rapportés dans une même région au Canada. ProfessionSanté.ca s'est entretenu avec le Dr Carignan, également co-auteur de l'étude et professeur à l’Université de Sherbrooke, sur la façon de reconnaître et de traiter la maladie. L’AGH et la maladie de Lyme sont toutes les deux causées par la même tique. Comment pouvons-nous distinguer les deux maladies? Ce sont deux maladies assez différentes. Elles sont effectivement transmises par la même tique, mais les deux bactéries vont provoquer des manifestations très différentes. Tout d’abord, la maladie de Lyme a une atteinte cutanée, qui n’est pas nécessairement présente avec l’anaplasmose. Cette dernière entraîne des symptômes d’allure grippale, assez similaires à la COVID-19. Les patients atteints de la maladie vont avoir des symptômes plus généraux comme de la fièvre, des maux de tête, des douleurs musculaires et de la fatigue, par exemple. Dans la forme très sévère de l’anaplasmose, le patient peut développer un tableau inflammatoire qui peut amener de l’hypotension, ce qu’on ne va pas nécessairement voir avec la maladie de Lyme. De plus, l’AGH est habituellement plus aigüe, on ne voit donc pas vraiment de forme tardive comme on peut l'observer avec la maladie de Lyme, qui peut perdurer plusieurs mois. La maladie de Lyme quant à elle va entraîner des symptômes plus spécifiques, par exemple des complications cardiaques et neurologiques, une paralysie faciale et une arythmie cardiaque. Si les symptômes s’apparentent à ceux de la COVID-19, pensez-vous que le nombre de cas rapportés l’an passé a pu être sous-évalué? Oui, c’est possible. Non seulement c’est une nouvelle maladie, mais les gens peuvent aussi développer l’infection de façon asymptomatique ou de façon autorévolutive; ils n’ont donc pas nécessairement eu à consulter un médecin. Je fais une estimation très grossière, mais je crois que c’est possible qu’il y ait eu une centaine de cas l’été dernier. Qu’en est-il du traitement de l’AGH ? L’AGH se traite avec une prise de doxycycline pendant 7 à 10 jours. La maladie répond habituellement très bien au traitement antibiotique. Il s’agit du même antibiotique distribué par les pharmaciens pour prévenir la maladie de Lyme. Pourrait-il aussi prévenir l’AGH? Le traitement que l’on va chercher en pharmacie actuellement, c’est en effet en prévention de la maladie de Lyme après une morsure de tique. On donne une seule dose pour diminuer le risque d’acquisition de la maladie. Nous n’avons pas encore de données qui confirment que la prise de doxycycline peut réduire le risque d’anaplasmose. Ce serait toutefois logique de penser que ça pourrait fonctionner. Vous mentionnez dans votre étude que les patients ont vu une tique sur leur peau dans seulement 28% des cas d’AGH. Les patients ont-ils donc majoritairement consulté un médecin en raison de l’apparition de symptômes? Oui, exactement. Les patients vont consulter parce qu’ils ont de la fièvre, un mal de tête et des douleurs musculaires. Ça demeure des symptômes non spécifiques qui peuvent indiquer plusieurs autres types d’infection. Comment les professionnels de la santé peuvent poser le diagnostic? Le test diagnostic de référence pour l’anaplasmose est un test PCR. Des résultats anormaux aux analyses de laboratoire ont été majoritairement rapportés chez les patients de l’étude, incluant la leucopénie, la thrombocytopénie et des taux élevés de transaminases hépatiques. Ces éléments peuvent aider à suspecter l’anaplasmose. On peut également demander au patient s’il pratique des activités extérieures comme le jardinage, par exemple. Dans les zones où il y a des tiques, simplement être dehors devient un facteur de risque. Avec notre étude, nous voulions sensibiliser les médecins, les pharmaciens et les infirmières praticiennes spécialisées pour qu'ils reconnaissent la maladie et qu'ils n'écartent pas cette possibilité lorsque les patients se présentent en consultation. Là où il y a des tiques, il y a un risque. Il faut chercher la maladie. Est-ce que l’AGH risque de se propager rapidement? Si on regarde les données aux États-Unis, le taux d’incidence de l’anaplasmose est inférieur à la maladie de Lyme. Actuellement, les cas d'AGH sont localisés principalement autour de Bromont, Granby et Cowansville. On s'attend toutefois à voir une augmentation du nombre de cas dans les prochaines années. Tout comme la maladie de Lyme, l'anaplasmose est probablement là pour rester. L’AGH est une maladie à déclaration obligatoire au Québec, nous pourrons ainsi suivre la situation. Y a-t-il d’autres maladies transmises par les tiques à surveiller? Absolument. Avec la maladie de Lyme nous avons été très réactifs. Je pense que pour les autres maladies transmises par les tiques, dont l’AGH ou la babésiose qui s’attaque aux globules rouges de la même façon que la malaria, par exemple, il faut être plus proactif. Je travaille actuellement avec des collègues à développer un programme de surveillance plus étendu sur les maladies transmises par les tiques, dans le but de documenter l’émergence de ces pathogènes. Nous sommes aussi présentement à la recherche de financement pour développer une Chaire de recherche sur le sujet à l’Université de Sherbrooke.

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