Vaccination par les pharmaciens: est-il temps de passer à l’action?

Les pharmaciens québécois ne sont pas autorisés à administrer les vaccins, contrairement à leurs collègues des autres provinces canadiennes. Certains d’entre eux estiment qu’il est temps de les y autoriser, même si cela semble être une priorité ni pour leur ordre professionnel, ni pour la santé publique.La Fédération des pharmaciens du Québec (FPQ), une nouvelle association qui regroupe des pharmaciens salariés, des pharmaciens propriétaires et des pharmaciens d’hôpitaux pour promouvoir la profession de pharmacien, s’est inscrite au Registre des lobbyistes du Québec. Elle veut notamment faire des représentations auprès de différents ministères afin de les convaincre de l’importance « de permettre aux pharmaciens d’effectuer la vaccination des patients, dans le but de diminuer le délai d’accès des patients ».« Le but n’est pas de remplacer les médecins ou les infirmières, mais de rendre plus accessible la vaccination », précise Nicolas Bergeron, président et porte-parole de la FPQ. Dans certaines provinces où les pharmaciens vaccinent, on peut ainsi rejoindre jusqu’à 15 % de personnes supplémentaires dans le cas d’un vaccin comme la grippe. « Cela permet de diminuer de beaucoup les coûts à la société. On sauve des journées d’absentéisme, et des complications, et donc des journées d’hospitalisation et des consultations aux urgences », souligne le pharmacien. Il reconnaît que ce changement ne se fera pas du jour au lendemain. « Il faut une formation obligatoire, avec des travaux pratiques, le tout chapeauté par l’Ordre des pharmaciens », explique-t-il. Source : Journal de l’Association médicale canadienne, août 2016 http://www.cmaj.ca/content/early/2016/08/08/cmaj.151027.full.pdf+htmlNicolas Bergeron estime cependant que ce n’est qu’une question de temps avant que les pharmaciens se voient confier cette nouvelle responsabilité. « Les pharmaciens vont vacciner au Québec, on ne sait juste pas quand », assure-t-il. Selon lui, tout le monde est d’accord pour que les pharmaciens vaccinent. Et le ministre de la Santé a beau affirmer que ce n’est pas une priorité, cela ne suffit pas à refroidir son enthousiasme. « L’opinion du ministre est très changeante, très rapidement, sur bien des plans », commente-t-il.Le Collège des médecins du Québec (CMQ) rappelle cependant qu’il y a cinq ans, lors des discussions sur les nouvelles activités de la loi 41, « la demande de la vaccination n’avait pas été retenue, car on considérait que les pharmaciens n’avaient pas la formation ni la compétence », explique le Dr Jean-Bernard Trudeau, secrétaire adjoint du CMQ. Bien sûr, la situation a pu évoluer depuis, dit-il, mais avec 28 professions de la santé, il faut faire attention à maximiser les activités de chacune. « Le CMQ n’est pas contre le fait que les pharmaciens vaccinent, souligne-t-il, mais c’est déjà une activité qui est accordée aux infirmières dans le cadre de la loi sur la santé publique. Alors je pense qu’il faut optimiser la compétence des infirmières dans ce cadre-là. »À force de se faire demander un partage des activités médicales par d’autres professionnels de la santé, avec ou sans ordre, le CMQ a mis en ligne un cadre d’analyse des demandes de partage d’activités médicales. « S’il y a des nouvelles activités qui sont souhaitées parce que les cursus de formations sont modifiés ou ont évolué, il suffit de remplir le cadre d’analyse pour qu’on étudie toute demande », précise le Dr Trudeau. Mais, pour lui, il serait important que la Santé publique se positionne dans ce dossier, car « il y a des enjeux sociétaux, de cohésion et de complémentarité », explique-t-il « et qu’il ne faudrait pas que cela se fasse n’importe comment. »Qu’en pensent les autres instances ?L’Ordre des infirmières et des infirmiers du Québec (OIIQ) n’a pas encore pris position dans ce dossier, a-t-il indiqué à Profession Santé. Le directeur national de santé publique, le Dr Horacio Arruda, a de son côté décliné notre demande d’entrevue. L’attachée de presse du ministère de la Santé et des Services sociaux a précisé qu’il y a tout un processus à suivre avant que la question ne se pose vraiment. « L’Ordre des pharmaciens doit fournir une demande à l’Office des professions, qui évalue la demande et consulte alors les partenaires, dont le ministère, le CMQ et l’OIIQ. » Or, c’est seulement au moment où une demande sera formulée que la santé publique « fera ses commentaires. »26Nombre de maladies infectieuses qui peuvent être prévenues par la vaccinationSource: OMS88 %Pourcentage des Canadiens qui s’en remettent aux pharmaciens pour des conseils sur les vaccins79 %Pourcentage des Canadiens qui envisageraient de consulter leur pharmacien pour un vaccin antigrippal ou d’autres vaccinsSource: Association canadienne des pharmaciens – sondage réalisé en 201595 %Pourcentage des Québécois qui se disent favorables à ce que les pharmaciens offrent des services de vaccinationSource: AQPP – sondage d’octobre 2016Un portrait de la vaccination en pharmacieL’Institut national de la santé publique du Québec (INSPQ) a pourtant déjà étudié la question. La Dre Chantal Sauvageau, médecin-conseil à l’Institut avait publié avec plusieurs collègues un rapport de recherche, intitulé Les services de vaccination dans les pharmacies du Québec, en 2010. Il s’agissait de décrire les services offerts et de faire le point sur les intentions des pharmaciens « quant à l’offre future de services de vaccination dans leur