Soins intensifs: une spécialité qui veut sortir de l’ombre

Le fait est assez rare pour être souligné. Depuis l’automne dernier, la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ) compte une nouvelle association membre, la 36e, regroupant les médecins intensivistes. La précédente admission dans le giron de la FMSQ remontait à 2002, avec la création de l’Association de chirurgie vasculaire et endovasculaire.Officiellement entrée en fonction le 1er janvier 2025, l’Association des Intensivistes du Québec (AIQ) tiendra sa première assemblée générale le 22 novembre prochain. À ce jour, elle dénombre 146 adhérents. «Une quarantaine pratiquent exclusivement aux soins intensifs, la centaine d’autres ayant une pratique mixte, dans des proportions variables», signale le président désigné de l’AIQ, le Dr Tudor Costachescu, qui pratique au Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM).Jusque-là, les intensivistes étaient rattachés aux associations de leur spécialité d’origine – généralement l’anesthésiologie, la médecine interne, la pneumologie, la médecine d’urgence, la neurologie et la pédiatrie. «On était des minorités au sein de nos associations de base, avec toutes les problématiques de représentativité que cela implique », signale le Dr Costachescu. À consulter: Médecine: si vous pouviez changer une chose dans votre pratique, qu'est-ce que ce serait?Le clinicien mentionne que les soins intensifs demeurent une jeune spécialité, mais qui a énormément évolué depuis 20 ans, notamment sous l’impulsion des innovations technologiques. «Notre réalité était méconnue, et il était très difficile d’être représenté, tant auprès de nos associations respectives qu’auprès de la FMSQ, de la population et du gouvernement», indique le président l’AIQ en ajoutant que «personne ne sait vraiment ce que fait un intensiviste».Cette lacune avait surtout un impact direct sur l’élaboration des plans d’effectifs médicaux (PEM) en spécialité et donc sur le recrutement des intensivistes. Jusqu’il y a peu, il n’y avait pas en tant que tel de PEM en soins intensifs. «Un anesthésiologiste engagé pour faire des soins intensifs prenait en fait un PEM complet en anesthésiologie, alors qu’il n’occupait ce poste qu’à temps partiel», explique le Dr Costachescu. Cette modalité décourageait les établissements d’embaucher des intensivistes, et refroidissait aussi la relève: «Cela remettait en question la pertinence d’aller faire une formation supplémentaire, puisque les médecins ne trouvaient pas nécessairement de poste ensuite.»Un interlocuteur «valable et imputable»Désormais, de «vrais» PEM en soins intensifs existent bel et bien: on en recense 89 à travers la province, selon des données du 2 juillet 2025. «Le gouvernement a maintenant un interlocuteur valable et imputable», souligne le président de l’AIQ. «Avant, nos associations de base étaient sollicitées pour donner leur avis sans vraiment connaître nos réalités. Maintenant, c’est l’AIQ qui participe à la définition des besoins.» Parmi les chantiers prioritaires: définir ce qu’est un équivalent temps complet (ETC) en soins intensifs afin de «donner l’heure juste sur les besoins en effectifs», précise-t-il.Le Dr Costachescu estime d’ailleurs que les soins intensifs figurent parmi les rares spécialités ayant encore «une grosse, grosse capacité d’expansion». Selon lui, plusieurs hôpitaux québécois disposent d’unités qui gagneraient à être confiées à des intensivistes. «Avec l’urgence et le bloc opératoire, les soins intensifs constituent le baromètre de santé d’un établissement. Si l’une des trois unités va mal, cela se répercute sur les deux autres», explique-t-il. Si les soins intensifs sont à risque, «on ne pourra plus réaliser de grosses opérations», illustre l’intensiviste.À lire aussi: Cas prise de tête: une acidocétose diabétique qui n’en était pas uneUnités fermées vs unités ouvertesActuellement, une quarantaine d’hôpitaux disposent d’unités dites fermées, c’est-à-dire sous la supervision directe d’un intensiviste. À l’inverse, dans les unités «ouvertes», le médecin traitant reste responsable de son patient, même après son admission aux soins intensifs. «Une unité fermée exige un intensiviste en chef 24 heures sur 24, 7 jours sur 7», souligne le Dr Costachescu qui évalue qu’une telle unité requiert environ trois intensivistes à temps plein et trois en pratique mixte.«Beaucoup d’établissements voudraient créer leur unité fermée et ils ont bien raison, car cela se traduit par des gains sur la mortalité», affirme le clinicien dont l’un des premiers exercices en tant que président de l’AIQ consiste à mieux évaluer les besoins. «Ma prémisse est qu’on manque d’intensivistes», répète-t-il.Séduire la relèveSi cette pénurie d’effectifs se confirme, l’enjeu sera alors de convaincre de jeunes médecins de se surspécialiser. «Il faut que notre pratique soit attrayante, ce qui n’est pas vraiment pas le cas aujourd’hui», convient le Dr Costachescu qui évoque l’épuisement professionnel dont souffrent nombre de ses consœurs et confrères. «C’est simple: moins on est, plus on fait de gardes. C’est très drainant physiquement. On peut facilement enchaîner sept jours et nuits de garde et on ne peut jamais anticiper quand le patient va devenir instable. Donc ça requiert une disponibilité en continu.»À consulter: Épuisement professionnel: effectuer trop d’heures de travail peut altérer la structure cérébraleAu-delà de la charge de travail, l’autre enjeu pour séduire la relève, serait la reconnaissance accordée aux intensivistes et à leur rôle. «Dans les grands centres hospitaliers, les autres spécialistes voient la plus-value de nous confier leurs patients. Ils se rendent compte de la pertinence d’une unité de soins intensifs fonctionnelle», constate le président de l’AIQ. En revanche, dans les plus petits hôpitaux, «les gens ne savent pas vraiment ce que fait un intensiviste. Il y a encore beaucoup de travail à faire pour les convaincre de notre plus-value et de notre valeur.» Dernier enjeu prioritaire pour le Dr Costachescu, c’est celui des pénuries, tant de personnel soignant – «on manque d’infirmières, d’inhalothérapeutes, d’ergothérapeutes, etc.» – que d’équipements. «Le plus criant actuellement, ce sont les systèmes d’information informatiques», relève l’intensiviste. «Pour nous, c’est critique d’avoir des données précises et des résultats en temps réel. Or on travaille avec des outils désuets. On manque aussi de systèmes de monitoring et de systèmes d’imagerie comme des échographes de chevet. En fait, on manque de beaucoup de choses.»

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