Vapotage chez les jeunes: que doivent faire les professionnels de la santé?

Lorsque les experts se sont réunis virtuellement pour la Conférence nationale sur le tabac et le vapotage au début du mois de février, les questions ont fusé sur ce qu’il fallait faire au sujet des cigarettes électroniques. Bien que les cigarettes électroniques soient des outils utiles pour le sevrage tabagique, elles constituent également une porte d’entrée dans la dépendance à la nicotine chez les jeunes. Les résultats d’une étude de cohorte sur la dépendance au vapotage ont mis en évidence la prévalence de la dépendance à la nicotine chez les jeunes Canadiens qui vapotent. «Il existe des preuves substantielles que le vapotage entraîne une dépendance», a affirmé le directeur général de l’Unité de recherche sur le tabac de l’Ontario, Robert Schwartz, également professeur à l’Université de Toronto et chercheur principal au Centre de toxicomanie et de santé mentale (CAMH) de Toronto. Les jeunes qui vapotent sont obligés d’aller chercher leur cigarette plus rapidement le matin que les fumeurs.» «Notre étude ouvre la voie à d’autres recherches et à la remise en question de ce que nous permettons à des dizaines de milliers de jeunes au Canada», estime le chercheur. Le vapotage chez les jeunes au Canada Selon le professeur à l’École des sciences de la santé publique de l’université de Waterloo (Ontario), David Hammond, le Canada affiche l’un des taux les plus élevés au monde en matière de vapotage chez les jeunes. L’Enquête sur la santé des enfants et des jeunes au Canada de 2019 a inclus 13 602 participants de 12 à 17 ans. Une analyse de cette enquête, réalisée en 2022 par Statistique Canada, a montré que 13,2% des jeunes sondés déclaraient avoir utilisé des cigarettes électroniques au cours des 30 derniers jours. Parmi eux, 23,8% disaient les utiliser quotidiennement. Bien que les vapoteuses puissent aider les gens à arrêter de fumer, les jeunes au Canada ont tendance à les utiliser avant les cigarettes. Deux tiers des 12 à 17 ans qui ont déclaré avoir consommé du tabac et des vapoteuses ont d’abord utilisé ces dernières. La plupart des jeunes vapoteurs les utilisent avec de la nicotine. Parmi ceux ayant vapoté au cours des 30 derniers jours, 89,3% ont utilisé un liquide nicotiné. Développer une dépendance Comme pour les cigarettes, la dépendance au vapotage se développe avec le temps. «Elle ne commence pas à la première bouffée», explique le directeur de recherche à l’Unité de recherche sur le tabac de l’Ontario, Michael Chaiton, qui est aussi professeur agrégé à l’Université de Toronto et chercheur indépendant à CAMH. L’étude de cohorte sur la dépendance au vapotage a été menée auprès de 3 376 participants de 16 à 25 ans, recrutés par le biais des médias sociaux. Ils étaient soit des fumeurs réguliers, soit des jeunes ayant déjà fumé, ou soit des vapoteurs n’ayant jamais fumé. Les participants ont été interrogés tous les trois mois pendant 21 mois, à partir d’août 2020. L’âge moyen des répondants était de 19,7 ans; la majorité d’entre eux étaient de sexe féminin et de race blanche. Les résultats suggèrent que durant les 24 premiers mois, les participants vapotaient au moins une fois par mois, puis entre 24 et 30 mois, ils démarraient à vapoter une fois par semaine et après 30 mois, ils commençaient à vapoter tous les jours. Les jalons comportementaux étaient similaires. À 24 mois, les participants ont déclaré avoir de fortes envies de fumer et fumer peu après le réveil. Passé 30 mois, ils ont dit qu’ils avaient du mal à résister à la cigarette. Entre 55 et 67 mois, les participants avouaient se réveiller la nuit pour fumer. En raison de ce décalage dans le temps, plus les jeunes vapotent, plus la dépendance s’accroît dans la population, a observé Michael Chaiton. Lire aussi: Plus d'un jeune Québécois sur dix fume et vapote Qui est le plus exposé au risque de dépendance? Selon l’étude, les personnes qui risquent le plus de devenir des vapoteurs réguliers ou de devenir dépendantes au vapotage sont celles qui ont déjà été