milieu. »En 2009, un quart des pharmacies québécoises offraient la vaccination, « via une infirmière ». Un service mis en place en grande majorité parce que les patients en avaient fait la demande. Parfois, mais plus rarement, les pharmaciens propriétaires le proposaient à la demande de la bannière à laquelle la pharmacie était affiliée. Un service, assez récent, puisqu’il avait été instauré en 2004 ou après. Les pharmacies vendaient par ailleurs surtout les vaccins contre les hépatites A et B, d’autres, destinés aux voyageurs, et celui contre le virus du papillome humain (VPH). En revanche, c’est surtout le vaccin contre l’influenza qui était administré en pharmacie.Fait important, seulement la moitié des pharmaciens se disaient prêts à administrer des vaccins si on le leur avait permis. « L’autre moitié ne voyait donc pas cela dans son champ de pratique ou comme une activité supplémentaire qui serait considérée favorablement », souligne la Dre Sauvageau. Et même si le portrait a changé, il faudrait s’assurer que l’on regarde la situation de façon globale. « Au Québec, il y a plus d’infirmières et de médecins que de pharmaciens, explique-t-elle. Il faut donc se demander, dans notre offre globale, qui est le mieux placé pour offrir quoi. » Aussi, les médecins ne font pas payer pour vacciner, mais « si le pharmacien vaccine, il commencera par négocier un tarif pour cela », souligne la Dre Sauvageau. Sans parler de la question de l’organisation des services. Pendant que les pharmaciens vaccineraient, ils ne feraient pas autre chose. « Expliquer la vaccination, l’administrer, colliger l’information, rentrer dans le système que la dose a été donnée, surveiller la personne 15 minutes après » : tout cela prend du temps rappelle la médecin-conseil… et un deuxième pharmacien pour s’occuper des autres patients.De toute façon, selon elle, il faudrait que ce soit les pharmaciens qui prennent le leadership dans ce dossier. À l’époque où l’étude de l’INSPQ a été publiée, alors que les pharmaciens demandaient l’ajout de services, ils avaient fait le choix de ne pas mettre l’administration des vaccins dans leurs priorités.Un sujet dans l’air du temps ?Encore aujourd’hui, « ce n’est pas notre enjeu numéro un », reconnaît Bertrand Bolduc, président de l’Ordre de pharmaciens du Québec (OPQ). Si l’Ordre en parle, c’est parce que les journalistes posent des questions à ce sujet, que cela intéresse les étudiants en pharmacie et que des groupes de pharmaciens sont convaincus qu’il est temps de passer à l’action. Pourtant, même si on leur donnait le droit, ce serait difficile pour les pharmaciens de répondre à la demande, estime Bertrand Bolduc. « On n’a pas encore formé nos pharmaciens sur l’administration de médicaments à des fins de démonstration. On vient de commencer, donc même si on voulait vacciner demain, on n’est pas prêt », explique-t-il.Le président de l’OPQ comprend cependant l’impatience de ses collègues. « C’est un vieux dossier et cela fait longtemps qu’on a cette demande parce que partout au Canada on peut vacciner » dit-il. Les pharmaciens ontariens viennent d’ailleurs d’obtenir un élargissement des vaccins qu’ils peuvent administrer. « Avant c’était juste la grippe et maintenant c’est 12 ou 13 vaccins pour le voyage qui sont ajoutés à leur liste », ajoute-t-il. Et Bertrand Bolduc est persuadé qu’au Québec aussi les pharmaciens pourraient « améliorer la performance en matière de cible de vaccination en complétant l’offre tard le soir, en région ou dans des endroits moins accessibles ».Pour lui beaucoup de choses ont changé depuis les premiers travaux à ce sujet avec le CMQ. « Les champs d’exercices ont évolué. Ceux des infirmières, mais les nôtres aussi avec la loi 41 », qui a permis aux pharmaciens d’ajouter de nouvelles activités à leur pratique depuis 16 mois. « On s’était dit, on va commencer par marcher avant de courir. Maintenant, on marche bien sans se faire mal aux pieds. Tout se passe bien, il n’y a pas vraiment de problèmes, alors oui éventuellement on pourra ajouter la vaccination », précise Bertrand Bolduc. Et ce n’est plus le moment de faire des études, ou de se positionner pour ou contre l’administration des vaccins par les pharmaciens. « Si j’étais l’ordre des infirmières ou la santé publique, je ne mettrais pas des ressources pour développer une position. La position est mondiale et bien établie (voir encadré Ailleurs dans le monde). Il s’agit juste éventuellement de rajouter cela aux champs », assure-t-il.Une question d’évaluationLes médecins en sont moins sûrs. « L’enjeu dans cette question est de savoir si les pharmaciens ont la formation et la compétence, et pour cela je m’en remets au Collège des médecins », explique le Dr Louis Godin, président de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ). Pour lui, cela revient, comme dans plusieurs dossiers touchant au partage des activités médicales, à se questionner sur la capacité des autres professionnels de la santé à évaluer les patients. « Le médecin a cette capacité, les infirmières se sont fait reconnaître cette capacité-là. Il s’agit de voir si le pharmacien l’a », souligne-t-il.Cette question ne concerne évidemment pas les cas faciles reconnaît le Dr Godin. « Vous avez 25 ans, vous voulez être vacciné, il n’y a pas beaucoup de contre-indications, reconnaît-il, mais il y a toujours des situations où c’est un peu plus gris et il faut se préoccuper de ces zones-là », explique-t-il.

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