Retraite progressive: les omnipraticiens sur la ligne de départ

Médecin de famille à la Clinique médicale de l’Assomption, dans Lanaudière, le Dr Philippe De Meyer affiche 35 ans de pratique. Plus jeune, il s’était fixé le cap des 70 ans pour prendre sa retraite. Aujourd’hui, il compte le maintenir, mais pour les sept années qui le séparent de son objectif, l’omnipraticien aimerait ralentir graduellement la vitesse de croisière. «Si on me déleste un peu, je pourrais même prolonger de deux ou trois ans», confie-t-il. Il y a trois ans, le Dr De Meyer comptait 2600 patients inscrits. «Ça faisait beaucoup». Après avoir sollicité l’avis du Collège, et conformément à ses recommandations, il a réduit ce nombre à 1600. «J’ai désinscrit ceux qui étaient inactifs depuis longtemps et les patients non vulnérables hors secteur. J’en ai transféré certains à des collègues du GMF, d’autres à des GMF de la région», détaille le médecin de famille qui a conservé les personnes âgées et les cas complexes. Idéalement, il souhaiterait réduire sa patientèle de 5 à 10% par année avant sa retraite. «Je pourrais confier les moins malades et continuer ma prise en charge deux ou trois jours par semaine. Ça me permettrait de rester impliqué dans la clinique et de faire du mentorat auprès des jeunes médecins qui prendraient mes patients», explique le Dr De Meyer. En l’état actuel des choses, cette retraite progressive est toutefois impossible. Les exigences déontologiques et le protocole administratif encadrant le transfert de patients sont assez stricts et lourds, indique l’omnipraticien pour qui le choix se résume à démissionner ou à continuer sur le même rythme. «Ça reste du monde malade. Une dame de 75 ans qui a quatre pathologies et prend dix traitements, je ne peux pas la garrocher au guichet d’accès à un médecin de famille. Je me sentirais mal.» Tout ou rien La situation vécue par le Dr De Meyer est partagée par de nombreux omnipraticiens au Québec - 25% d’entre eux ayant 60 ans et plus - qui se retrouvent pris entre leur serment d'Hippocrate et leur désir de lever le pied. Ces sexagénaires ont en général «beaucoup de patients, souvent depuis longtemps. Des personnes âgées avec vulnérabilités qui sont compliquées à transférer. Ils seraient prêts à continuer encore quelques années en faisant deux ou trois jours de pratique hebdomadaire au lieu de cinq, mais c’est irréalisable. Alors ils coupent complètement. Dans le contexte actuel, c’est malheureux», regrette la directrice de la planification et de la régionalisation à la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec, la Dre Anne-Louise Boucher. Afin de limiter les répercussions des nombreux départs à la retraite attendus d’ici 2030 - évalués à 5800 par le ministère de la Santé -, le Collège des médecins du Québec (CMQ) a pris position, en mai dernier, en faveur d’un allégement des tâches cliniques de ses membres en fin de carrière afin de leur permettre de travailler à temps partiel. On peut ainsi lire dans le Rapport du chantier sur l’accès à un médecin et la cessation d’exercice que «les médecins reporteraient leur retraite s’ils pouvaient réduire leurs heures et leurs obligations, tout en ayant une flexibilité dans leur horaire, et dans un contexte de réduction des tâches administratives et de transfert progressif des patients vers une équipe de relève». Lire aussi: Le CMQ veut permettre le temps partiel pour les médecins en fin de carrière «On attend la suite» Partie prenante dudit chantier du CMQ, la FMOQ se dit «sur la ligne de départ. Il doit y avoir une suite [à cette prise de position]. La base est là; le leadership doit venir du Collège pour nous fournir un cadre de travail. On les attend», signale la Dre Anne-Louise Boucher. De son côté, le CMQ a décliné la demande d’entrevue de ProfessionSanté.ca. «Nous sommes en train de travailler ce dossier. Nous aurons davantage d’éléments et de détails à formuler sur ce sujet au cours des prochaines semaines», a répondu la porte-parole de l’ordre professionnel, Leslie Labranche. Dans son rapport publié en mai, le Collège indique qu’il doit notamment «conclure des ententes au niveau de la gestion des PREM, PEM et AMP permettant des transitions structurées et progressives vers la retraite». La Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ) appuie également la position du CMQ. Il faut dire que depuis le 1er octobre 2021, les spécialistes bénéficient d’une entente qui leur permet, dès l’âge de 63 ans, de réduire leur pratique de 50% pour une période de deux ans ou, à partir de 65 ans, d’avoir une pratique «marginale» à 20%, là encore pour une durée de deux ans. Davantage de souplesse pour les spécialistes «Plusieurs médecins s’en sont déjà prévalu, mais cette pratique demeure marginale en raison des modalités de l’entente», signale par courriel les relations médias de la FMSQ. «En effet, le médecin doit remettre sa démission au début de la période de deux ans, sans possibilité de la prolonger ou de revenir à temps complet dans l’éventualité où il le souhaiterait. La seule possibilité de prolongation est de passer ensuite à une pratique marginale à 20%.» La Fédération souligne par ailleurs que le nombre de cliniciens qui peuvent se prévaloir de cette entente est également limité par département ou service. «Cette limite est de un par département ou service ou 20% [des effectifs médicaux], ce qui peut en effet représenter un défi dans certaines régions éloignées où il peut parfois manquer de relève.» Ainsi, en date du 20 juillet 2022, 70 spécialistes ont adopté un plan de transition à 50% et 56 une pratique «marginale» à 20%, selon la FMSQ qui «souhaite des règles encore plus souples au niveau des plans d’effectifs médicaux (PEM) pour favoriser davantage ce genre de pratiques». L’entente dont bénéficient les spécialistes ne peut pas s’appliquer aux médecins de famille, estime la Dre Anne-Louise Boucher. «Ils ont plus de souplesse, car ils n’ont pas de patients inscrits ni de suivi longitudinal à faire», précise la directrice de la FMOQ qui veut développer un mécanisme approprié qui permette d’alléger progressivement la tâche des omnipraticiens sur une période de trois à cinq ans. «La nouvelle formule des inscriptions de groupe va permettre de créer des corridors de service au sein des GMF. Il y aura des processus à mettre en place, mais, ultimement, les médecins en fin de carrière vont pouvoir plus facilement transférer leurs patients à leurs collègues.»

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