exposées à la nicotine et celles qui ont déjà fumé. En outre, les personnes ayant déjà fumé étaient nettement plus susceptibles d’atteindre un niveau de dépendance - comme le fait de vapoter après le réveil - plus rapidement que les celles n’ayant jamais fumé. Qui risque de commencer à fumer? Les enfants âgés de 12 à 14 ans ayant reçu un diagnostic de TDAH étaient plus enclins à fumer que ceux qui n’avaient pas reçu, selon l’analyse de Statistique Canada. Le fait d’être de sexe masculin, d’être né au Canada et d’avoir des notes inférieures à un A sont également des facteurs de risque pour le vapotage chez les jeunes de 15 à 17 ans. Quels sont les effets néfastes? Les effets néfastes du vapotage restent mal connus. Michael Chaiton a présenté des résultats concernant le nombre de symptômes respiratoires signalés par les participants à l’étude. Ils augmentent significativement selon le nombre de bouffées par mois. À partir de 800 bouffées mensuelles, les vapoteurs qui n’avaient jamais fumé présentaient le même nombre de symptômes respiratoires que les participants qui fumaient quotidiennement. Il est intéressant de noter que les fumeurs quotidiens qui vapotaient également ne présentaient pas plus de symptômes que les fumeurs qui ne vapotaient pas. Une augmentation du score de dépendance au vapotage était également associée à une augmentation de la dépression, signale le chercheur. La Société canadienne de pédiatrie a publié en octobre 2021, dans la revue Pediatrics & Child Health, une prise de position sur le vapotage chez les jeunes. Elle énumère certains des dommages causés par le vapotage, notamment les problèmes respiratoires. Le texte souligne que les risques pour la santé liés au vapotage ne sont pas encore totalement connus. Lire aussi: Le vapotage cause les mêmes dommages à l'ADN que le tabac Les jeunes veulent arrêter de fumer, mais c'est difficile Près du tiers des participants à l’étude de cohorte sur la dépendance au vapotage avaient l’intention d’arrêter dans les six mois. La difficulté d’arrêter a été soulignée par deux témoins ayant une expérience vécue. L’une d’entre elles, Maya S., a commencé à fumer en 12e année après avoir longtemps résisté, mais elle a constaté que cela l’aidait à soulager ses symptômes d’anxiété. Elle a essayé d’arrêter d’un coup, mais les symptômes de sevrage étaient trop importants. Elle a également arrêté d’utiliser des gommes à la nicotine, mais elle a recommencé à le faire. «Traiter les gens comme des enfants et leur dire “arrêtez ça, c’est mauvais” ne va pas les aider», a indiqué Maya S. aux participants de la conférence. Elle a recommandé plus de ressources pour aider les personnes anxieuses, des informations ciblées sur l’arrêt du tabac et une éducation sur les effets à long terme du vapotage. Programmes de désaccoutumance Comment les praticiens peuvent-ils aider les jeunes à arrêter de fumer? Malheureusement, la meilleure façon d’intervenir n’a pas encore été trouvée. Cardiologue à l’Institut de cardiologie de l’Université d’Ottawa et président du programme d’Ottawa pour l’arrêt du tabac, le Dr Hassan Mir a présenté une étude sur les interventions de désaccoutumance à la cigarette électronique. Il a constaté que les preuves de succès étaient rares et que le risque de biais était élevé. La seule intervention étudiée qui a montré des avantages était un programme basé sur des textes qui offrait un soutien social et des capacités d’adaptation comportementales aux jeunes adultes. Il a été présenté dans la revue JAMA Internal Medicine en 2021. Le Dr Mir a indiqué que son groupe disposait maintenant de deux subventions afin d'effectuer une recherche sur les interventions pharmacothérapeutiques pour l’arrêt du vapotage. Le programme STOP du CAMH comprend également l’abandon du vapotage. Il fournit des ressources en ligne et un approvisionnement gratuit en nicotine pendant huit semaines, mais seulement aux personnes âgées de plus de 18 ans. Lancé en 2020, il compte 395 participants, dont 61% ont déclaré avoir déjà vapoté et 13% ont déclaré avoir vapoté au