Un pharmacien radié 31 mois pour une trentaine d’infractions gravissimes

De l’avis du Conseil de discipline de l’Ordre des pharmaciens du Québec (OPQ), la preuve colligée contre Dominic Beaumont est «tout simplement accablante». Depuis qu’il est devenu propriétaire en 2015 de la pharmacie Proxim de Saint-Jean-de-Dieu, à une vingtaine de kilomètres de Trois-Pistoles, le pharmacien a multiplié les manquements à son intégrité professionnelle. La plupart sont liées à son usage immodéré de psychotropes. Une dépendance qui a commencé à se manifester au début des années 2010, lorsqu’il était étudiant en pharmacie à l’Université Laval. En tout et pour tout, Dominic Beaumont devait répondre à 34 chefs d’infractions auxquels il a tous plaidé coupable. La plainte déposée par la syndique adjointe Nathalie Lacasse lui reprochait entre autres: sa consommation démesurée de substances psychotropes (amphétamines, narcotiques, etc.) dont il s’approvisionnait à même son inventaire; de s’être rendu à lui-même quelque 450 services pharmaceutiques en se les faisant rembourser par la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ); d’avoir usurpé le nom et le numéro d’exercice d’un médecin afin de donner une fausse légitimé à des ordonnances;de conserver dans le sous-sol de sa pharmacie des boîtes de médicaments périmés, dont des substances contrôlées et des sirops narcotiques;d’avoir laissé des services pharmaceutiques être rendus sans la surveillance d’un pharmacien;d’avoir été négligent dans la délivrance d’ordonnances à des patients diabétiques. Ses pairs ont jugé que «ces infractions revêtent une gravité objective des plus élevée», qu’elles «sont au cœur de l’exercice de la profession» et qu’elles minent la confiance du public de même que sa protection. En soulignant que les sanctions à imposer au pharmacien «doivent refléter cette gravité», ils lui ont infligé 34 périodes de radiation allant de deux semaines à 24 mois, certaines à purger concurremment, d’autres consécutivement, pour un total de 31 mois de radiation.Avant sa réinscription au tableau de l’Ordre, Dominic Beaumont devra se soumettre à une enquête particulière sur sa compétence, conduite par le comité d’inspection professionnelle de l’OPQ. Et à l’issue de sa période de radiation, il devra s’abstenir de redevenir propriétaire d’une pharmacie pendant cinq ans.Contexte difficile en région éloignéeÀ l’audience, l’intéressé a déclaré qu’il n’envisage pas cette option, car selon lui, ses difficultés découlent de son statut de pharmacien propriétaire et de ses exigences en région éloignée. Il mentionne qu’à partir de 2020, la situation est devenue particulièrement intenable en raison d’un manque criant de personnel et qu’au cours de l’année suivante, il a perdu 80% de ses employés. Durant cette période, il souffrait d’un syndrome d’épuisement professionnel et son contexte personnel était également difficile puisqu’il a été confronté à plusieurs deuils et qu’il vivait beaucoup d’incertitudes. Après s’être consacré corps et âme à sa pharmacie pendant près de 10 ans, en y investissant du temps, de l’énergie et de l’argent, Dominic Beaumont signale qu’aujourd’hui, il est passablement endetté, une issue qu’il n’aurait jamais cru possible.Le pharmacien ajoute que le processus de l’enquête, entamée par le syndic de l’OPQ à la suite d’une inspection professionnelle, a été «difficile et exigeant». À cet effet, il souligne qu’entre mars 2021 et mars 2024, il a répondu à 17 demandes différentes formulées par Nathalie Lacasse et qu’il a dû lui transmettre quelque 3000 pages de documents. Ce qui «a nécessairement eu un effet d’amplification» dans une situation déjà complexe, estime-t-il, tout en reconnaissant la nécessité de ces investigations.Celles-ci ont permis de mettre en lumière et de caractériser toutes ses infractions à la déontologie. L’enquête a ainsi établi qu’il manquait des milliers et des milliers de médicaments