Retraite précipitée, départ vers le privé: plusieurs médecins de famille y songent

Ces témoignages ont été recueillis par un groupe de médecins, composé notamment de la Dre Julie Gagnon et de la Dre Rosemary Drew Bergeron, qui veut mettre en lumière les raisons pour lesquelles le nombre de départs du système public ou à la retraite a augmenté. «Je ne pensais pas qu’il y aurait eu autant de médecins prêts à partager leur histoire. C’est vraiment impressionnant!» observe la Dre Gagnon. L’appel a témoignages a été lancé sur la page Facebook Médecins québécois pour des solutions efficaces en santé, un groupe privé composé un 3500 membres et inaccessible au public. Toutefois, la Dre Gagnon a fait parvenir les témoignages, sans y inclure les noms, à ProfessionSanté.ca. La jeune omnipraticienne des Laurentides a lancé cette initiative après qu’une de ses collègues eut décidé de quitter la médecine. «C’est l’une des meilleures médecins que je connais, qui prend toujours le temps nécessaire avec ses patients. Mais comme elle ne pouvait pas diminuer sa charge de patients et avec tous les dénigrements sur les médecins de famille, elle a décidé de quitter», explique-t-elle, ajoutant qu’une autre de ses collègues écourtera sa carrière au retour de son arrêt de travail. «Il y a de plus en plus de pression sur les médecins de famille. Il y en a qui veulent quitter pour la retraite plus rapidement, d’autres qui veulent abandonner la profession ou qui veulent quitter le système public pour le privé puisqu’ils ne se sentent pas appréciés», affirme la Dre Gagnon. «Nous le constatons autant chez les nouveaux médecins que les gens en milieu de carrière et les médecins près de la retraite, renchérit la Dre Rosemary Drew Bergeron. Nous remarquons qu’il y a une vague d’envie de déserter le public ou de partir à la retraite, on le voit sur les groupes privés où les gens peuvent parler plus librement.» Toutefois, les deux médecins constatent que les témoignages proviennent très majoritairement de femmes. La Dre Gagnon avance que généralement les femmes ont tendance à prendre plus de temps avec les patients, donc prendre en charge un nombre de patients plus élevé a tendance à les affecter davantage. Changement de pratique… ou de carrière Parmi les témoignages reçus par ProfessionSanté.ca, plusieurs médecins ont réorienté leur pratique ou pensent le faire dans les prochains mois. «Je suis rendue en recherche à temps plein et je ne veux plus JAMAIS avoir affaire avec la médecine familiale, sauf pour le 4h de sans rendez-vous que je fais par semaine (car je me sentais redevable). Mais je vais sûrement cesser de le faire, car nous n’avons pas les ressources pour faire de la médecine», explique une médecin. De son côté, une omnipraticienne a «cessé le bureau» l’été dernier pour un emploi dans la fonction publique fédérale. «J’aurais aimé faire deux jours dans le réseau (mais sans prise en charge) et trois jours dans la fonction publique, mais les AMP ne me le permettent pas. Je n’ai pas mes 15 ans de pratique et la prise en charge me rend malheureuse.» À lire aussi: Productivité: Mode d’emploi pour travailler mieux Une autre médecin a cessé la prise en charge en 2019 pour se concentrer exclusivement sur l’obstétrique et l’hospitalisation, «car il y avait trop de contraintes en ce qui a trait à la prise en charge et trop de pression pour être hyperproductif». Pour sa part, une médecin a décidé de quitter la profession pour le bien de sa famille. «Depuis longtemps, je sentais que travailler de 60 à 80 heures par semaine lors des gardes en plus de la charge mentale de la pratique en cabinet, je n’étais pas là où je devais être pour ma famille et moi-même. Je me suis posé les questions: qu’est-ce que l’on veut pour notre fils et notre famille? Que veut-on léguer à nos enfants? Cela nous a amenés à déménager dans une autre région et à vivre autrement: faire mon pain avec mon levain, cultiver la terre, faire l’école à la maison.» De son côté, une médecin planifie un retour à l’école à temps partiel en