«Zones frontières»: les espaces limités en médecine et au-delà

Lorsque j'ai commencé ma formation, et encore aujourd'hui à la fin de ma carrière, il m'est apparu clairement que certaines des plus grandes avancées de la médecine se trouvent dans les «zones frontières». Je m'explique.Le Dr Alexander Fleming a découvert les propriétés antimicrobiennes de la pénicilline, mais cette découverte n'aurait abouti à rien sans le travail des chimistes Howard Walter Florey et Ernst Boris Chain. Ils se sont inspirés de cette découverte pour fabriquer le médicament à l'échelle industrielle à Peoria, dans l'Illinois. Le chevauchement entre la microbiologie clinique et l'ingénierie de production. L'oncologie s'est appuyée sur les domaines de la chimie des rayonnements et de la pharmacologie pour mettre au point des stratégies efficaces telles que la radiothérapie, la chimiothérapie et l'immunothérapie. Une chimiothérapie à base de composés radioactifs, bientôt mise sur le marché, arrive à délivrer un rayonnement alpha avide du cancer (avec un isotope suffisamment court et des demi-vies de biodisponibilité); la «solution miracle» que nous recherchions tous.L'immunothérapie a changé le visage de la polyarthrite rhumatoïde et de la maladie de Crohn. Ces maladies jadis invalidantes ont été apprivoisées en maîtrisant les anticorps (et en gérant les effets secondaires lorsqu'ils se manifestent). L’un deux, l'infliximab, peut pacifier le chaos inflammatoire.L'électrocardiogramme (Einthoven, 1887) et l'électroencéphalogramme (imagerie médicale, Berger, 1924) ont exploité les ondes électriques pour explorer le fonctionnement des organes. Les moyens plus visuels (ultrasons, rayons X, scanner, IRM, etc.) s'appuient fortement sur la physique médicale, sans laquelle nous serions confrontés à des défis diagnostiques et thérapeutiques. L'oncologie n'aurait peut-être pas été capable de visualiser les métastases sans le PET scan. La cardiologie a besoin de l'imagerie radio-nucléaire dynamique (scintigraphie MIBI) pour mieux comprendre la fonction cardiaque globale et l'ischémie myocardique. La médecine du travail a informé les médecins du potentiel cancérogène de la suie (cancer du scrotum), des radiations (effluents des déchets des centrales nucléaires, diagnostics médicaux, etc.). La virologie a permis de comprendre l'hépatome (infection chronique par l'hépatite B) et le lymphome de Burkitt (infection par l'EBV). La biologie cellulaire a permis d'identifier les facteurs de risque de la leucémie myéloïde chronique (le chromosome Philadelphie).Les zones frontières peuvent s'avérer parmi les plus dynamiques. Par exemple, un conflit se produit en Ukraine, dans une zone frontalière. Les guerres mondiales ont été précédées par des tensions entre l'Empire austro-hongrois (et la Serbie) et, plus tard, les Sudètes (Allemagne-Tchèque). Aujourd'hui encore, les zones contestées comprennent les îles Daikyu (Chine et Taïwan), Chypre (Turquie et Grèce), le Cachemire (Pakistan et Inde) et le Moyen-Orient (Israël et Palestine).Et qui ne reconnaîtrait pas le mérite des polymathes qui ont su déceler le potentiel d'un domaine tout en travaillant dans un autre. Qu'il s'agisse de l'invention du microscope et de son adoption par la science médicale (Robert Hooke), de l'appréciation par l'ornithologue Edward Jenner des avantages de l'inoculation du cowpox dans la prévention de la variole, ou de la découverte par Joseph Lister du rôle de la septicémie dans la morbidité et la mortalité postopératoires, tous ces exemples sont dignes d'éloges.Alors, que pouvons-nous prédire de l'évolution de «l’inventivité frontalière»? L'intelligence artificielle (IA) facilitera-t-elle la communication, aidera-t-elle à prédire les états pathologiques et à prévenir les erreurs de prescription? La médecine du cancer s'inspirera-t-elle de la génétique, tant pour le diagnostic que pour la thérapeutique? Le CRISPR deviendra-t-il suffisamment abordable pour révolutionner la gestion des maladies à transmission chromosomique? La thérapie des allergies évoluera-t-elle en fonction des nouvelles découvertes en biologie cellulaire? La thérapie par dispositif sera-t-elle capable de suivre non seulement la glycémie, mais aussi les niveaux d'hormones et de médicaments (et d'optimiser les deux)? L'ingénierie des organes artificiels sera-t-elle un jour en mesure d'égaler le succès effréné de la dialyse, par exemple en ce qui concerne le cœur, le pancréas, la vessie ou même la fonction pulmonaire? Le cœur artificiel est-il, comme la lune, une destination qui mérite d'être revisitée?Lire aussi: Deux Américains reçoivent le Nobel de médecine pour la découverte du micro-ARNLa réponse, comme nous le disent les grands joueurs de loterie, dépend de la taille des rêves, de la profondeur des poches de la recherche et de ce que la société est prête à demander pour la satisfaire. Combien les grands laboratoires pharmaceutiques sont-ils prêts à investir pour répondre à ces attentes? Tout le monde doit vivre et mourir «heureux».Peut-être que l'avenir reviendra à quelques principes de base: l'importance de la gestion des ressources écologiques (eau, nourriture, climat, stocks de poissons, pollution, couche d'ozone, etc.); la nécessité de contenir la croissance démographique lorsque les ressources sont contraintes; la valeur de la vaccination; la gestion des antibiotiques (trop précieux pour l'alimentation animale); la nécessité de se concentrer sur les objectifs sociétaux (élimination de la pauvreté, éradication de la guerre, égalité des chances, etc.); en somme, la compréhension de la qualité et de la quantité dans une sorte d'équilibre.Je crains pour l'avenir de mes petits-enfants et de leur descendance. La politique qui consiste à «atteindre le sommet à tout prix» met en péril la survie de notre espèce. Le plaisir et le «tout avoir» semblent l'emporter sur les nécessités de l'évolution. Nous cohabitons sur cette planète avec une myriade d'espèces, qui sont toutes menacées par nos vices collectifs. Peut-être que l'humanité n'aura pas besoin de faire de grandes découvertes médicales. Peut-être que les changements nécessaires sont là, sous nos yeux.

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