psychotropes et stupéfiants à son inventaire, dont 7070 comprimés de dextroamphétamine et 904 capsules de Dilaudid. La décision du Conseil de discipline indique qu’il s’agit là «de pâles exemples de quantités de médicaments manquants entre le 13 février 2015, date de l’achat de sa pharmacie, et le 10 novembre 2023». Dominic Beaumont a d’ailleurs confirmé au syndic qu’il n’avait mis en place aucune mesure de contrôle des stupéfiants et qu’il ne disposait pas de logiciel de gestion de substances désignées. Pour seule explication, il a admis qu’il avait besoin de ces médicaments pour fonctionner.Le pharmacien a également avoué qu’au cours des années 2020 et 2021, il a falsifié au moins trois ordonnances, qu’il a inscrites à son dossier pharmaceutique, en utilisant le nom et le numéro d’exercice d’un médecin. Une manœuvre qui lui a permis d’obtenir plus de 1000 comprimés psychostimulants, selon la preuve présentée par le syndic.Lire aussi: Un technicien sanctionné pour avoir détourné de la cocaïne de la pharmacieParmi les autres infractions liées à sa dépendance, l’enquête montre qu’entre 2019 et 2021, le professionnel s’est rendu à lui-même quelque 450 services pharmaceutiques, en laissant croire que certains avaient été exécutés en pilulier. Services dont il a ensuite demandé le remboursement à la RAMQ en sus du coût des médicaments concernés, au milieu desquels figuraient trois psychostimulants traités à titre de médicaments d’exception. À l’audience, Dominic Beaumont a déclaré qu’il avait depuis fait une divulgation volontaire auprès de la Régie pour ces services pharmaceutiques facturés dans son propre dossier et qu’il lui avait remboursé la somme de 2758$. Négligences dans son exercice de la pharmaciePlusieurs manquements qui lui ont été reprochés concernent directement sa pratique de pharmacien. À deux reprises, l’enquêteur du syndic a par exemple constaté que sa pharmacie était ouverte et que des services pharmaceutiques y étaient rendus en l’absence de contrôle et de surveillance d’un pharmacien. Une fois, l’enquêteur a ainsi pu acheter une bouteille d’AdvilMD 200 mg, au format de 24 comprimés, sans que la caissière ne s’y oppose. Un autre jour, il a observé que des ordonnances ont été délivrées à des patients en l’absence de Dominic Beaumont.De plus, ce dernier est personnellement impliqué dans des erreurs d’exécution de deux ordonnances pour des patients diabétiques. La première concernait une personne dont la dose d’insuline est diminuée de cinq à quatre unités par jour à la suite d’une hospitalisation. La pharmacie lui a plutôt remis une prescription de 40 unités par jour. La seconde est liée à une erreur de retranscription d’une ordonnance. Le patient a ainsi reçu de l’insuline à action lente plutôt qu’à action rapide. Dans les deux cas, ces erreurs n’ont pas été consignées dans les dossiers des patients.Lire aussi: Suspendue trois ans, une pharmacienne doit aussi rembourser 450 000$ à la RAMQRemords sincèresDevant ses pairs, le pharmacien a exprimé des regrets envers ses employés, ses patients, ses proches et son entourage. Il a assumé ses responsabilités en déclarant être le seul à blâmer. Il a en outre offert des excuses à la syndique adjointe et à son enquêteur, en admettant qu’il a complexifié leurs tâches en occultant des faits ou en mentant.Au printemps dernier, l’OPQ avait imposé à Dominic Beaumont une limitation de pratique en attendant que le Conseil de discipline se prononce à son égard. Dans les limites de celle-ci, le pharmacien est demeuré proactif avant d’éviter un bris de services à sa pharmacie qui dessert une population d’environ 400 habitants. Il s’est aussi occupé de lui en se faisant suivre régulièrement par un professionnel de la santé. Enfin, il a mis en vente son officine qui a été rachetée par les pharmaciens Jean-Sébastien Blais, Jean-François Lépine et Guillaume Latulippe.

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