Activités cliniques: «allons à notre rythme», préviennent les pharmaciens salariés

Surcharge de travail, manque de temps et de personnel, environnement de travail inadapté… À l’aube d’un nouvel élargissement de leur pratique prévu par le PL67, les pharmacien(ne)s salarié(e)s expriment plusieurs motifs d’inquiétude, bien que l’état d’esprit général soit plutôt confiant. En témoigne le thème du Congrès 2024 de l'Association professionnelle des pharmaciens salariés du Québec (APPSQ), «Optimiser notre virage clinique», qui s’est tenu les 27 et 28 septembre derniers. «Nous avons pensé ce Congrès dans l’optique de l’arrivée du PL67, qui crée des craintes chez les pharmaciens salariés, indique le président de l’APPSQ Patrick Hémery. Mais nous avons quand même bon espoir parce qu’on voulait ces avancées.» Des craintes que les pharmaciens rencontrés lors de l’événement n’hésitent pas à partager. «C’est sûr que nous sommes encore en phase de transition. Nous avons beaucoup de tâches et tout n’est pas encore organisé comme ça devrait l’être. Mais tout le monde est très motivé», sourit Tri Minh Do, pharmacienne salariée à Longueuil. Même si elle peut varier les plaisirs en alternant clinique et distribution, l'aménagement de la pharmacie ne permet pas aux équipes de mener des consultations de manière optimale, explique-t-elle. «On fait des consultations sur la chaîne de travail. Si on pouvait le faire dans un espace séparé, ce serait plus efficace.Mais les infrastructures et l’organisation de la chaîne de travail bougent plus lentement… Les gens sont prêts, mais pas les infrastructures.» Des pharmacies communautaires plus réactivesLes consultations sur la chaîne de travail, une aberration pour Louis*, pharmacien salarié et remplaçant dans les Laurentides, à Montréal, Laval, Lanaudière et en Abitibi. «Présentement, les nouveaux actes cliniques se font sur la chaîne de travail et je ne pense pas que ce soit l’endroit idéal pour cela. Il faudrait des heures dédiées à la clinique, pour faire des suivis par exemple, mais aussi prendre en charge des otites ou des infections urinaires.» En plus d’être débordés, les pharmaciens pâtissent selon lui de leur trop grande proximité avec le public. «Notre gros problème en pharmacie, c’est notre accessibilité. C’est difficile de refuser l’accès à un soin.. Ça fait peser un gros poids sur nos épaules.»Comment, alors, optimiser des espaces et des chaînes de travail dont les enjeux sont communs mais les problématiques multiples? «Je pense que tout le monde a la même définition du terme optimiser, mais tout le monde n’a pas les mêmes moyens pour le faire, analyse le président de l’APPSQ Patrick Hémery. Dans le système public, elle va aller par strates. Il va falloir des procédures, ça va être long. Dans le système privé, dans la pharmacie communautaire, la réactivité est plus grande.» À lire aussi: Financement et droit de propriété: l’AQPP clôt les auditions pour le PL67Une proactivité bien incarnée par Charlotte Pelchat White, pharmacienne salariée à l’Uniprix de Mascouche. «Le PL67 est une bonne nouvelle pour les patients, qui vont avoir accès à plus de choses avec moins d'attente.» Même si elle prévoit «un certain bouleversement dans notre chaîne de travail», la pharmacienne ne s’en fait pas outre mesure. «Nous y sommes habitués donc on va trouver le moyen de faire fonctionner ça. On s’achemine déjà vers le PL67, on essaie de déléguer de plus en plus à nos ATP [assistants techniques en pharmacie] et nos TP [techniciens en pharmacie] pour que le pharmacien puisse avoir le temps de faire plus d’actes cliniques. Les équipes sont au courant du rôle qu’on a à jouer et de leur rôle. C’est un travail d’équipe, car les pharmaciens seuls n’y arriveront pas.»Miser sur l'intradisciplinaritéC’est pourquoi l’APPSQ insiste sur la nécessité de promouvoir et développer la collaboration au sein même de la profession, un soutien mutuel pour alléger la charge de chacun tout en renforçant la première ligne. «L'intradisciplinarité fait du sens dans le parcours du patient qui va de l'hôpital, puis peut-être en groupe de médecine de famille [GMF], et enfin en pharmacie communautaire. Les pharmaciens doivent pouvoir se parler, et parler le même langage», souligne Patrick Hémery. La collaboration entre les pharmaciens communautaires et GMF est particulièrement importante, même si elle est pour l’instant rare, confie Charlotte Pelchat White, qui pratique également dans le groupe de médecine de famille voisin de sa pharmacie. «Le corridor n’est pas tout à fait en place, il y a encore du travail. La présence des pharmaciens en GMF n’est pas suffisante en ce moment, il y a des besoins. Quand on n’est là que quelques heures par semaine, ce n’est pas évident.» À lire aussi: PL67: les pharmaciens GMF veulent avoir voix au chapitreLe manque de bras est d’ailleurs l’enjeu central de ces nouvelles activités cliniques, estime Louis*, pharmacien remplaçant. «Nous sommes suffisamment compétents pour réaliser la plupart de ces actes. Mais dans certains milieux, la surcharge de travail est telle que les pharmaciens ne parviennent déjà pas à effectuer leurs tâches de base.» Selon lui, à force de vouloir rendre la première ligne plus accessible et désengorger les urgences, le gouvernement finit par mettre la pression sur les pharmaciens. «Le 811 et le GAP nous envoient des patients, mais on ne peut pas tout faire. Il faut garder à l’esprit que nous pouvons effectuer des actes supplémentaires selon notre jugement clinique.» Le gouvernement serait-il allé trop vite en besogne? «Peut-être», concède Patrick Hémery. «Mais d'un autre côté, qui ne fait rien n'avance jamais. Donc, il faut pousser pour pouvoir faire les choses. Je ne dis pas que, demain, on va tout faire d'un seul coup. Faire vite et bien, ça ne va jamais ensemble. Par contre, on peut faire bien et on prendra notre temps. Puis chacun aura son rythme.»*Le prénom a été modifié à la demande de l'intéressé.

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