Rendre la peau invisible grâce à un additif alimentaire courant

Lorsqu'il est massé sur la peau, un colorant alimentaire couramment utilisé rend la peau, les muscles et le tissu conjonctif transparents, de sorte qu'il est possible voir à travers et d'observer les caractéristiques des tissus qui se trouvent en-dessous.Cette nouvelle approche d’observation pourrait devenir cliniquement utile pour réduire par exemple le besoin de biopsies, rendre les veines plus visibles pour les prises de sang et l'insertion d'un port, surveiller les métastases du cancer, étudier la santé des nerfs et des muscles, et même évaluer la motilité intestinale. Une fois ce coup d’œil sous la peau effectué, le composé peut être éliminé par lavage.Lorsque les chercheurs ont utilisé la substance sur l'abdomen de souris, ils ont constaté que «l'abdomen transparent nous a permis d'observer directement les organes internes, y compris le foie, l'intestin grêle, le cæcum et la vessie... En outre, nous pouvions également discerner leurs mouvements, tels que le péristaltisme, ainsi que les mouvements synchronisés avec le rythme cardiaque et la respiration», selon l'étude parue dans Science. Cette technique «offre la possibilité de visualiser la structure, l'activité et les fonctions des tissus et organes profondément enfouis sans qu'il soit nécessaire de procéder à une ablation chirurgicale ou de remplacer les tissus sus-jacents par des fenêtres transparentes», écrivent les chercheurs.La tartrazine est un composé synthétique soluble dans l'eau, de couleur jaune à orange, couramment utilisé comme pigment dans l'industrie alimentaire. Sa couleur jaune provient de sa forte absorption dans la région bleue du spectre lumineux.Selon l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), la tartrazine n'a pas d'effets indésirables connus ni de toxicité systémique à des doses allant jusqu'à 2 g par kilogramme de poids corporel. Elle est largement utilisée dans les aliments tels que les Doritos, le mélange Bird's Eye Custard, les boissons gazeuses, les céréales, les bonbons et autres pour ajouter une couleur jaune à orange. Il est également utilisé dans certains médicaments tels que les vitamines et les médicaments contre le rhume, ainsi que dans les cosmétiques.Quel en est le mécanisme? Dans un courriel, l'auteur principal, Zihao Ou, PhD et professeur adjoint de physique à l'Université du Texas à Dallas, explique que «le tissu biologique est un mélange complexe d'eau (faible indice de réfraction) et d'autres biomolécules, notamment des lipides et des protéines (indice de réfraction élevé). Comme dans le cas d'un mélange huile-eau, la lumière est diffusée dans toutes les directions lorsqu'elle se propage dans le tissu, ce qui entraîne une opacité optique. En introduisant des molécules fortement absorbantes telles que la tartrazine dans le milieu aqueux, l'indice de réfraction de la solution à certaines longueurs d'onde augmente... et les différences d'indice de réfraction dans les tissus biologiques sont fortement réduites. Il en résulte une réduction de la diffusion des tissus biologiques, qui deviennent visuellement transparents.» La transparence optique ne résulte pas de l'absorption des photons diffusés par les molécules du colorant alimentaire, mais plutôt de la réduction des phénomènes de diffusion dans le tissu.À lire aussi: Une base de données d'images dermatologiques incluant divers types de peau dans sa version bêta«Le colorant n'absorbe que les courtes longueurs d'onde du spectre visible, ce qui fait que le tissu devient orange et rouge», explique le professeur Zihao.Les chercheurs ont émis l'hypothèse que des molécules fortement absorbantes pourraient mener à la transparence optique de tissus biologiques vivants, et ont passé au crible des dizaines de composés à la recherche des bonnes caractéristiques. Au total, 14 colorants supplémentaires ont montré un potentiel similaire pour obtenir une transparence des tissus à des longueurs d'onde plus importantes – l'un d'entre eux, appelé «Dye-21», a le plus grand potentiel dans le spectre de l'infrarouge proche.Un gel a été préparé avec de la tartrazine et a fait l'objet de divers tests sur des souris anesthésiées et rasées. Une fois appliqué sur la peau de l'abdomen d'une souris vivante, la peau abdominale est devenue très transparente avec un aspect légèrement rouge-orange.«Cet effet de transparence peut être facilement visualisé à l'œil nu et ne nécessite aucun équipement d'imagerie spécialisé», indique l'étude.Dans d'autres études sur des souris, les chercheurs ont constaté que lorsqu'il était appliqué sur la tête d'une souris vivante, le gel améliorait la visualisation des vaisseaux cérébraux lors de l'utilisation de l'imagerie de contraste par Speckle Laser (LSCI) – mieux que l’usage seul de la LSCI.«Notre méthode peut améliorer les modalités d'imagerie optique existantes pour sonder des caractéristiques profondes qui ne pouvaient pas être visualisées auparavant sur des animaux vivants... nous envisageons l'application clinique potentielle de cette invention pour le diagnostic précoce des maladies et la surveillance de la santé chez l’humain», estime le professeur Zihao. Est-ce qu’un des chercheurs ont appliqué les échantillons sur leur propre peau? «Nous ne suggérons pas d'essayer la recette actuelle sur l'homme directement, a-t-il répondu. Cela nécessite des tests plus robustes.»Dans un résumé publié sur PubChem, une base de données de chimie ouverte sous l'égide des National Institutes of Health des États-Unis, la tartrazine est parfois appelée jaune n˚5. Elle est utilisée dans une grande variété de produits comme colorant, notamment pour la laine et la soie, et dans les pesticides. Elle est également utilisée en biochimie comme indicateur et dans les solutions d'assainissement des équipements de transformation des aliments. En ce qui concerne les effets indésirables, elle peut induire des réactions allergiques cutanées et déclencher des bronchospasmes en cas d'inhalation.Une étude réalisée en 2020 par des chercheurs français suggère que les allergies aux additifs alimentaires, dont la tartrazine, sont rares. Dans une étude antérieure datant de 2014, des chercheurs ont confronté 100 patients atteints d'urticaire chronique idiopathique à 11 additifs alimentaires courants, dont la tartrazine. Ils ont conclu que «la sensibilité à l'un des 11 additifs alimentaires et médicamenteux se produit chez moins de 1% des patients atteints d'urticaire chronique idiopathique».

Rendre la peau invisible grâce à un additif alimentaire courant

Pour accéder au contenu, connectez-vous ou créez un compte gratuit.

Catégories connexes