Surdiagnostic d’autisme: des associations veulent remettre les pendules à l’heure

Alors qu’une étude publiée la semaine dernière suggérait que les différences entre les individus présentant un trouble du spectre de l’autisme (TSA) et ceux non autistes avaient diminué au fil du temps, les propos tenus par la suite par l’auteur de l’étude sont loin d’avoir fait l’unanimité auprès des associations d’autisme au pays.L’étude en question, publiée dans la revue JAMA Psychiatry, a passé en revue les données de 11 méta-analyses publiées entre 1966 et 2019 et portant sur un total de près de 23 000 personnes ayant reçu un diagnostic d’autisme.L’auteur principal, le psychiatre Laurent Mottron, une sommité dans le monde de la recherche sur l’autisme, a affirmé que ces résultats démontrent une dérive dans le diagnostic de l’autisme. En effet, selon lui, les diagnostics seraient faits sur la base de signes moins marqués ou prononcés, entraînant un surdiagnostic dans la société.L’Alliance canadienne pour le TSA (ACTSA) a rapidement réagi. Il s’agit de la première fois de son histoire que l’Alliance fait une sortie publique de la sorte. «Le fait de rapporter (…) dans de récents articles, que les critères diagnostiques du TSA sont devenus triviaux est tout à fait fallacieux et très loin de la vérité. En fait, ce point de vue a apparemment été partagé par un chercheur lors de déclarations hyperboliques sans que celles-ci ne soient fondées sur des preuves», peut-on lire dans un communiqué de presse.Propos «irresponsables»L’étude en tant que telle a été saluée par l’ACTSA. Ce sont plutôt les propos et les conclusions partagées par le Dr Mottron dans les médias qui ont été critiqués. «Suggérer, comme l’a apparemment fait un chercheur lors d’entrevues postpublication, que les gens reçoivent un diagnostic de TSA simplement parce qu’ils évitent les contacts visuels ou sont dérangés par les étiquettes de leurs vêtements est irresponsable. Si ces allégations étaient vraies, cela constituerait une violation des directives en matière d’éthique et de pratiques diagnostiques approuvées par les collèges professionnels.»Nathalie Garcin, membre du conseil d’administration de l’ACTSA ainsi que psychologue pratiquant auprès de personnes atteintes d’un TSA, précise l’importance de nuancer certains de ces propos. Elle reconnaît toutefois la hausse des diagnostics d’autisme.«Oui, il y a une augmentation épidémiologique, ça c’est sûr. Elle s’explique probablement par le changement au niveau des critères diagnostiques de la cinquième édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-5). On a probablement plus de diagnostics à cause des critères qui sont plus inclusifs, ce qui amène plus d’hétérogénéité. Depuis les changements, on parle maintenant du spectre de l’autisme», dit la psychologue.À lire aussi: Autisme: des chercheurs québécois s’inquiètent de l’usage des pesticidesLe vice-président de la Fédération québécoise de l’autisme, Tommy Bédard, est du même avis. «Sur le terrain, on constate qu’il y a beaucoup de diagnostics. Est-ce que c’est parce que, comme le dit le Dr Mottron, les diagnostics ont été un peu plus allégés? Ou est-ce parce que nous sommes maintenant capables de déceler des cas plus légers chez des gens qui sont quand même autistes?»Un pas en arrièreLa Dre Garcin, ainsi que plusieurs professionnels de la santé, considère que la mise à jour du DSM est un pas en arrière et que l’utilisation du terme «spectre» de l’autisme introduit une grande hétérogénéité. «On n’est pas encore rendu à revoir les critères pour séparer le spectre, mais éventuellement on va pouvoir identifier des sous-types d’autisme pour parler d’autismes, au pluriel, qui seraient associés à des marqueurs génétiques.» Elle prévoit ce changement d’ici les 15 prochaines années.Laurent Mottron est en effet d’avis que les critères se sont ouverts «au-delà du bon sens». Il espère aussi que sa méta-analyse entraînera une modification des critères de l’autisme dans la prochaine édition du DSM. «Présenter des traits d’autisme ne veut