Vers une pratique de la santé-voyage socialement responsable?

En octobre dernier, j’ai participé à un congrès organisé par la Société de santé-voyage de l’Afrique du Sud (acronyme anglais : SASTM).En plus du contenu de haute qualité, d’un peuple chaleureux et accueillant, de praticiens engagés, j’ai découvert une vision de la santé-voyage et des voyageurs un peu différente de celle que nous avons chez nous en Amérique du Nord.Cette différence concernait notamment la vaccination contre la rage et les implications logistiques d’un voyageur non vacciné qui s’est fait mordre ou griffé par un mammifère potentiellement rabique. Dans une telle situation, le voyageur non vacciné devra recevoir, en plus des soins de plaie appropriés, une dose d’immunoglobulines antirabiques (Rig), puis la série vaccinale post-exposition. Lorsqu’elle est administrée selon les normes, la prophylaxie post-exposition (PPE) est efficace à 100%. Or, les Rig sont une denrée rare dans un grand nombre de pays, incluant ceux du continent africain. Les praticiens présents au congrès soulignaient que chaque touriste qui reçoit ce traitement puise à même cette précieuse ressource déjà insuffisante pour la population locale, plus exposée à cette maladie que les voyageurs.Cela nous amène à la question suivante : pourquoi les touristes occidentaux, qui ont les moyens de payer des milliers de dollars pour des expériences safari, ne se font-ils pas vacciner contre la rage, dont le coût représente une fraction du prix de leur voyage?Les voyageurs qui me consultent et à qui je propose le vaccin antirabique le refusent systématiquement. Pour la plupart d’entre eux, le vaccin est trop cher (plus de 225$ la dose) et il est rarement couvert par leurs assurances, alors ils ont cette pensée magique qu’ils ne se feront pas mordre, même s’ils font tout pour être le plus près possible de la faune locale (incluant le ‘’sauvetage’’ des chiens errants) et en ignorant les avertissements des guides. De plus, ils voyagent avec des enfants qui sont statistiquement beaucoup à risque d’être mordus que les adultes. Finalement, à bout d’arguments, ils affirment qu’au pire il ont des «anticorps s’ils sont mordus». Donc, où est le problème?...Heureusement, des stratégies de sensibilisation existent pour arriver à une décision éclairée. Rappeler que la rage est une maladie mortelle à 100% lorsque les signes cliniques apparaissent, que les enfants sont particulièrement à risque, qu’une morsure d’un animal potentiellement rabique signifie généralement la fin du voyage, que les immunoglobulines sont difficilement accessibles, que pour diminuer les coûts pour une famille, on peut fractionner la dose par voie ID etc. Avec 59 000 décès annuels sur la planète, dont 50% sont des enfants de moins de 15 ans, la rage est loin d’être une maladie banale. Et elle est 100% évitable grâce à une vaccination adéquate.À l’heure des voyages éco-responsables, devrions-nous aborder le sujet avec le voyageur sous le volet de la responsabilité sociale? Le sensibiliser sur les enjeux de fragilité du système de santé des pays en voie de développement et l’impact du détournement des ressources de santé vers les touristes? Par extension, la même stratégie pourrait être utilisée pour toutes les maladies du voyageur évitable, soit par la vaccination, soit par une prophylaxie appropriée ou par des comportements prudents et responsables. Avec 1,3 milliard de voyageurs annuels en 2023, le tourisme a une empreinte immense sur les pays visités et sur leur système de santé. Le praticien en santé-voyage peut avoir un grand impact sur la santé des voyageurs. À quand une pratique de la santé-voyage socialement responsable?

Vers une pratique de la santé-voyage socialement responsable?

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