Quelle est l'efficacité et l'innocuité de la rosuvastatine chez les personnes âgées ayant une insuffisance cardiaque d'origine ischémique ?

Sonia Badeaux sonia.badeaux.1@ulaval.ca Collaboration spéciale Article de référence : Kjekshus J, Apetrei E, Böhm M et coll. Rosuvastatin in older patients with systolic heart failure. New England Journal of Medicine, 29 novembre 2007; 357:2248-61. RÉSUMÉ Objectif Déterminer si la rosuvastatine peut améliorer la survie, réduire la morbidité et accroître le bien-être des patients âgés souffrant d’insuffisance cardiaque chronique systolique d’origine ischémique tout en étant sécuritaire. Conception Essai clinique randomisé avec groupe témoin placebo. Contexte En tout, 371 centres de 19 pays européens, de Russie et d’Afrique du Sud. Participants Ce sont 5011 patients âgés d’au moins 60 ans (moyenne : 73 ans; hommes : 76 %), ayant une insuffisance cardiaque de cause ischémique de classe fonctionnelle New York Heart Association II (et fraction d’éjection < 35 %), III ou IV (et fraction d’éjection < 40 %) qui ont participé à l’étude. L’état des patients devait avoir été stabilisé par une thérapie optimale avant la randomisation. Les patients ayant déjà présenté une myopathie ou une réaction d’hypersensibilité induite par une statine ont été exclus. De l’angine instable, un infarctus du myocarde dans les six derniers mois ou un accident vasculaire cérébral, une angioplastie, un pontage aortocoronarien et l’implantation d’un stimulateur cardiaque dans les trois derniers mois étaient d’autres raisons d’exclusion. Interventions Après leur répartition, les patients prenaient une dose quotidienne de rosuvastatine à 10 mg (n = 2514) ou un placebo (n = 2497). Ils étaient évalués six semaines et trois mois après la randomisation, puis aux trois mois. Le suivi médian de l’étude a été de 32,8 mois. Principales mesures de résultats La mesure principale était un indice composé du nombre de décès de cause cardiovasculaire, des infarctus du myocarde (IM) et des accidents vasculaires cérébraux (AVC) non fatals. Les mesures secondaires étaient le nombre total de décès, tout événement coronarien (mort subite, IM fatal ou non, angioplastie, pontage, manœuvre de défibrillation ventriculaire, réanimation, et hospitalisation pour angine instable), le nombre de décès pour cause cardiovasculaire, le nombre d’hospitalisations pour cause cardiovasculaire, les épisodes d’angine instable ou de détérioration de l’insuffisance cardiaque et l’innocuité de la rosuvastatine. Résultats Tels que définis par l’indice composé, le nombre d’événements n’a pas différé de façon significative (hazard ratio [HR] 0,92; IC 95 % 0,83-1,02; p = 0,12) entre les groupes rosuvastatine (692 événements, soit 11,4 par 100 patients-année de suivi) et placebo (732 événements, soit 12,3 par 100 patients-année). La rosuvastatine a entraîné des réductions non statistiquement significatives des risques relatifs associés au nombre de décès de toutes causes et aux événements coronariens, respectivement de 5 % et de 6 %. Par contre, le nombre global d’hospitalisations a été significativement diminué (p < 0,007) dans le groupe rosuvastatine, principalement en raison de la diminution du nombre d’hospitalisations pour cause cardiovasculaire (p < 0,001) et, en particulier, du nombre de celles engendrées par une détérioration de la défaillance cardiaque (p = 0,01). La diminution du cholestérol LDL après trois mois de rosuvastatine a été de 45 % supérieure à celle du groupe placebo (p < 0,001), de même que pour la protéine C réactive, la diminution a été de 37 % supérieure (p < 0,001). Enfin, 241 patients sous rosuvastatine et 302 patients sous placebo ont présenté des effets secondaires (p = 0,004). Conclusion La rosuvastatine n’a pas réduit de façon significative l’indice composé de mortalité cardiovasculaire, d’IM et d’AVC non fatals ni la mortalité totale chez les patients âgés souffrant d’insuffisance cardiaque systolique malgré que le médicament ait pu réduire significativement le nombre d’hospitalisations pour cause cardiovasculaire tout en étant bien toléré. COMMENTAIRE Pertinence de l’étude L’étude CORONA (Controlled Rosuvastatin Multinational Trial in Heart Failure) s’intéresse à des patients habituellement exclus des essais cliniques sur les statines (ou inhibiteurs de l’HMG-coenzyme A réductase), à savoir les personnes âgées souffrant d’insuffisance