Santé mentale ou fatigue de vivre: doit-on élargir l'aide médicale à mourir?

L’événement a lieu alors qu’est attendu, ce mois-ci, un rapport sur la question de l’élargissement de l’AMM pour les personnes souffrant de trouble mental. Pour le Dr Georges L’Espérance, neurochirurgien et président de l’Association québécoise pour le droit de mourir dans la dignité, il ne fait aucun doute que ces personnes devraient avoir accès à ce soin ultime. «Les patients avec des troubles de santé mentale sont tout aussi souffrants – voire plus – que des patients avec des pathologies physiques parce qu’on ne peut souvent pas mettre le doigt sur leur souffrance», explique le médecin spécialiste. Selon lui, l’AMM pourrait être offerte à des patients ayant un long historique de troubles de santé mentale qui les a marginalisés et non à des personnes de 20 ans qui sont en dépression. Toutefois, il faudra avant tout bien poser les balises afin de bien encadrer ce soin. De son côté, le Dr David Lussier, gériatre et membre de la Commission sur les soins de fin de vie, a encore des réserves sur le sujet. «Pour que l’on puisse l’offrir, toutes personnes avec une maladie psychiatrique doivent avoir accès à des soins psychiatriques de qualité et, malheureusement, je ne suis pas certain que c’est le cas au Québec.» La question divise parmi les médecins du Québec. Selon un sondage SOM*, présenté en primeur lors du webinaire du Collège des médecins (CMQ), seulement 42% des médecins sont d’accord pour élargir l’AMM aux patients souffrant de problèmes de santé mentale. Selon le Dr Lussier, si un jour ces patients ont accès à ce soin, plusieurs médecins vont choisir de ne plus l’offrir. «Chaque médecin qui fait de l’aide médicale à mourir a une ligne qu’il ne traversera pas. Pour plusieurs, c’est la ligne qui ne sera pas franchie puisqu’ils n’ont pas l’expertise pour évaluer les maladies psychiatriques». L’AMM pour la fatigue de vivre? Les deux médecins reconnaissent que l’AMM devrait probablement être élargie pour inclure le trouble mental au cours des prochaines années. Mais, est-ce qu’il faut également l’élargir aux personnes âgées qui ont la fatigue de vivre, a demandé un médecin qui assistait au webinaire. Le Dr L’Espérance croit que oui. «La souffrance existentielle est une vraie souffrance pour les patients qui arrivent en fin de vie. Je paraphraserais la Cour suprême qui dit: "On peut avoir un droit de vivre, mais on n’a pas une obligation de vivre."» Le neurochirurgien a tenu à rappeler que l’espérance de vie a doublé par rapport à celle qui prévalait à la fin du 19e siècle. «C’est énorme, et la machine humaine n’est peut-être pas faite pour tout ça… Je suis favorable à ce qu’on écoute un patient de grand âge qui dit qu’il en a assez parce qu’il n’ira pas mieux avec les années.» De son côté, l’éthicienne Marie-Ève Bouthillier émet des réticences. «Je ne suis pas certaine que nous sommes prêts à aller là. De plus, je crois que ce ne sont pas des médecins qui doivent répondre à cette question. Être fatigué de vivre et avoir l’impression qu’on a fait le tour de notre vie, est-ce quelque chose de médical? Est-ce qu’on ne serait pas en train de surmédicaliser la mort?» se questionne celle qui travaille au Bureau de l’éthique clinique de la Faculté de médecine de l’Université de Montréal. Selon elle, des philosophes et des psychologues, entre autres, auraient une réflexion plus pertinente sur le sujet. Le Dr David Lussier abonde dans le même sens. «C’est à la société de répondre à cette question-là et non aux médecins. Être très vieux n’est pas une maladie grave et incurable, donc maintenant la réponse est non, mais il faut que la société y réfléchisse.» Par ailleurs, le Dr Georges L’Espérance est favorable à ce qu’un mineur ait le droit de recevoir l’AMM. «Il serait incongru, par exemple, de dire à un adolescent de 17 ans et demi atteint de l'ostéosarcome de souffrir encore six mois jusqu’à tant qu’il ait 18 ans». Selon le sondage SOM, 55% des médecins sont du même avis. Peu d’engagements des médecins À l’heure actuelle, près de trois médecins sur quatre appuient de manière catégorique l’AMM. Or, 1100 médecins le pratiquent et seulement 400 d’entre eux le font de façon régulière. «Avec les changements législatifs, c’est devenu encore plus complexe de pratiquer ce soin. De plus, c’est lourd émotionnellement d’évaluer un patient et ça prend du temps», avance le Dr David Lussier pour expliquer le peu d’engagements des médecins dans l’AMM. Selon lui, pour améliorer l’accès à ce soin, les infirmières praticiennes spécialisées devraient avoir le droit de donner l’aide médicale à mourir et que cela est permis dans d’autres provinces canadiennes. Présent lors de l’événement, le président du Collège des médecins, Mauril Gaudreault, s’est dit du même avis. Un besoin d’information Par ailleurs, le sondage de la firme SOM a révélé que seulement le quart des médecins se disent très bien informés sur l’aide médicale à mourir. Un médecin sur trois estime que le CMQ devrait communiquer plus souvent avec eux dans ce dossier. Le Dr L’Espérance confirme ce manque d’informations chez les médecins. «Comme président de l’Association québécoise pour le droit de mourir dans la dignité, je reçois régulièrement des appels de la population et des médecins. Plusieurs patients m’appellent pour me dire que leur médecin refuse l’AMM parce qu’ils ne sont pas en fin de vie». Soulignons que depuis le printemps 2020, l’Assemblée nationale a retiré le critère de fin de vie de la Loi concernant les soins de fin de vie. Les critères sont maintenant les suivants: être assurée au sens de la Loi sur l'assurance maladie être majeur être apte à consentir aux soins, c’est-à-dire être en mesure de comprendre la situation et les renseignements transmis par les professionnels de la santé ainsi que de prendre des décisions être atteinte d’une maladie grave et incurable avoir une situation médicale qui se caractérise par un déclin avancé et irréversible de ses capacités éprouver des souffrances physiques ou psychiques constantes, insupportables et qui ne peuvent être apaisées dans des conditions qu'elle juge tolérables. * 1402 médecins ont répondu à ce sondage en ligne du 8 au 14 octobre 2021.

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