cours des 30 derniers jours. Une intervention spécialisée de thérapie cognitivo-comportementale en ligne pour les vapoteurs inscrits à STOP a débuté en 2021. Lire aussi: Vapotage de cannabis ou de nicotine: guide pratique des risques pour la santé des jeunes Malheureusement, une évaluation du programme a révélé un faible nombre de participants, seulement 23 personnes ayant accédé aux modules en ligne au cours de la dernière année, a observé Brooke Campus, coordonnatrice de la recherche au CAMH. Les entretiens individuels ont révélé que les participants souhaitaient bénéficier d’un soutien accru de la part de leurs pairs et d’un plus grand nombre de visites de contrôle. Toute intervention doit tenir compte de la diversité culturelle, a fait remarquer le Dr Peter Selby, consultant médical principal et clinicien-chercheur au CAMH. Lorsqu’il s’agit d’intervenir, «nous devons nous demander qui fume et pourquoi», a ajouté le Dr Hammond. Mesures réglementaires Certaines modifications réglementaires ont été apportées au Canada pour freiner le vapotage, notamment dans certaines provinces qui limitent les arômes des liquides disponibles. Le gouvernement fédéral a quant à lui modifié la loi sur le tabac et les produits de vapotage. Elle limite la concentration de nicotine dans les liquides à 20 mg/ml. Michael Chaiton a présenté des données issues de l’étude de cohorte sur la dépendance au vapotage qui montrent que l’application des restrictions en matière d’arômes a réduit de manière significative le nombre de jours de vapotage par mois, mais pas le score de dépendance au vapotage ni le nombre de bouffées par mois. Le développement de nouvelles vapoteuses a modifié au fil du temps l’adoption du vapotage chez les jeunes au Canada. C’est ce que l’on observe actuellement au Royaume-Uni, où l’on assiste à une augmentation substantielle du vapotage chez les jeunes. L’enquête Action on Smoking and Health-Youth menée auprès de plus de 2 000 jeunes âgés de 11 à 17 ans montre que 15,8% d’entre eux ont essayé le vapotage en 2022, contre 11,9 % en 2021, et que 7 % des personnes interrogées déclaraient être des utilisateurs actifs en 2022. Selon le Dr Hammond, cette évolution est due à l’introduction du produit «elf-bar vape», un dispositif de vapotage jetable. Le Royaume-Uni limite également la vente de produits de vapotage aux personnes âgées de plus de 18 ans. Lire aussi: Remplacer la cigarette par la vapoteuse comporte d'importants risques Flux de nicotine Alors que la concentration de nicotine est limitée au Canada, la vitesse à laquelle la nicotine est libérée par les cigarettes électroniques varie selon les fabricants. Une étude testant le flux de nicotine par marque a révélé que celui-ci variait en moyenne de 199 microgrammes par seconde pour les vapoteuses «box mod» à 55 microgrammes par seconde pour les modèles jetables. Les vapoteuses à dosettes (comme Juul) ont un flux de nicotine moyen de 73,42 microgrammes par seconde. Pour réduire réellement les risques, il faudrait normaliser le processus de fabrication des dispositifs et des liquides, a signalé le Dr Selby. «La conclusion à en tirer est que la teneur en nicotine n’est probablement pas suffisante pour faire l’objet d’une réglementation», selon Michael Chaiton. Il existe des moyens d’obtenir plus de nicotine dans les différents modèles sur le marché. Pour éviter que les jeunes ne deviennent dépendants du vapotage, les médecins canadiens devraient signifier leur appui à une modification de la loi et encourager leurs patients à ne pas commencer à vapoter. L’éducation, comme l’a suggéré Maya S., peut être la clé pour que les jeunes aient conscience des risques. S’ils sont déjà dépendants, jusqu’à ce qu’il existe des preuves tangibles de l’efficacité des interventions, les médecins peuvent présenter à leurs patients des programmes de désaccoutumance conçus pour les consommateurs de cigarettes.

Vapotage chez les jeunes: que doivent faire les professionnels de la santé?

Pour accéder au contenu, connectez-vous ou créez un compte gratuit.

Catégories connexes