Rencontre avec la Dre Nubia Muñoz, lauréate du prix Gairdner 2009: Combattre le virus du papillome humain et le cancer du col de l’utérus

Mise en nomination en 2008 pour le Prix Nobel de médecine, la Dre Nubia Muñoz, médecin épidémiologiste, professeure émérite au National cancer Institute (Bogota, Colombie) et consultante au Catalan Institute of Oncology (Barcelone, Espagne), était de passage au Québec, en octobre dernier, pour une série de conférences, dans le cadre des prix Gairdner dont elle est la lauréate 2009 (Canada Gairdner Global Health Award). Nous l’avons rencontrée à l’Université de Montréal pour qu'elle nous parle de ses travaux sur le virus du papillome humain (VPH) et le cancer du col de l’utérus. Elle nous trace un bref historique de sa recherche et lève le voile sur les défis à venir.«Nous avons commencé la recherche sur ce sujet il y a un peu plus de 30 ans. À l’époque, il n’existait pas de technologie ni de méthodologie pour étudier l’exposition à ce virus; celles-ci ne furent mises au point que dans les années 1980. À ce moment-là, j’étais médecin épidémiologiste pour le Centre international sur la recherche sur le cancer à Lyon (France), qui fait partie de l’OMS. J’ai continué à travailler pour ce centre pendant 30 ans. Entre autres projets lancés à l’époque, j'ai essayé de trouver la cause principale du cancer du col de l’utérus. C’est un type de cancer largement répandu dans les pays en voie de développement, souligne la Dre Muñoz. Il affecte des femmes relativement jeunes (40-50 ans avec de nombreux enfants; ce qui laisse une famille anéantie si la femme vient à mourir. »L'origine de la maladie« Je me suis donc intéressée sérieusement à ce problème en mettant l’accent sur la recherche de la cause à l’origine de cette maladie. Lorsque la technologie pour mesurer l’exposition au virus a été mise sur pied au début des années 1980, j’ai entrepris des études épidémiologiques, comparant des groupes de femmes atteintes du cancer cervical à des groupes de femmes témoins. L’une des premières études a été menée en collaboration avec un collègue espagnol, le Dr Xavier Bosch, médecin épidémiologiste comme moi, de l’Institut catalan d’oncologie (Barcelone). L’Espagne ayant l’une des plus faibles incidences de cancer cervical et la Colombie, l’une des plus élevées, nous voulions savoir si nous avions affaire à la même cause dans les deux pays. Cette étude de population cas-témoins impliquait quelque 2000 femmes avec et sans cancer cervical, ainsi que leur époux, puisqu’on savait déjà que ce virus était transmissible sexuellement. L’homme transmet l’infection à la femme et nous voulions mieux connaître le rôle de l’homme dans la transmission. »Ces études ont été lancées en 1984. La Dre Muñoz explique ici qu’il faut cinq à dix ans pour ce type d’étude : « On doit d’abord faire les entrevues avec un questionnaire très détaillé, procéder ensuite aux examens gynécologiques, entre au-tres pour obtenir des cellules tumorales ou du cervix normal, puis effectuer les analyses en laboratoire pour rechercher les brins d’ADN du virus dans les cellules. Sur ce dernier point, nous sommes allés chercher la collaboration de scientifiques de laboratoires susceptibles d’être intéressés par ce sujet. Keerti Shah, un virologue de l’Université Johns Hopkins (Baltimore) nous est venu en aide pour l’étude initiale comparant l'Espagne et la Colombie. Les résultats nous ont permis de publier, en 1992, la première étude (Muñoz N et coll. Int. J. Cancer 1992; 52[5] : 743-9; voir aussi Bosch F.X. et coll. Int. J. Cancer 1992; 52 [5] : 750-8) montrant que le VPH était la cause principale du cancer cervical, tant en Espagne qu’en Colombie. »« Nous avons alors décidé de poursuivre avec une autre étude similaire dans une douzaine de pays d’Amérique latine (p. ex., Pérou, Brésil, Paraguay), d’Afrique (par ex., Algérie, Mali, Maroc) et d’Asie (par ex., Inde, Thaïlande, Philippines). Les résultats ont été à l’image de ceux obtenus dans l’étude initiale (Colombie-Espagne), confirmant ainsi que le VPH était bien la cause de ce cancer. Puis ce fut le début d’une