Allers-retours dans le privé: Christian Dubé veut serrer la vis aux médecins

Les médecins ne seront plus libres de se désaffilier de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) pour aller pratiquer dans le secteur privé. Le ministre de la Santé Christian Dubé a présenté aujourd’hui des amendements au projet de loi 83 qui imposeront aux cliniciens de demander une autorisation avant de quitter le réseau public de la santé.Actuellement, un médecin doit simplement transmettre un avis à la RAMQ et, 30 jours plus tard, il change automatiquement de statut et devient non-participant. S’il veut se réaffilier, il doit aviser la RAMQ, et huit jours après, il peut de nouveau exercer dans le régime public. Il peut ainsi changer de statut pas moins de neuf fois dans une même année. Les amendements déposés visent à mettre en place un régime d'autorisation afin de freiner le va-et-vient des médecins entre les deux statuts. Avant de pouvoir quitter le réseau public, les praticiens devront au préalable obtenir l’aval de Santé Québec, la société d’État étant chargée d'évaluer la pertinence des demandes de médecins désirant travailler dans le réseau privé. «Chaque demande sera analysée pour préserver les capacités du public, dans l'intérêt des patients», énonce un communiqué du cabinet du ministre de la Santé qui précise que «des critères précis guideront les autorisations accordées».La grille d’évaluation de Santé Québec comprendrait notamment:qu’un nombre suffisant de médecins pratiquent dans les établissements publics de la région du médecin demandeur;que son départ n’engendre pas de conséquences négatives pour les patients;et qu’il démontre l'incapacité du réseau public à mettre ce médecin à contribution dans les établissements de sa région.«Notre gouvernement l'a toujours dit: le privé peut être complémentaire au réseau public, particulièrement pendant la transformation que nous effectuons», déclare Christian Dubé. Avec ces amendements, «nous posons un ensemble de gestes qui permettront d'améliorer l'accès à notre réseau de santé pour que tous les Québécois soient pris en charge d'ici l'été 2026.»Le Collège déçuDans une série de trois messages partagés sur le réseau social Bluesky, le Collège des médecins du Québec (CMQ) signifie qu’il aurait «souhaité que le gouvernement aille plus loin et interdise la valse des médecins entre le public et le privé, car cela contribue à la pénurie de personnel dans le réseau public.»Dans le cadre de l’étude du projet de loi 83, le CMQ avait estimé que celui-ci n’allait pas assez loin et que «l’État devrait agir de façon courageuse, en interdisant le statut de médecin non participant, comme c’est le cas en Ontario». Si le gouvernement décidait de ne pas aller dans cette direction, le Collège lui recommandait de resserrer les modalités qui permettent aux cliniciens de changer de statut vis-à-vis de la RAMQ plusieurs fois par année.Sur Bluesky, le CMQ déclare également: «Quant à financer les soins et chirurgies en retard au privé, nous souhaitons que ce soit une solution temporaire visant à réduire les listes d’attente. Autrement, le gouvernement favorisera lui-même une médecine à deux vitesses où les plus fortunés auront accès à plus de soins, plus rapidement.»Lire aussi: L’interdiction de la médecine privée obtient un faible soutienLa FMOQ et la FMSQ aussiDu côté des médecins de famille, la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ) regrette que les amendements au projet de loi 83 confortent la volonté de Christian Dubé. «Ce dernier écarte d’emblée les recommandations formulées par la majorité des groupes entendus en commission parlementaire», constate la Fédération dans une déclaration écrite. «L’esprit demeure inchangé: contraindre et imposer de nouvelles mesures à l’ensemble des médecins du Québec, malgré les appels répétés à la collaboration – notamment ceux de la FMOQ – pour juguler la pénurie de médecins de famille dans le réseau public.» La Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ) dénonce elle aussi la stratégie gouvernementale. «Plutôt que de s’attaquer aux médecins du Québec, le gouvernement devrait veiller à solutionner les véritables enjeux qui affligent le réseau de la santé public», estime la Fédération qui considère que «le privé en santé est un symptôme d’un réseau public à genou qui peine à fournir des ressources et des priorités opératoires suffisantes pour répondre aux besoins des patients. Le va-et-vient des médecins est une manifestation de ces symptômes.»Des questions en suspens Sollicité par Profession Santé, le président de la Fédération des médecins en pratique privée du Québec (FMPPQ), le Dr Pascal-André Vendittoli se dit inquiet. «Cette demande d’autorisation soulève trop de questions. Elle donne une grande responsabilité décisionnelle à des fonctionnaires», estime l’orthopédiste qui se demande quelle latitude ces derniers auront dans l’application des critères définis par la loi. «Cela va créer beaucoup d’incertitude et d’imprévisibilité» pour les médecins ayant une pratique mixte. «S’ils ne peuvent pas savoir si leur demande sera acceptée, cela met en péril leur pratique.»Lire aussi: Le privé, la bouée de sauvetage du TitanicDans l’absolu, le Dr Vendittoli ne s’oppose pas à une forme d’encadrement de la pratique au privé des cliniciens. Il explique que la FMPPQ prône un système mixte où les médecins pourraient travailler en même temps dans le réseau public et le secteur privé, comme en Australie, en France ou en Suède. Dans ce contexte-là, «un médecin qui veut pratiquer au privé pourrait avoir un minimum de tâches à réaliser au préalable dans le réseau public, comme assurer des gardes et avoir ses plages opératoires et de clinique externe comblées», détaille le médecin qui convient qu’il faut protéger le système public, mais craint que de telles mesures n’accroissent l’exode des médecins. «Les indécis vont choisir le privé, et cela ne bénéficiera à personne.»Maintien des dispositions visant les jeunes médecinsPrésenté début décembre 2024 par le ministre Dubé, le projet de loi 83 visait initialement à contraindre les médecins nouvellement diplômés à pratiquer au moins cinq ans dans le réseau de la santé et des services sociaux (RSSS), sous couvert de lourdes pénalités financières. Cette obligation est maintenue par les amendements déposés aujourd'hui. Tout comme sont conservées les sanctions financières de 20 000$ à 100 000$ par jour et par acte aux nouveaux médecins qui ne respectent pas leur engagement. En cas de récidive, ces montants pourraient atteindre 200 000$.Lire aussi: Le PL83, «une restriction délétère pour les jeunes médecins»À ce propos, la FMSQ s’étonne qu’aucun des commentaires qu’elle a formulés lors de son passage en commission parlementaire n’ait été pris en compte, «particulièrement en ce qui concerne le volet territorial du projet de loi et les pénalités financières excessives qu’il prévoit», souligne la Fédération dans un courriel. «Plusieurs groupes ont également partagé les mêmes observations. Le Québec deviendra alors la seule justification en Amérique du Nord à imposer une telle obligation. Il convient de se demander à quoi sert l’organisation d’un tel exercice», s’interrogent les médecins spécialistes.Selon le cabinet du ministre Dubé, 820 des 22 011 médecins québécois travaillent actuellement dans le réseau privé, «ce qui représente une hausse de plus de 80% par rapport à pareille date en 2020».Dans les trois derniers mois, près de 60 cliniciens de plus se seraient désaffiliés du réseau public, auxquels s’ajoutent 150 médecins, dont 145 spécialistes, qui ont alterné dans la dernière année entre le statut de participant et de non-participant.

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