pas dire que l’on est autiste», rappelle-t-il.Pression sur les professionnels de la santé Le psychiatre a également affirmé lors d’entrevues que les parents faisaient pression sur les professionnels de la santé pour que leur enfant obtienne un diagnostic d’autisme, notamment pour avoir accès aux services.La psychologue Nathalie Garcin ne remarque pas cette pression dans son quotidien et trouve que cette affirmation manque un peu de sensibilité. Selon elle, les professionnels de la santé ont la responsabilité de poser un diagnostic éclairé. «Le processus de diagnostic d’un TSA prend environ 10 h. C’est seulement lorsque le fonctionnement de la personne présente une entrave importante à son quotidien que l’on pose un diagnostic, sinon on ne le donne pas. Il n’y a aucune pression sur les professionnels de la santé. Personne ne veut recevoir un diagnostic d’autisme.»«Un parent ne veut pas avoir un diagnostic pour avoir un diagnostic. Les parents veulent savoir ce que leur enfant a pour donner ce qu’il y a de meilleur à leur enfant. Recevoir un diagnostic, c’est faire le deuil de l’enfant parfait. Malheureusement pour avoir accès à des services, il faut avoir une étiquette», explique Tommy Bédard, lui-même père d’un enfant avec un TSA.Le Dr Mottron a également poussé son hypothèse plus loin, en affirmant en entrevue qu’un élève sur deux dans une classe pour autistes ne présenterait pas réellement de TSA. Un commentaire qui a été grandement critiqué par la Fédération québécoise de l’autisme qui a rapidement publié un communiqué de presse exprimant son désaccord: «Ce commentaire nous questionne sur ses connaissances du milieu scolaire québécois. Il faut avoir visité ces écoles spécialisées pour savoir que les enfants qui s’y trouvent sont très différents des élèves non autistes.»«C’est un danger réel que quelqu’un de connu dise quelque chose comme cela. Ça trivialise ce que les gens vivent. Si un élève sur deux n’est pas autiste, mais qu’il se trouve dans une classe pour autistes, il faut se demander ce qu’il fait là. La vraie question est de se demander lesquels de ses besoins ne sont pas répondus», s’interroge la Dre Garcin, qui siège également sur le conseil d’administration de l’ACTSA. L’accès aux services: la réelle problématiqueLe Dr Laurent Mottron a affirmé à ProfessionSanté.ca que le réel impact des surdiagnostics sur la société se fait au niveau des services. En effet, cela fait en sorte qu’il devient difficile de donner les bons services ou la bonne quantité de services aux patients dans le besoin.Il ajoute aussi que pour obtenir ces services, il faut recevoir un diagnostic. «Des situations qui ne correspondent pas à un diagnostic clair n’ont pas de services et, en revanche, on assiste à une dé-spécialisation des services par laquelle les services en autisme sont sollicités pour des questions qui ne sont pas effectivement reliées à un diagnostic d’autisme.»Il ajoute que les professionnels de la santé devraient mettre en concurrence plusieurs explications diagnostiques possibles pour un problème avant de recourir à celle de l’autisme.Malgré leur divergence d’opinion sur certains points, les trois experts sont toutefois d’accord pour dire qu’un travail supplémentaire doit être fait concernant les services offerts aux personnes atteintes de TSA. Ils rappellent aussi que les services doivent être basés sur les besoins des personnes atteintes de TSA, puisque chaque cas est différent. «Il faut que services et diagnostics soient des dimensions indépendantes. Un diagnostic informe sur le contenu d’un service, pas son importance ou la décision de le donner», estime le psychiatre.« Une personne ayant un TSA peut changer au niveau de ses besoins de soutien lors de son développement. Plus jeune, la personne peut être d’un Niveau 3, plus vieux, après avoir reçu des services d’intervention, la personne pourrait passer à un Niveau 1. L’important est de déterminer le besoin de soutien requis par la personne », ajoute la Dre Garcin.

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