Une seule santé: «Cette pandémie n’est pas qu’un problème de santé humaine»

Professeure au département de pathologie et microbiologie de la Faculté de médecine vétérinaire ainsi qu’au département de médecine sociale et préventive à l’École de santé publique de l’Université de Montréal, la Dre Hélène Carabin est une des figures de proue, au Canada et dans le monde, du concept «Une seule santé», ou «One Health» en anglais. En entrevue avec Profession Santé, elle expose les tenants et les aboutissants de cette approche qui appréhende la santé humaine, animale et végétale comme un tout indissociable. Vous êtes coauteure d’un mémoire intitulé One Health as a Pillar for a Transformative Pandemic Treaty (traduction libre : Une seule santé comme pilier d’un traité transformateur sur les pandémies) qui a été publié en novembre 2021. Quelle est sa finalité ? Ce document d’orientation nous a été commandé par le Global Health Centre de l’Institut de hautes études internationales et du développement de Genève, un centre de recherche dans le domaine de la santé mondiale. On a travaillé sur ce rapport pendant trois ans afin de le publier en amont de la session extraordinaire de l’Assemblée mondiale de la santé, organisée en fin d’année dernière, qui a lancé les négociations autour d’un nouveau traité international sur la prévention, la préparation et la riposte face aux pandémies. L’intention de notre mémoire est de faire prendre conscience aux décideurs politiques qu’on ne peut plus parler de pandémies, de maladies en émergence ou infectieuses sans prendre en considération que l’être humain est un tout petit élément de l’ensemble des espèces animales, mais qu’il a un impact énorme sur l’environnement et toutes les autres espèces. On ne peut plus ignorer ce fait si on veut contrôler ce qui se passe actuellement et si on veut éviter que ça se reproduise, car cette pandémie n’est pas qu’un problème de santé humaine. C’est l’illustration du concept «Une seule santé» : on a un agent infectieux d’origine animale, qui s’est transmis à l’homme, qui l’a ensuite transmis à d’autres animaux, comme les cerfs de Virginie. En quelques mots, comment caractériser ce concept ? Je vais reprendre la définition récemment publiée par l’Organisation mondiale de la santé, celle de la santé animale, le Programme alimentaire mondial et le Programme des Nations Unies pour l’environnement qui se sont associés pour promouvoir ce concept. «Une seule santé» est une approche intégrée et unificatrice qui vise à équilibrer et à optimiser durablement la santé des personnes, des animaux et des écosystèmes. Elle reconnaît que la santé des humains, des animaux domestiques et sauvages, des plantes et de l’environnement au sens large est étroitement liée et interdépendante. Cette approche mobilise de multiples secteurs, disciplines et communautés à différents niveaux de la société pour travailler ensemble à la promotion du bien-être ainsi qu’à la lutte contre les menaces pour la santé et les écosystèmes, tout en répondant au besoin collectif d’eau, d’énergie et d’air propres, d’aliments sûrs et nutritifs, en prenant des mesures contre le changement climatique et en contribuant au développement durable. En quoi cette approche permet-elle de mieux lutter contre les pandémies ? Il ne faut pas la restreindre aux pandémies. C’est une approche plus large qui s’applique à tous les enjeux de santé de tous les êtres vivants. Il n’y a pas que les humains qui souffrent d’obésité, beaucoup de chats et de chiens également. Pareil pour les cancers liés à des déterminants environnementaux, ils affectent aussi les animaux de la faune. Les amphibiens par exemple sont très sensibles aux toxines, aux produits chimiques ou aux microplastiques. Les antibiotiques utilisés en santé humaine, en santé vétérinaire et en agriculture se retrouvent directement dans la nature. Tout est connecté et peut exercer une influence sur tout, et cela fonctionne dans tous les sens. Ce qui différencie cependant l’homme des autres espèces, c’est qu’il a un pouvoir d’influence énorme sur son environnement. Tous les jours, nos antimicrobiens, nos agents infectieux se retrouvent dans les égouts et sont transmis à des espèces animales et végétales. L’approche «Une seule santé» tient compte de ces interconnexions et interactions multiples. Elle est très orientée vers la santé publique et mise sur la prévention et la médecine comparée en brisant les silos entre santé humaine, animale et environnementale. Existe-t-il des applications concrètes ? Le PICRA (Programme intégré canadien de surveillance de la résistance aux antimicrobiens) est un excellent exemple. C’est le premier système de surveillance réellement intégré au monde dans le sens où le PICRA recueille et analyse, au même endroit et avec les mêmes méthodes, des données sur l’antibiorésistance collectées dans les élevages, à l’épicerie, chez l’humain et dans l’environnement. Il permet de voir les interactions entre les milieux pour détecter et prévenir l’émergence et la propagation de bactéries résistantes parmi les animaux, les aliments et les humains. Et ça fonctionne. Le PICRA a démontré au milieu des années 2000 que l’usage préventif d’antibiotiques de niveau 1 chez les animaux était relié à des cas d’antibiorésistance chez l’homme. Si l’origine animale de la COVID-19 ne fait pas consensus, celle de la maladie de Lyme, qui progresse d’été en été au Québec, est attestée. C’est l’exemple parfait d’une maladie infectieuse qui nécessite une approche «Une seule santé». On a une tique porteuse d’une bactérie transportée par un vecteur influencé par son environnement, un rongeur, un oiseau ou un cerf, et on a des gens qui déménagent à proximité de boisés avec leurs animaux de compagnie. Car la maladie de Lyme n’est pas qu’un enjeu de santé humaine, c’est aussi un problème vétérinaire. Et si un chien tombe malade, ça affecte aussi ses maîtres. La toxoplasmose est un autre bon exemple : elle atteint toutes les espèces animales, on la retrouve dans les sols et dans l’eau, elle affecte le cerveau des animaux et elle est reliée à la schizophrénie et à la bipolarité chez l’homme. Tous les éléments sont là. Malgré tout, le concept dit «Une seule santé » reste méconnu. Pourquoi ? Les Grecs faisaient déjà le lien entre santé humaine et animale. Au 18e siècle, l’anatomiste français Honoré Fragonard enseignait aux vétérinaires l’anatomie comparée entre l’humain et le cheval. Ça fait longtemps qu’on sait qu’il ne faut pas manger de viande infectée. Cette approche n’est donc pas nouvelle, mais durant le 20e siècle, on a développé les domaines scientifiques en silos, on a aussi compartimenté la médecine humaine – le foie d’un côté, le cerveau de l’autre – en oubliant qu’il faut avoir une vision holistique. On est en train de le redécouvrir, et les pays pauvres l’ont moins oublié que les pays riches. Au Burkina Faso, les gens vivent avec les animaux, ils sont conscients de leur propre santé et de celle de leurs bêtes. Une chose positive de la COVID-19 pour l’approche «Une seule santé», c’est que les gens ont au moins pu se familiariser avec le terme «zoonose».

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