cartographie de ce virus dont la famille comprend une centaine de types génétiques différents – une quarantaine d’entre eux infectent le tractus génital – afin de déterminer les plus importants dans le cancer cervical. Une nouvelle étude incluant 22 pays (dont le Canada, plusieurs pays d’Amérique latine, d’Afrique, d’Europe et d’Asie) a été réalisée avec la même méthodologie, incluant questionnaires, collectes de cellules et analyses en laboratoire. Avec cette étude, nous avons pu démontrer que le VPH était non seulement important, mais nécessaire au développement du cancer puisque pratiquement toutes les biopsies de tissus cancéreux comportaient des brins d’ADN viral. Pour la première fois, nous avons donc avancé que cette infection était nécessaire au développement du cancer cervical. »La vaccination : un défi pour les pays pauvres« Cette infection est très fréquente et toute personne ayant une activité sexuelle normale a quelque 80 % de risque au cours de sa vie de contracter l’un ou l’autre de ces génotypes. Pourtant, seule une faible proportion de ceux-ci mèneront au cancer; ce qui implique la présence de cofacteurs. Lors de nos études cas-témoins, nous en avons identifié un certain nombre, tels que la multiparité élevée, le tabagisme, l’usage de la pilule contraceptive orale durant plus de 10 ans, ou encore les infections antérieures. Dans tous ces cas, les femmes ont un risque plus élevé de voir l’infection chronique progresser vers le cancer. »« Tout cela a été suffisamment important pour que les compagnies pharmaceutiques en viennent à s’intéresser à la production d’un vaccin et, surtout, à savoir quels types de VPH devraient être inclus dans le vaccin. Nos études ont démontré que les types 16 et 18 étaient en cause dans 70 % des cas de cancer. Il existe maintenant le Gardasil, produit par Merck Frosst (un vaccin quadrivalent qui prévient les infections au VPH de types 6 et 11, responsables des verrues génitales, et celles des types 16 et 18, qui provoquent le cancer), et le Cervarix, de Glaxo-SmithKline, qui contient les types 16 et 18. »En terminant, la Dre Muñoz souligne qu’au-delà du vaccin « la connaissance qui a découlé de ces recherches pourra être utilisée dans le cadre de programmes de prévention secondaire. Il existe aujourd’hui des tests diagnostiques qui permettent l’analyse des fragments de virus dans les cellules et vont remplacer la cytologie (le test Pap), une technique moins fiable. Grâce à ces tests plus précis, un résultat négatif permet d’assurer à la patiente une période de sept à huit ans sans problèmes.Les pays pauvres pourraient aussi bénéficier de ces nouveaux tests, moins coûteux et plus efficaces que le test Pap. »Pour rendre le vaccin accessible à tous«Le défi, maintenant, est de rendre ces vaccins accessibles aux pays qui en ont le plus besoin, soit les pays pauvres ou en développement d’Afrique, d’Amérique latine et d’Asie. Le problème est que le vaccin coûte cher : aux États-Unis, plus de 300 dollars, en Europe, plus de 300 euros pour les trois doses. Et, bien sûr, les pays pauvres n’ont pas les moyens de payer le vaccin à ce prix-là. L’une des voies possibles pour le rendre accessible consiste à négocier avec les compagnies pharmaceutiques pour un prix à rabais. Mais cela doit être entrepris via des organisations internationales, telles que l’OMS ou l’UNICEF, qui négocient de grands volumes de vaccins (des centaines de millions de doses) pour l’Amérique latine, par exemple. »« Même ainsi, ce mécanisme ne fonctionne pas pour les pays les plus pauvres – à savoir la plupart des pays africains, Haïti, le Nicaragua, le Honduras, la Bolivie, par exemple. Pour ces pays, il existe un autre mécanisme (le GAVI, Global Alliance for Vaccines and Immunization), financé par les pays plus riches qui achètent le vaccin aux compagnies pour ensuite le distribuer gratuitement à ces pays très pauvres. »

Rencontre avec la Dre Nubia Muñoz, lauréate du prix Gairdner 2009: Combattre le virus du papillome humain et le cancer du col de l’utérus

Pour accéder au contenu, connectez-vous ou créez un compte gratuit.

Catégories connexes