Une clinique spécialisée dans les ITS: Las des délais d’attente dans le public, le Dr Réjean Thomas se lance dans le semi-privé

« J’ai le sentiment profond que le réseau public ne répond pas au dépistage et au suivi en matière d’infections transmises sexuellement (ITS). Je continue à croire au système public, certes, mais il n’est pas parti pour s’améliorer. » Face à ce constat, le Dr Réjean Thomas1 vient d’ouvrir à Montréal la Clinique A, un cabinet privé spécialisé en santé sexuelle et dont il est le président. Le Dr Marc Steben en est le directeur médical. Elle compte trois médecins et une infirmière.Pourquoi une nouvelle clinique ? Parce que nous sommes incapables de répondre à la demande de dépistage des ITS à la clinique L’Actuel, où l’on a priorisé les clientèles à risque élevée. Nous sommes donc obligés de refuser la clientèle à risque plus faible en matière de VIH. On ne peut pas tout faire.Dans la nouvelle clinique, nous recevons une clientèle à risque moins élevé. Elle est donc complémentaire à L’Actuel. Nous offrirons aussi une clinique de santé des femmes (cytologie, cancer) et de dépistage des ITS, dont celui du VIH avec résultat rapide (10 minutes).Vous sortez du Village donc…Oui et d’ailleurs, bien des gens hésitent à venir consulter dans le Village, car L’Actuel est identifiée, en grande partie à tort, aux seuls gais et au VIH-sida. À notre nouvelle clinique, nous avons environ 25 % de gais et 75 % d’hétéros. Nous avons deux types de clientèles différentes selon les cliniques, et c’est le mélange qui est intéressant.Pourquoi vous lancer dans un nouveau projet à 56 ans ?J’avais besoin d’un défi. J’ai choisi d’ouvrir une nouvelle clinique, dans un autre lieu avec, pour mission, le dépistage. À L’Actuel, ça roule bien (30 médecins, 2500 patients VIH actifs, 800 hépatites C, 2100 patients sous trithérapie), mais nous avons de moins en moins de disponibilités pour le dépistage.Vous virez au privé en somme ?Non, au semi-privé, car nous continuons de faire une médecine avec la carte d’assurance maladie. Nous offrons en plus des services privés (services d’une infirmière et de laboratoires, via le Groupe Biron-Laboratoire médical). Mais c’est vrai, la clientèle est plus aisée dans la nouvelle clinique.Êtes-vous « tanné » du public ?Je continue d’y croire, mais je suis las des délais d’attente qui y sont associés, car on se sent infantilisé à attendre des heures pour le moindre service. Les professionnels de la santé qui exercent dans le secteur public aiment la médecine, mais ils ne peuvent plus accepter les attentes, la non-prise en charge de leurs patients. Des patients qui ne savent où aller, qui vont dans des cliniques de sans-rendez-vous, où il leur faut tout recommencer, raconter à nouveau toute leur histoire.On attend pour tout : accès à la radiologie, aux analyses, aux ressources, aux labos et aux services médicaux spécialisés. Des patients me demandent régulièrement comment ils pourraient voir rapidement des dermatologues ou des ophtalmologistes privés. Y’a quelque chose qui cloche dans notre système public.Allez-vous exercer différemment dans la nouvelle clinique ?Oui, du fait même que la clientèle est moins lourde. Je compte voir en consultation, disons, un patient à la demi-heure au lieu d’un toutes les 15 minutes. Je prendrai plus le temps de parler avec chacun et c’est un plaisir pour moi. Mais c’est à L’Actuel que j’aimerais aussi pouvoir disposer de plus de temps, ce qui est impossible en raison des longues listes d’attente.Pourquoi ?Comment voir plus de patients et leur accorder le temps nécessaire, quand on en a 300 qui ont le VIH, dont 15 % à 25 % sont coinfectés à l’hépatite, et que se rajoutent des problèmes de toxicomanie et de maladie mentale ? Comment parler de prise en charge dans un tel contexte ?Dans la plus récente entente de la FMOQ, on a favorisé le fait de voir toujours plus de patients, alors même que ces derniers, eux, veulent plus de temps avec leur médecin, surtout quand on parle de maladies chroniques.La clinique médicale L’Actuel n’était-elle pas devenue un GMF pour régler ces problèmes ?Les GMF n’ont pas tout réglé. Ils ne règlent pas la lourdeur des cas, ni leur prise en charge. Ils ne nous donnent pas plus de médecins non plus. Un vrai soutien consisterait, dans notre cas précis, à avoir un ou une sexologue.Et la relève ?Je constate que les jeunes médecins font leur travail et puis s’en vont. Leur qualité de vie prime tout. Je ne suis certes pas un exemple à ce chapitre, car je suis axé sur le travail et j’angoisse quand vient la fin de semaine. C’est pas sain, je sais, mais pour moi, c’est « la médecine d’abord, le reste après ». Même quand je voyage, j’ajoute un congrès. Je suis comme ça. J’ai des réunions quatre soirs par semaine. Bien sûr, si j’avais une famille, je serais divorcé. Même les jeunes résidents qui n’ont pas de famille et viennent exercer à la clinique ne veulent pas en faire plus qu’il ne faut, et surtout pas le soir ou le week-end.Je ne compte pas les heures de bénévolat que j’ai données au milieu communautaire. C’est aussi ce qui m’a aidé à lancer ma vie professionnelle. J’ai demandé un jour à un résident s’il pouvait faire une conférence dans le milieu communautaire. Sa réaction première a été : combien ça paie ? C’est un peu désolant, non ?Avez-vous encore envie de vous lancer en politique ?Ça m’a passé complètement, car j’ai trop de plaisir au travail, avec les patients. Et puis, je suis curieux intellectuellement, alors j’aime suivre l’évolution de la médecine dans mon champ d’activité, ce qui me donne beaucoup de gratification.Je vois des patients de mon âge qui partent à la retraite et me demandent quand je prendrai la mienne. Je ne suis pas prêt du tout. Mais m’offrir de plus longues vacances, ça oui... peut-être.1. Aussi, cofondateur et président de la clinique médicale L’Actuel, fondée en 1984.

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