Universalité? Vraiment?

On a beaucoup parlé dans les dernières années de l’accessibilité aux soins de santé au Québec. De façon encore plus spécifique, on a demandé, ou plutôt exigé l’accessibilité du médecin de famille par le déploiement de l’accès adapté. On l’a mesurée aussi: taux d’assiduité, mesure du délai pour l’offre du troisième rendez-vous disponible… des efforts considérables ont été déployés par nos décideurs et nos médecins qui ont fait de l’accessibilité une quête digne du Saint-Graal. On sait maintenant que cette croisade a généré des dommages collatéraux. Le maintien d’un bon taux d’assiduité a ainsi de plus en plus été mis de côté comme exigence en raison de ses effets pervers mieux connus. La diffusion des balises de la nouvelle entente entre le ministère de la Santé et la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec soulève une tout autre question: qu’en est-il de l’universalité, soit la capacité à protéger toutes les personnes inscrites au régime d’assurance maladie selon des modalités uniformes? Est-ce que cette nouvelle entente va pouvoir régler le nouveau problème des dernières années, soit le fait qu’il existe en quelque sorte au Québec deux systèmes de santé: un pour les inscrits et l’autre pour les orphelins? Une bonne nouvelle Avant de plonger dans ces questions existentielles, commençons par nous remonter le moral avec une bonne nouvelle. Il y a un changement de ton qui se confirme de plus en plus de la part du ministre de la Santé, Christian Dubé, à l’égard des médecins de famille. Je me doutais qu’un gestionnaire aguerri aurait tôt fait de détecter l’impact dévastateur des années de Doctor bashing sur l’attractivité en médecine familiale et les départs à la retraite. S’il y a une limite, un point de rupture à ne pas franchir quand on tente d’extraire le jus d’un citron, eh bien elle est atteinte. Dans les derniers mois, les numéros de Profession Santé ont abordé à plusieurs reprises la détresse chez les soignants (ici ou ici). Christian Dubé semble l’avoir compris, il est inutile, voire risqué de taper sur la tête de tous ces gens avec un genou au sol. Départs de médecins à la retraite, manque d’attractivité de la médecine familiale, le constat est inévitable: la promesse sempiternelle d’un médecin de famille par Québécois ne se réalisera probablement jamais, bien qu’elle ait été faite par plusieurs gouvernements successifs. Christian Dubé a tranché: les Québécois n’auront pas tous un médecin de famille inscripteur. Ce qui compte maintenant, c’est que tous les Québécois aient accès à des soins de première ligne en temps opportun. La première ligne est enfin redéfinie comme elle se doit: c’est un groupe de professionnels et non pas «un médecin de famille». Ce faisant, on admet enfin que notre système n’est présentement pas universel. Bravo. Il était temps qu’on le nomme… Tout le monde a réalisé à son rythme depuis la réforme de structures qui a découlé des lois 10 et 20 qu’il existe maintenant au Québec deux classes de citoyens: ceux qui ont un médecin de famille et ceux qui n’en ont pas. Les premiers ont un accès privilégié aux services d’un groupe de médecins de famille (GMF). Ils peuvent voir leur médecin ou un autre médecin en moins de 72 heures, sept jours sur sept. Ils ont accès à des infirmières cliniciennes, des travailleurs sociaux, un pharmacien consultant et parfois même une nutritionniste, un physiothérapeute et j’en passe. Plusieurs sont suivis par des IPSPL. Le modèle GMF semble fonctionner, mais pas pour tous les citoyens québécois. En effet, les citoyens non inscrits n’ont accès… à rien d’autre que l’urgence. Ils sont bannis de tous les GMF du Québec. S’ils sont chanceux, ils habitent à proximité d’un GMF-R, ce programme aux critères d’adhésion si exigeants que leur développement s’en est trouvé grandement freiné. Ainsi, l’universalité est autant menacée que l’accessibilité… Il se fait au Québec une médecine de qualité, possiblement de surqualité même, mais seulement pour la classe des citoyens «inscrits» à un médecin de famille. Vers quatre classes de citoyens La solution viendra-t-elle de la nouvelle entente? On sait en tous cas qu’on va maintenant avoir quatre classes de citoyens. Tous auront accès au système, mais pas tous de la même façon. Les citoyens de la première classe resteront orphelins. Ils auront accès au guichet d’accès à la première ligne (GAP), cette entité