septembre prochain après seulement cinq ans de pratique. «Le climat toxique et la déresponsabilisation totale des patients m’ont convaincue de me trouver une nouvelle carrière.» Du public au privé Des médecins envisagent plutôt de faire le saut dans le système privé. «Je n’avais jamais envisagé d’aller travailler dans le système privé, mais si on m’obligeait à augmenter mon débit à un rythme où je ne peux plus offrir une médecine de qualité, je l’envisagerais.» Une autre jongle avec cette option pour réduire ses heures de travail. «J’ai deux enfants en bas âge et comme n’importe quelle mère, ma famille est ma priorité. Actuellement, j’ai des semaines de 70 heures quand je suis de garde à l’hôpital. En conséquence, lors de mes semaines au bureau j’essaie de faire environ 45 heures, un temps plein normal pour la majorité des travailleurs, mais malheureusement considéré une petite semaine quand on est médecin.» Pour sa part, une omnipraticienne dit avoir quitté le système public qui «use» et évalue l’option de pratiquer au privé. «J’avais une passion. J’ai voulu la préserver, mais plusieurs gouvernements ont nui, spécialement Barrette. C’est difficile de constater que la première ligne ne repose que sur les médecins de famille. Les spécialistes ne prennent plus trop en charge. On reçoit les recommandations du rhumatologue, les prises de sang, tous nous font leurs recommandations et s’en lavent les mains […] Si je reviens, ce sera au privé.» À lire aussi: Paperasse médicale: Trop, c’est trop! D’autres ont déjà fait le saut dans le privé. «Trois mois après mon début de pratique au privé, je me rends compte que mes patients m’adorent, ont besoin de moi, je suis utile et je peux pratiquer une médecine de qualité. Je décide enfin de rester au privé et je ne me sens plus coupable du tout.» De son côté, une médecin qui fait maintenant des suivis en santé mentale au privé affirme qu’il est «impossible de bien faire mon travail avec les contraintes du réseau public.» Une retraite devancée Finalement, des médecins envisagent de prendre leur retraite plus tôt que prévu, comme cette médecin: «Je trouve la pratique incroyablement lourde depuis cinq ou sept ans, et ça ne fait qu’empirer. Je suis épuisée d’être responsable de tout. tout. tout. Je trouve les relations avec les spécialistes de moins en moins agréables. La lourdeur administrative est constante. Et augmente. Je ne vois pas d’allègement ni d’interdisciplinarité. Je ne vois pas de vraie recherche de solutions pour nous aider. Sans compter que la médecine s’est grandement complexifiée (traitements, investigations, protocoles, surveillance…), et dans toutes les disciplines pour nous!» Découragée, une médecin dans la fin cinquantaine, qui est actuellement en congé de maladie, a également pris la décision de prendre une retraite anticipée dans un an. «Rien que de penser de retourner au travail, j’ai mal au cœur. Tout cela résulte en bonne partie des contrats GMF, de l’inscription et de l’assiduité, plus de nombreuses autres raisons.» De son côté, un médecin de famille a décidé de quitter il y a quatre ans, puisqu’il ne remplissait pas les objectifs du ministère de la Santé, dit-il. «Le type de pratique que je faisais (VIH et ITSS) était incompatible avec les objectifs ministériels de prise en charge.» Les départs massifs à la retraite de la dernière année préoccupent les acteurs du milieu de la santé, dont le Collège des médecins du Québec. En 2021, 780 médecins de 60 ans et plus (386 omnipraticiens et 394 médecins spécialistes) sont devenus des membres inactifs du CMQ. Ce nombre était de 615 en 2020, et de 400, en 2019. En contrepartie, les finissants continuent de bouder la médecine familiale. Cette année, 65 résidences en médecine familiale n’ont pas trouvé preneur à l’issue du deuxième tour du CaRMS. «Actuellement, il y a plus de médecins qui quittent la profession que de médecins qui entrent dans la profession. Il se crée un déficit», s’inquiète la Dre Rosemary Drew Bergeron.

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