cardiaque systolique modérée à grave. Elle vise à démontrer les bénéfices, en termes de diminution de la mortalité et des complications cardiovasculaires, et à vérifier l’innocuité de l’ajout de rosuvastatine à 10 mg par rapport à un placebo. Importance des résultats Les résultats de l’étude CORONA semblent indiquer que l’administration quotidienne d’une dose de 10 mg de rosuvastatine à des patients âgés souffrant d’insuffisance cardiaque, par ailleurs traitée de façon optimale, constitue une intervention dont les bénéfices cliniques sont minimes. Même si l’administration de la statine a réussi à produire une amélioration notable du profil lipidique, ceci ne s’est pas traduit par une diminution de la mortalité cardiovasculaire, des IM et des AVC non fatals durant un suivi médian de 32,8 mois. Les complications ischémiques n’ont pas été diminuées de façon statistiquement significative non plus, comme en témoigne l’incidence comparable (p = 0,18) des événements coronariens entre la statine (9,3 par 100 patients-année) et le placebo (10,0 par 100 patients-année). I l faut tout de même souligner que le nombre d’hospitalisations pour cause cardiovasculaire a été nettement diminué par la rosuvastatine (2193 contre 2564 dans le groupe placebo; p < 0,001). Par ailleurs, la rosuvastatine a été très bien tolérée, sans signe d’excès de problèmes musculaires ou hépatiques par rapport au placebo. Critique de la méthodologie L’inclusion d’un groupe placebo est l’un des points forts de l’étude. Il permet de départager avec plus de netteté les effets directement liés à la rosuvastatine. Également, le procédé « d’allocation équilibrée optimale » a permis d’obtenir des groupes de patients comparables, à la seule exception d’une répartition inégale des patients porteurs d’un stimulateur cardiaque. Ce déséquilibre a pu avoir un effet désavantageux chez les patients du groupe rosuvastatine, moins bien protégés contre une mort subite d’origine arythmique. Comme autre lacune, 69 patients du groupe rosuvastatine et 120 patients du groupe placebo ont reçu, de façon ouverte, une statine en plus de leur médicament d’étude. L’effet de cette contamination sur les résultats demeure inconnu. Enfin, une situation préoccupante en rapport avec la validité des résultats de l’étude concerne le nombre de patients perdus de vue durant le suivi. Les courbes de Kaplan-Meier rapportées dans l’article révèlent qu’une portion importante de patients, soit environ 56 % dans l’un et l’autre groupe, a cessé de participer à l’étude après la deuxième année de suivi. Une telle attrition a pu affecter la comparabilité des groupes et influencer les résultats. Mise en perspective selon l’état des connaissances Les bénéfices des statines dans la maladie coronarienne ischémique ont été clairement démontrés par plusieurs études menées dans diverses populations ou groupes de patients. Dans l’étude PROSPER 1, par exemple, la pravastatine à 40 mg a démontré une diminution significative du risque de maladie coronarienne par rapport au placebo chez des patients âgés de 70 à 82 ans. Tout comme pour cette dernière, les sujets de l’étude CORONA sont âgés, mais ils souffrent, en plus, de dysfonctionnement cardiaque systolique, une pathologie qui ne se retrouve généralement pas dans les études sur les statines. Il est probable que les bénéfices associés aux statines soient plus difficiles à mettre en évidence chez ce type de patients. Dans CORONA, la rosuvastatine a produit une amélioration spectaculaire du taux de cholestérol LDL – de l’ordre de 45 % – par rapport au placebo, sans pour autant avoir amélioré l’issue primaire ou la mortalité. Quels auraient été les résultats de l’étude si la dose de rosuvastatine avait été plus élevée ou si la durée du suivi avait été plus longue ou, encore, si on avait utilisé une autre statine dont les bénéfices sur la mortalité et la morbidité ont été clairement démontrés ? Contribution à la prise de décision clinique La prescription d’une statine à un patient âgé souffrant d’insuffisance cardiaque modérée à grave d’origine ischémique ne va pas de soi. Les bénéfices cliniques ne sont pas clairement démontrés. Référence Shepherd J, Blauw GJ, Murphy MB et coll. Pravastatin in elderly individuals at risk of vascular disease (PROSPER) : a randomised controlled trial. The Lancet, 2002; 360:1623-30.

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