Soupçons de dirigisme et publicité illégale: un pharmacien salarié finalement acquitté

Un pharmacien salarié vient d’être acquitté par le Conseil de discipline de l’Ordre des pharmaciens du Québec (OPQ) concernant une plainte pour publicité illégale datant de 2018.Giovanni Di Genova, pharmacien salarié à la pharmacie Linda Frayne Pharmaciens Inc. à Montréal, était accusé d’avoir promu l’utilisation des préparations ophtalmiques LessDropsMD et DropLessMD, préparées dans sa pharmacie et dont il était aussi le distributeur privilégié via la société Advance Dosage Forms Inc. (ADF), lors de deux congrès d’ophtalmologie entre 2018 et 2020.D’après le syndic, le pharmacien salarié aurait ainsi contrevenu à une norme en matière de publicité, soit l’article 95 du Code de déontologie des pharmaciens, qui édicte que «Le pharmacien doit s’abstenir de faire ou permettre que soit faite en son nom, par quelque moyen que ce soit, une publicité portant sur un médicament visé à l’une des annexes I, II et IV du Règlement sur les conditions et modalités de vente des médicaments.»«Un mode opératoire en circuit fermé»D’un côté, Giovanni Di Genova soutient avoir participé aux congrès de médecins ophtalmologistes «dans le but de faire connaître à la communauté médicale les avantages et bienfaits des préparations sur lesquelles sa société détient des droits de distribution.»De l’autre, la plainte du syndic s’appuie sur le fait que l’entreprise ADF, dont Giovanni Di Genova est le seul administrateur et le seul actionnaire, bénéficie de l’exclusivité des droits de commercialisation des préparations au Canada de LessDropsMD – différentes combinaisons de prednisolone, de népafenac et/ou de moxifloxacine sous forme d’une suspension ophtalmique – et DropLessMD – une suspension stérile injectable de triamcinolone et de moxifloxacine –, suivant une entente conclue avec la société américaine Imprimis Pharmaceuticals Inc.Par ailleurs, au moment des faits, la pharmacie Frayne est la seule pharmacie préparatrice de LessDropsMD et DropLessMD, suivant une entente avec ADF. Lors de son audition, le syndic de l’Ordre, Bernard Deshaies, a dénoncé «l’existence d’un mode opératoire en circuit fermé: un seul titulaire ADF qui appartient à [Giovanni Di Genova] qui, comme par hasard, est pharmacien à la seule pharmacie préparatrice Frayne». D’après lui, les motivations du pharmacien étaient bien pécuniaires et non scientifiques ou altruistes, comme le prouvent ses cartes d’affaires, son salaire annuel de 120 000$ versé par la pharmacie Frayne, ses activités de représentation auprès des médecins, «les billets de hockey» pour voir deux matches des Canadiens de Montréal chaque année, et «les frais de cellulaire» qu’il facture à la pharmacie.Une pharmacie communautaire pas comme les autresDans sa décision du 13 août 2025, le Conseil a retenu plusieurs éléments. Tout d’abord, le fait que la pharmacie Frayne dans laquelle pratique Giovanni Di Genova, n’est pas une pharmacie communautaire à proprement parler. Située au 4e étage d’un immeuble du centre-ville, il faut une autorisation pour accéder à la réception, indique le compte-rendu. Il s’agit davantage, d’après le syndic, d’une «pharmacie préparatrice qui fabrique sur ordonnance médicale des produits magistraux qui ne sont pas commercialement disponibles.» Elle ne s’adresse donc pas au grand public, mais seulement aux patients disposant d’une ordonnance précise. Pas d’infraction au Code de déontologie, note le Conseil de discipline. À lire aussi: Le pharmacien Michael Assaraf débouté par la Cour supérieure du QuébecLe syndic ne manque toutefois pas de rappeler que, même s’ils exercent dans une pharmacie préparatrice, les pharmaciens sont soumis aux mêmes exigences déontologiques qu’en pharmacie communautaire classique.Quid des brochures promotionnelles pour les préparations DropLessMD et LessDropsMD retrouvées par le syndic sur le comptoir de la pharmacie Frayne lors de sa visite surprise en 2019? Là encore, pas d’infraction, puisqu’elles ne sont pas à disposition du grand public, même si elles semblent s’adresser tant aux médecins ophtalmologistes qu’à leurs patients selon lui. Une simple erreur de traduction, se défend le pharmacien salarié, puisque les brochures d'origine sont américaines, et peuvent donc s’adresser aux médecins comme aux patients. Il a tout de même souligné que les coordonnées de la pharmacie Frayne et d’Imprimis avaient depuis été retirées des brochures.