Un test buccal censé prédire le risque de mortalité

La recherche sur le vieillissement s’intéresse depuis longtemps aux liens entre la méthylation de l’ADN, qui conditionne l’expression des gènes dans les cellules, et son influence sur le phénomène de sénescence. Le capital génétique propre à chaque individu influe sur la méthylation, qui est également affectée par nos comportements et notre mode de vie: stress, sommeil, alimentation, activité physique, tabagisme, alcool, etc. Ces facteurs environnementaux, connus pour accélérer le vieillissement, s’inscrivent dans notre génome sous la forme de marqueurs épigénétiques.Au cours de la dernière décennie, des scientifiques ont ainsi élaboré des «horloges épigénétiques» qui mesurent le vieillissement cellulaire et calculent, à l’aide de l’intelligence artificielle, l’âge biologique d’une personne en s’appuyant sur les données de méthylation de l’ADN dans les cellules sanguines. Des chercheurs américains, travaillant pour la jeune pousse Tally Health, disent avoir mis au point une «horloge épigénétique de deuxième génération», baptisée CheekAge, qui repose toujours sur des données de méthylation, mais cette fois-ci dans des cellules des muqueuses de la joue.À lire aussi: Le méthylome, nouvelle carte d’identité (épi)génétique des cancersDans un article publié dernièrement dans la revue Frontiers in Aging, ses concepteurs affirment que CheekAge peut prédire avec précision le risque de mortalité. «Nous démontrons également que des sites de méthylation spécifiques sont particulièrement importants pour cette corrélation, révélant des liens potentiels entre des gènes, des processus spécifiques du vieillissement et la mortalité humaine capturée par notre horloge», déclare dans un communiqué l’auteur principal de l’étude, Maxim Shokhirev.L’horloge CheekAge a été développée en corrélant des données de méthylation sur environ 200 000 sites de l’ADN à un score global de santé et de mode de vie supposé refléter les différences présumées dans le vieillissement physiologique. Pour savoir dans quelle mesure CheekAge permettait de prédire la mortalité, toutes causes confondues, les chercheurs se sont appuyés sur une cohorte de 1513 femmes et hommes nés en 1921 et 1936 qui ont été suivis tout au long de leur vie dans le cadre du programme Lothian Birth Cohorts (LBC) de l’université d’Édimbourg.L’un des objectifs de ce programme était d’étudier les liens entre le vieillissement cognitif, le mode de vie et les facteurs psychosociaux en y incluant un bataillon de données biomédicales, génétiques, épigénétiques et d’imagerie cérébrale. Tous les trois ans, le méthylome des cellules sanguines des volontaires a notamment été analysé sur environ 450 000 sites différents de méthylation de l’ADN.Les chercheurs de Tally Health ont utilisé les dernières données de méthylation disponibles pour chaque individu qu’ils ont associées à leur statut de mortalité. Ils ont ensuite calculé leur âge biologique à l’aide de CheekAge pour évaluer son association avec le risque de mortalité.«Nos résultats montrent que CheekAge est associé de manière significative à la mortalité dans un ensemble de données longitudinales et qu’il surpasse les horloges de première génération basées sur des données sanguines», concluent les auteurs de l’étude. Pour chaque augmentation d’un seul écart-type de CheekAge entre l’âge biologique d’une personne et son âge réel, le ratio de risque de mortalité toutes causes confondues a augmenté de 21%. Parmi les participants qui avaient l’âge biologique le plus avancé, ce ratio était de 50% environ 7,8 ans plus tôt que ceux ayant l’âge biologique le plus jeune. Ces résultats sont cohérents avec ceux d’autres horloges épigénétiques basées sur des données de cellules sanguines, «ce qui suggère qu’il existe des signaux épigénétiques de mortalité communs à tous les tissus», indique Maxim Shokhirev. «Cela implique qu’un simple prélèvement non invasif de la joue peut être une alternative précieuse pour étudier et suivre la biologie du vieillissement», ajoute le responsable de la biologie computationnelle et de la science des données chez Tally Health.Lire aussi: Qu’est-ce qui distingue les «superaînés» des autres personnes âgées?Dans cette étude, les chercheurs ont examiné plus en détail les sites de méthylation les plus fortement liés à la mortalité. Ils ont ainsi pu identifier des gènes spécifiques comme des candidats potentiels susceptibles d’influencer fortement la durée de vie ou le risque de maladies liées à l’âge. Par exemple, les gènes PDZRN4, un possible suppresseur de tumeur, et ALPK2, qui joue un rôle dans le développement cardiaque et pourrait être impliqué dans certains cancers, se sont distingués comme des marqueurs potentiels du vieillissement. Lorsque ces deux gènes étaient retirés de l’analyse, la capacité de CheekAge à prédire la mortalité diminuait de manière significative.Sérieux bémolsProfesseure d’épigénétique à l’Université de Bath, Adele Murrell observe dans un communiqué qu’elle n’a «rien trouvé dans l’étude qui indique que l’horloge CheekAge sera capable de prédire le jour (ou même l’année) où quelqu’un mourra.» Elle souligne que «les changements épigénétiques sont théoriquement réversibles, de sorte que ces données ne seraient utiles que pour avertir les gens qu’ils risquent de mourir prématurément.»Le professeur de sciences des cellules souches au King’s College de Londres, Dusko Ilic, estime quant à lui que l’utilisation du terme «prédicteur de mortalité» dans les communications Tally Health soulève des questions éthiques. «Je pense que cette formulation peut être trompeuse, car elle implique une capacité déterministe à prévoir la mort, ce qui n’est pas scientifiquement ou éthiquement approprié. En réalité, ces horloges fournissent des évaluations probabilistes des risques plutôt que des prédictions concrètes», explique le chercheur qui considère que «l’accent mis sur la mortalité dans ce contexte peut potentiellement provoquer une anxiété inutile et favoriser un état d’esprit fataliste chez certaines personnes, plutôt que de promouvoir des connaissances concrètes sur la vie en bonne santé et le bien-être.»En attendant, Tally Health commercialise sur son site web le TallyAge Test Kit, un test ADN qui permet de calculer son âge épigénétique, vendu au prix de 249$US. En fonction des résultats obtenus par le client, il reçoit des conseils pour changer son régime alimentaire et adopter de saines habitudes de vie. La jeune pousse, qui vend également des compléments alimentaires, propose aussi des formules d’abonnement à partir de 129$ par mois grâce auxquelles les adhérents passent des tests ADN tous les trois à six mois. En fonction des résultats, les recommandations changent de même que les compléments alimentaires inclus dans la formule.

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