qui a fait ses preuves dans le Bas-Saint-Laurent. Une autre «classe» de citoyens aura droit à une inscription de «groupe»: ils n’auront pas «un médecin de famille», mais auront accès aux services du GMF. Les deux autres «classes» sont déjà connues et existantes: inscrits et suivis par un médecin de famille, ou encore inscrits à un médecin de famille et suivis par une IPSPL. On attend toujours l’inscription directe aux IPSPL, mais c’est un autre sujet. Ces citoyens inscrits sont choyés. Ils ont pleinement accès à tous les services du GMF et ont un suivi personnalisé par un seul professionnel de la santé qui garde une vue d’ensemble cohérente sur leur dossier. Je n’ai pas d’objection fondamentale à l’existence de ces quatre «classes» de citoyens. Ça pourrait même devenir la meilleure idée jamais avancée en première ligne au Québec… à un détail près. Il faudrait que l’assignation des citoyens à ces différents types de suivi soit ajustée en fonction de l’âge et de l’état de santé. Or, l’assignation sera aléatoire et c’est là que le bât blesse. Pire, je ne crois pas beaucoup au hasard en fait… Regardez bien la démographie et la condition de santé des patients orphelins dans les prochaines années; je doute que les plus laissés pour compte soient les jeunes adultes en santé. Dans un monde idéal, on s’entend que l’enfant de 0-6 ans serait inscrit à un groupe de médecins. Il n’a pas besoin d’un médecin de famille assigné. Il a besoin d’une infirmière clinicienne qui fait ses suivis préventifs et de l’accès à un médecin ou une IPSPL pour ses besoins médicaux aigus. Un GMF peut lui offrir cela en tant que groupe. Nul besoin d’une inscription individuelle. Dans ce même monde idéal, l’adulte en bonne santé pourrait quant à lui demeurer orphelin. Il accéderait au système via le GAP et au médecin uniquement lorsque pertinent. Combien entend-on de jeunes adultes dire: «Je n’ai pas besoin d’un médecin de famille, j’ai besoin d’un accès.» Eh bien voilà! Affaire classée. Enfin, les adultes avec maladie chronique et les aînés devraient tous être inscrits à un médecin de famille et/ou une IPSPL. Les faire transiter par un GAP pour être soignés par des personnes différentes à chaque visite sera problématique et même délétère. L’un prescrira ce que l’autre a déprescrit et aucune alliance thérapeutique de qualité ne se bâtira entre le soignant et le soigné. Enfin, les personnes avec troubles de santé mentale devraient être inscrites et suivies par un médecin de famille et non pas par des IPSPL. Du moins en attendant qu’on ajoute aux IPSPL les outils à leur coffre pour soigner ces usagers sans médecin partenaire. Est-on est en vraiment en train de régler le problème d’universalité et d’accessibilité à la première ligne? J’aimerais y croire, mais permettez-moi d’en douter. Mais ce n’est pas ce qui va se passer. Avec la nouvelle entente, son adhésion volontaire et son déploiement sans balise claire, le jeune adulte en santé déjà inscrit à un médecin de famille le restera et continuera d’avoir accès à un système de surqualité. Il pourra obtenir son rendez-vous médical en moins de 72 heures dès qu’il aura la gorge qui picote ou un début de mycose des ongles. Durant ce temps, l’aîné malade pourrait très bien terminer ses jours orphelin sur le GAP, se faisant promener entre l’infirmière clinicienne, le pharmacien et le médecin du sans-rendez-vous, sans chef d’orchestre pour garder une vue d’ensemble sur sa santé. On règlera pour lui «un problème à la fois» comme si son corps, ses maladies et son contexte de vie étaient segmentés. Un recul pour la spécialité de médecine familiale qui se veut la seule à pouvoir approcher l’être humain dans sa globalité. Et n’oublions pas l’IPSPL qui tentera aussi bien qu’elle le peut de soigner le patient toxicomane avec des troubles de santé mentale, en tirant la manche de son médecin partenaire pour obtenir du soutien. Pendant ce temps, le médecin de famille continuera d’inscrire quelques patients, mais maintenant uniquement au «groupe», dans une course à l’inscription sur toile de fond de campagne électorale. Est-on est en vraiment en train de régler le problème d’universalité et d’accessibilité à la première ligne? J’aimerais y croire, mais permettez-moi d’en douter.

Pratique Santé

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Derrière ce blogue:

Mathieu Pelletier

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