Si vous pouviez changer une chose dans votre pratique en pharmacie, ce serait quoi?

Améliorer le partage d’informations de santéRaphaël Gagnon-Paradis, pharmacien propriétaire affilié Pharmaprix, à Chicoutimi«Il y a un cruel manque d’intégration numérique des données de santé des patients. Tout est éparpillé à travers de nombreuses plateformes sans outil de recherche centralisée. Je m’imagine souvent que le problème auquel je m’adresse a peut-être déjà été réfléchi pour le patient qui est devant moi, et qu’une belle note de son médecin, de son dentiste, de son psychologue, de son infirmière, etc. existe quelque part. Cependant, si ça n'a pas été fait par un collègue pharmacien qui pratique entre les quatre murs de ma pharmacie, je ne peux pas le savoir, et encore moins consulter la note. Chaque professionnel de chaque établissement à son propre dossier. Il y a tellement d’informations de santé disponibles sur nos patients, mais tout est en vase totalement clos. Il faut donc chercher, appeler ici, appeler là, redemander au patient de raconter son histoire et recommencer encore et encore l’analyse du problème. Plus largement, quand je lis sur tout ce qui se passe en termes d’intelligence artificielle et que, dans la même journée, je vois une de mes ATP passer des heures à retranscrire des ordonnances reçues par fax dans notre logiciel d’officine, je me dis que tout cela pourrait être clairement plus efficace. On nous a promis bien des solutions, mais aucune n’a encore réellement ouvert la voie à un partage d’informations organisé entre les différents professionnels du réseau de la santé. Un accès organisé et facile aux informations de santé de mes patients, ça, croyez-moi, c’est ce que je changerais dans ma pratique!»Optimiser le temps et les ressourcesPharmacien spécialisé en soins ambulatoires au CISSS de l’Outaouais et au GMF Delta Santé de Gatineau«Dans un système de santé où les ressources humaines sont trop peu nombreuses et de plus en plus fatiguées et où les patients sont beaucoup trop nombreux et de plus en plus vieux et malades, il est primordial de donner tous les outils matériels aux professionnels de la santé afin qu'ils soient le plus efficaces possible. La pénurie de main-d’œuvre ne se résoudra probablement jamais. Il faut un système de santé informatisé efficace, où tous les acteurs ont accès à toute l’information médicale en temps réel. Il faut être capable de synthétiser les épisodes de soins pour permettre au prochain professionnel soignant de ne pas avoir à lire le rapport d’hospitalisation complet de 30 pages. Il faut être capable de prioriser les patients les plus malades de manière efficace. Il faut promouvoir les pratiques de santé qui ont des impacts sur le devenir des patients et mettre de côté les pratiques qui ne donnent rien et qui consomment des ressources précieuses. Il faut limiter la paperasse inutile comme les rapports d’assurance et les formulaires de patient d’exception. Et il faut libérer les cliniciens afin de leur permettre de siéger sur des comités de gestion afin que les préoccupations du terrain soient entendues par les gestionnaires. C’est aussi prévoir du temps pour des rencontres multi, pour traiter des patients ou simplement pour permettre à tous les départements d’être sur la même longueur d’onde. Il faut aussi, dans la mesure du possible, s’assurer de la satisfaction des patients: comment, lors un rendez-vous chronométré de 15 minutes (ou même 5 minutes pour les rendez-vous d’urgence), le patient peut-il se sentir écouté (et pas bousculé), et le professionnel peut-il arriver avec des solutions?»Avoir davantage de personnel compétentMélissa Béland, pharmacienne propriétaire, affiliée à Accès pharma chez Walmart, à St-Romuald«Notre entreprise doit être rentable, donc on ne peut pas avoir une équipe surnuméraire pour le plaisir, sachant que plusieurs personnes font la moitié de leur travail. Il nous faut du personnel formé, compétent et autonome, pour que nous puissions nous concentrer sur nos activités cliniques et sur nos patients. Trop souvent, j’ai l’impression qu’on est en train d’éteindre des feux, car il y a quelqu’un qui n’est pas capable de faire telle affaire, il nous manque une personne et ça ne fonctionne pas…La situation est pire qu’avant, et ça vaut pour tous les postes. J’ai l’impression qu’on le ressent davantage car on a plus d’activités dans notre camp et il faut qu’on soit meilleurs et plus efficaces de jour en jour mais avec moins. J’aimerais être de plus en plus efficace, mais ce n’est pas facile car certaines personnes avec lesquelles on travaille ne sont pas simples, ça va être plus lourd et on va être capables de faire moins de choses. Mais ça dépend beaucoup de la formation, de l’investissement, de l’engagement des employés. Je parle des assistants techniques en pharmacie, mais aussi de certains pharmaciens. On essaie de mettre des choses en place au sein de l’équipe, et c’est parfois difficile de motiver les troupes, car une partie va ramer dans le même sens que nous, et l'autre dans le sens contraire.»Des gestionnaires plus au fait de la réalité du terrainMarc Parent, pharmacien clinicien au CHU de Québec, Hôpital Saint-François d’Assises«La bureaucratie est de plus en plus lourde à tous les niveaux, et je pense que je ne suis pas le seul à le décrier. Il y a une perte d’agilité dans le système de santé qui descend jusqu’à l’exercice personnel de chacun. Je ne suis pas nostalgique du passé, au contraire, car c’était un tout autre contexte. Ce qui a surtout changé, ça vient beaucoup avec les fusions d’établissements, où les gestionnaires sont de plus en plus éloignés et de moins en moins conscients de la réalité du terrain. Il faut être clair, cet énoncé pourrait-être vu comme de la résistance au changement. La toile de fond de cette discussion est le PL15. Le ministre Dubé assure ne pas vouloir faire de centralisation avec la mise en place de Santé Québec, mais au contraire avoir de la gestion et de l’imputabilité locales. Or, ce n’est pas ce qui est écrit dans ce projet de loi. Cette tendance vers la globalisation a eu du bon, en standardisant et en uniformisant des pratiques. Mais le revers de la médaille est qu’on a perdu une sensibilité à des adaptations locales qui existent néanmoins. Concernant le dossier patient électronique par exemple, évidemment qu'on est en phase de transition, car ce n'est pour l'instant qu'un projet pilote mené au Québec. Ça pourrait changer des choses, mais en attendant, nos systèmes informatiques sont incomplets, morcelés, pas intégrés et des reposoirs de documents PDF qui ne constituent pas de base de données utilisable ni gérable, et qui prend un temps fou à saisir. Passer du temps à mettre des notes dans un dossier à mon avis n’est pas une bonne utilisation des professionnels. Et ça s’amplifie: l’informatisation devait entraîner des pratiques sans papier, mais c’est tout l’inverse qui se produit actuellement. Ça peut certainement être amélioré, mais cette tendance est un alourdissement important. Nous sommes en 2024, nous avons des outils et des technologies disponibles, mais on reste mal équipés. J’ai été sur des groupes de travail pour établir des cahiers des charges pour des dossiers informatiques, et on crée des bases de données tellement lourdes que, au quotidien, ça entraîne un bannissement de plusieurs fonctions de l’application informatique car elle est trop lourde. Je pense qu’on n’a pas pris la mesure de l’ampleur des bases de données nécessaires en santé. Dans ce cas, le mieux est l’ennemi du bien.»À vous la parole!Et vous? Quel aspect de votre pratique souhaiteriez-vous changer et pourquoi? Partagez-le en commentaire.

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