Recherche et financement: l’industrie pèse-t-elle trop lourd?

Un débat commence à poindre sur la place publique autour du financement public-privé de la recherche au Canada. Pourquoi une telle question maintenant? Disons que la nomination du vice-président de Pfizer Canada au sein du conseil d'administration des Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) a catalysé la grogne de plusieurs scientifiques qui y voient, à tout le moins, les apparences d’un conflit d’intérêt.Aux IRSC, la situation ne semble pas poser problème. Le 30 novembre dernier, son président, le Dr Alain Beaudet, a confirmé devant une commission de la Chambre des communes à Ottawa qu’il appuyait cette nomination, comme l’ont fait d’ailleurs tous les membres du CA des IRSC.De plus, il a précisé à L’actualité médicale par courriel: «Le Dr Prigent ne sera pas en mesure d’influencer le financement de projets de recherche particuliers par les IRSC. Il prendra des décisions budgétaires d’ordre général, mais il ne décidera pas des chercheurs et des projets à financer.»Selon lui, il ne peut pas y avoir conflit d’intérêt, puisque cette nomination respecte, entre autres, la Loi sur les conflits d’intérêts. Une position avec laquelle le Dr Fernand Turcotte, professeur émérite de l’Université Laval n’est absolument pas d’accord.«Il y a conflit d’intérêt. Je trouve cette nomination désastreuse. Ça n’a rien à voir avec les qualités personnelles du Dr Prigent, qui est un scientifique de grande renommée. Mais son poste actuel de vice-président d’une très grande société pharmaceutique est incompatible avec le fait que les Instituts de recherche en santé du Canada restent le dernier organisme à financer de la recherche non orientée. Et de donner à Pfizer toute l’information à laquelle il aura accès est, en soi, carrément immoral, d’autant plus depuis que Pfizer a été condamnée à de fortes amendes pour conduite contraire à l’éthique professionnelle.»Une pétition circuleÀ ce jour, plus de 4300 chercheurs, médecins et scientifiques ont signé une pétition réclamant la révocation du vice-président de Pfizer Canada au sein du conseil d’administration des IRSC. Pour le Dr Pierre Biron, l’un des signataires, médecin retraité et ancien professeur de pharmacologie à l’Université de Montréal, «c’est comme si le gouvernement donnait une gifle à tous ceux qui critiquent la recherche clinique biaisée en faveur de l’industrie. Le gouvernement vient de nous dire que non seulement nous allons dans le sens des partenariats public-privé, mais nous approuvons également l’influence de l’industrie sur le choix et l’interprétation des protocoles. C’est notre politique, c’est officiel.»Le 5 octobre dernier, dans le communiqué annonçant cette nomination, la ministre de la Santé Leona Aglukkaq n’a pas hésité à mettre de l’avant les partenariats public-privé: «La vaste expérience du Dr Prigent dans l’industrie de la recherche pharmaceutique lui permet de comprendre le contexte des partenariats en recherche et développement, ce qui constitue un atout pour le conseil d'administration des IRSC.»La situation au Québec Le conseil d’administration du Fonds de la recherche en santé du Québec (FRSQ), qui, comme l’IRSC, est un organisme subventionnaire, comprend deux membres issus de l’industrie: Philippe Walker, vice-président, Recherche, de la compagnie pharmaceutique AstraZeneca R&D Montréal, et Johane Guay, présidente et directrice générale de Biopharmacopae Design International, une entreprise de biotechnologie privée de Québec.«Ils ne sont pas là comme représentants de leur groupe, mais à titre d’individu. Et tous les membres d’un conseil d’administration pourraient être soupçonnés de faire dévier des décisions vers les intérêts du monde dont ils sont issus. Quand il y a des gens de la direction de certaines universités, on pourrait dire qu’ils vont favoriser leur université et c’est majeur comme suspicion», explique Yves Joanette, président-directeur général du FRSQ.Pour lui, sans des membres de l’industrie, son conseil d’administration ne serait pas à même de remplir son mandat avec toute la «sagesse» nécessaire, car «il ne faut pas oublier que le FRSQ relève du ministère du Développement économique, de l’Innovation et de l’Exportation et non pas du ministère de la Santé, même si nous avons beaucoup de liens avec lui».Une chose est sûre, la nomination du Dr Prigent a révélé qu’une partie de la communauté scientifique canadienne estime que l’industrie pharmaceutique contrôle déjà suffisamment la recherche médicale au Canada et qu’elle ne devrait pas étendre sa présence jusqu’au conseil d’administration des IRSC.

Recherche et financement: l’industrie pèse-t-elle trop lourd?

Pour accéder au contenu, connectez-vous ou créez un compte gratuit.

Catégories connexes