«Ce type de pratique est un art perdu»Concernant les activités de Giovanni Di Genova au sein de cette pharmacie, là encore, les points de vue divergent. Pour le syndic, ce dernier fait clairement un «travail de démarchage», en allant rencontrer d’autres pharmaciens ou médecins pour leur proposer ses solutions ophtalmiques – distribuées par AFD et préparées à la pharmacie Frayne, donc. Le syndic Bernard Deshaies s’appuie sur une correspondance dans laquelle le pharmacien salarié propose à une collègue de Gatineau «d’intervenir auprès d’une clinique locale d’ophtalmologie pour leur proposer que les patients se procurent localement la préparation LessDropsMD», incluant un modèle d’ordonnance et une fiche d’adhérence au traitement pour le patient.Pour la pharmacienne propriétaire cependant, Giovanni Di Genova est le lien principal entre les «médecins, pharmaciens, cliniques» et sa pharmacie préparatrice. Un argument repris par le principal intéressé. «Dès le début de la pharmacie, il y a 27 ans, mon rôle de représentant a consisté à informer les médecins et les autres professionnels de la santé sur les services et les médicaments préparés par la pharmacie», confirme Di Genova. «Ce type de pratique est un art perdu. J’informe pour faire évoluer les connaissances. Je fais connaître aux professionnels de la santé en quoi consiste une préparation magistrale.» Ce qu’il faisait, dit-il, lors des deux congrès d’ophtalmologie.Aucune preuve d’activités «incompatibles ou interdites»Les congrès, justement – des journées de formation exclusivement réservées aux médecins spécialistes. D’après le pharmacien salarié, sa présence au titre de représentant ADF «permet aux médecins ophtalmologistes participant aux congrès de connaître les préparations et éventuellement les prescrire, puisqu’elles ne sont pas disponibles en pharmacie d’officine.» S’il n’avait pas «d’informations utiles à présenter aux médecins et qui simplifient la vie de leurs patients après une chirurgie de la cataracte par l’usage d’un seul médicament», il n’aurait pas été accepté comme exposant à ces congrès, argue-t-il. D’ailleurs, il n’est selon lui jamais question d’argent ou de la pharmacie Frayne lors des échanges avec les médecins qui visitent son kiosque.Malgré les arguments du syndic, le Conseil de discipline estime que ces congrès ne peuvent soutenir l’accusation de publicité illégale, puisque réservés aux seuls médecins ophtalmologues. Une conclusion appuyée par les observations d’une experte mandatée pour documenter le volet juridique de l’affaire, selon laquelle «l’annonce ou la publicité d’un médicament est permise au Canada lorsque celle-ci s‘adresse exclusivement à des professionnels de la santé».Aussi, s’il rappelle que la promotion d’un médicament ou d’un traitement médical est interdite auprès du grand public, le Conseil concède ne disposer «d’aucune preuve démontrant que les multiples activités professionnelles de l’intimé sont incompatibles ou interdites». Le syndic réitère que le pharmacien utilise son titre professionnel pour faire du démarchage, et n’est donc «pas indépendant», mais reconnaît également que l’article 95 du Code de déontologie ne s’applique pas dans le cadre de ces deux congrès, mais estime que «le plus préoccupant est que les préparations finissent par être préparées dans la pharmacie qui emploie l’intimé.»Pour l’avocat de Giovanni Di Genova, son client n’a pas à cacher le fait d’être pharmacien, puisqu’il s’agit d’un élément de crédibilité supplémentaire face à des médecins. «Il n’y a aucune preuve d’encouragement à l’achat, de promotion ou de dirigisme», ajoute-t-il. Or, la plainte initiale ne concernait pas une accusation de dirigisme, mais bien de publicité illégale de la part du pharmacien... D'où la décision du Conseil de discipline de l'acquitter pour ce chef.

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