Une clinique mobile pour les 0 à 5 ans vulnérables du nord de Montréal

«Tous les enfants doivent pouvoir développer leur plein potentiel indépendamment de leur milieu familial ou du lieu où ils vivent.» Cette conviction de la Dre Rislaine Benkelfat est à l’origine de la clinique mobile de DocTocToc, l’organisme de bienfaisance que la pédiatre de l’Hôpital de Montréal pour enfants (HME) a fondé en 2018. Alors que la santé est un droit humain fondamental, «les iniquités en santé sont claires et nettes et elles affectent davantage les enfants vivant en contexte de vulnérabilité qui ont des enjeux d’accessibilité aux soins et aux services sociaux», a constaté dans sa pratique la médecin en indiquant que la clinique de DocTocToc vise à corriger ces problèmes d’accès.En 2021-2022, environ 10% des nouveau-nés au Québec n’avaient pas de médecin de famille ou de pédiatre attitré, selon l’Institut de la statistique du Québec. Cette proportion passe à 20% chez les familles à faible revenu, les familles monoparentales ou celles dont les parents sont nés à l’extérieur du Canada. En 2022, 28,7% des enfants de maternelle 5 ans au Québec étaient considérés comme vulnérables dans au moins un domaine de leur développement. Cette proportion passe à 44% pour ceux vivant dans un ménage à faible revenu, selon l’Enquête sur le développement des enfants à la maternelle. Cette clinique à quatre roues consiste en un véhicule récréatif de 40 pieds, spécialement aménagé pour recevoir des patients âgés de zéro à cinq ans et leurs familles. Composé d’une aire d’accueil, d’une salle d’examen et d’un espace bureau, il circulera dans les arrondissements du nord de l’île de Montréal (Saint-Laurent, Ahuntsic-Cartierville et Montréal-Nord) où les enfants présentant des vulnérabilités développementales à l’entrée en maternelle sont surreprésentés. Du lundi au jeudi, la clinique stationnera à des horaires préétablis et des endroits prédéterminés près d’organismes communautaires ou de services de garde, par exemple.À bord, les familles seront accueillies sans rendez-vous par une infirmière clinicienne et une intervenante psychosociale qui offriront gratuitement des consultations sans rendez-vous. La première sera responsable de l’évaluation clinique des tout-petits, pourra leur prodiguer des premiers soins si nécessaire ou les référer vers un pédiatre pour une évaluation plus approfondie. La seconde évaluera les besoins particuliers de ces familles précarisées (logement, alimentation, etc.) et jouera un rôle de «navigatrice» en les orientant dans le réseau de la santé et des services sociaux et en les accompagnant dans leurs démarches.Lire aussi: 1 bébé sur 10 n'a pas de médecin de famille au QuébecLa clinique de DocTocToc entend ainsi inverser le paradigme actuel. Plutôt qu’encourager les parents à aller consulter dans le réseau, l’idée est d’aller à leur rencontre, dans leurs milieux de vie, pour mieux les orienter ensuite. «En allant au contact de ces familles, on veut créer des liens de confiance afin de lever les barrières qui peuvent compromettre l’accessibilité aux soins», explique la Dre Benkelfat en précisant que ces obstacles sont de différentes natures: géographiques, linguistiques, culturels, institutionnels, etc. «Parfois, ces gens ont aussi une mauvaise perception du réseau en raison d’expériences antérieures négatives. D’autres ne savent tout simplement pas que certains services existent», observe la pédiatre qui exerce à la clinique multiculturelle de l’HME destinée aux enfants de réfugiés et d’immigrants qui ont des besoins médicaux complexes.En collaboration pour éviter les doublons Pour monter ce projet, DocTocToc a collaboré avec des organismes communautaires et les bureaux coordonnateurs des services de garde des trois arrondissements ciblés qui pourront référer des familles à la clinique mobile. «On travaille également avec le CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal pour intégrer notre clinique à leurs trajectoires de soins en pédiatrie», indique la Dre Benkelfat. «On ne veut pas dédoubler les services, mais bien ajouter une porte d’entrée supplémentaire au réseau», insiste la clinicienne en indiquant avoir aussi établi des premiers contacts avec les GMF des quartiers concernés.Dans les prochains jours, la clinique mobile de DocTocToc va commencer ses tournées dans Saint-Laurent. «On va commencer doucement et y aller progressivement», informe la pédiatre qui prévoit que les arrondissements d’Ahuntsic-Cartierville et Montréal-Nord seront desservis d’ici cet été. À terme, l’équipe compte prendre en charge 1500 enfants par an. «On ne sera jamais une clinique à haut débit. On veut prendre le temps avec les familles pour bien les entourer et leur donner le pouvoir d’agir pour leur santé», précise la médecin en mentionnant que la clinique offrira aussi la vaccination et un suivi périodique des enfants qui seront accompagnés pendant une durée de deux ans. Lire aussi: La lutte contre les inégalités en santé passe par des données fiablesDans un second temps, l’équipe envisage d’accueillir à bord une infirmière praticienne spécialisée en première ligne (IPSPL) puis dans une troisième phase, un pédiatre qui pourrait s’occuper directement des évaluations. Également professeure adjointe au département de pédiatrie de l’Université McGill, la Dre Benkelfat signale que la clinique mobile comportera un volet recherche orienté sur l’étude et la documentation des barrières à l’accès et des iniquités en santé. Elle sera un lieu de formation pour les futurs professionnels de la santé (médecins, infirmières, intervenants psychosociaux) afin qu’ils s’exposent à la pédiatrie sociale.Germination en MBAL’idée de DocTocToc et de sa clinique mobile est née en 2017, alors que la Dre Benkelfat faisait un MBA à HEC Montréal, où elle a rencontré son futur associé, Jean-Philippe Couture. Dans le cadre de leur parcours académique, les deux se sont demandés comment améliorer l’accès des enfants aux soins médicaux et psychosociaux. En s’inspirant d’initiatives concluantes ailleurs au Canada et dans le monde, ils ont conclu qu’une clinique mobile pédiatrique serait le meilleur moyen d’atteindre leur objectif.À lire aussi: Un MBA peut-il aider les cliniciens à évoluer?La pandémie de COVID-19 ayant passablement ralenti leur projet, ils ont mis huit ans à le concrétiser. Un temps nécessaire pour tester l’approche de proximité à travers plusieurs projets pilotes et voir si elle répondait réellement aux besoins des familles, mais aussi pour structurer l’organisme DocTocToc et chercher du financement philanthropique. «L’argent, ça reste le nerf de guerre», admet la Dre Benkelfat qui s’estime chanceuse d’avoir entre autres reçu le soutien des fondations de l’Hôpital de Montréal pour enfants et de l’Université McGill.

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