À quel point la pandémie a-t-elle fait évoluer nos connaissances scientifiques?

Profession Santé s’est entretenu avec le Dr Jean Barbeau, directeur du Laboratoire de contrôle des infections et professeur titulaire à la Faculté de médecine et à la Faculté de médecine dentaire de l’Université de Montréal. En plus de l'immunologie, la microbiologie et le contrôle des infections, le Dr Barbeau enseigne aussi des notions relatives à la virologie et l'épidémiologie. En tant que professeur, dans quelle mesure avez-vous dû mettre à jour le contenu de vos cours en fonction des nouvelles connaissances acquises lors de la pandémie? Dès 2020, j’ai actualisé mes cours en fonction des nouvelles connaissances, mais ces ajustements n’impliquent pas nécessairement de grands changements de cap. Du côté de l'épidémiologie, on avait déjà beaucoup de connaissances sur les R0 et Rt, par exemple, mais l’aspect intéressant avec l'apparition des variants est qu’il y a eu des changements au niveau du R0. À partir du moment où on commence à avoir une population partiellement immunisée et avec l'arrivée des vaccins, on a une meilleure compréhension de l'évolution du R0. Je donne aussi un cours sur le contrôle des infections qui, bien que très apprécié, restait relativement «général». J’y traite du principe de précaution ou de la transmission par aérosols, mais mon cours était un peu abstrait. Environ 30% du contenu de ce cours a été remodelé en me basant sur des cas réels: j’utilise désormais la COVID pour mieux illustrer des concepts théoriques comme le Rt. Ainsi, ils deviennent plus tangibles pour les étudiants. C'est exactement la même chose du côté de mon cours en immunologie. Prenons l'exemple de la portion qui porte sur le développement de la réponse humorale d'anticorps, à la suite d’une infection naturelle ou de l'injection d'un vaccin. On est davantage en mesure d'expliquer pourquoi l'immunité change d'une personne jeune à une personne âgée, notamment. Ce qui a changé beaucoup de choses, c'est que les scientifiques ont pu accéder aux nombreuses connaissances liées à la COVID au fur et à mesure de leur découverte. Avant, on savait que la vaccination fonctionnait et comment se comportait le système immunitaire, mais les connaissances étaient relativement générales. Avec la COVID, on a vu une augmentation spectaculaire de la quantité de recherches, tant du point de vue épidémiologique, immunologique, que virologique. Il y a probablement plus de 500 publications par semaine, dans tous les domaines liés à la COVID, c'est énorme! On voit la recherche se déployer en temps réel, accompagnée de publications qui sont validées ou contredites par d'autres, ou rétractées à une fréquence beaucoup plus importante que ce à quoi on était habitués. Les connaissances de base que j’enseignais dans mes cours restent donc toujours valides, mais la pandémie nous a permis de les raffiner. Par exemple, on est désormais en mesure de préciser l'aspect temporel du développement de l'immunité face aux vaccins. On peut désormais utiliser les publications sur la COVID pour déterminer plus en détails pourquoi ça prend 2,3 voire 4 semaines ou plus avant de développer une immunité. Par exemple, quand les fabricants de vaccins ont mis au point leur protocole, la majorité ont plaidé pour trois ou quatre semaines entre deux doses, pourquoi? C'est le protocole qu'ils ont établi avant même de commencer leurs études cliniques. Ces délais ont été établis grâce aux connaissances qu'on avait et qui étaient bonnes, mais pas nécessairement aussi précises qu'on aurait voulu. Avec la pandémie, on a pu déterminer que les anticorps sont une chose et que l'immunité cellulaire en est une autre. Donc même avec une diminution des anticorps sous le seuil jugé protecteur (et qu'on connaît beaucoup mieux), les chercheurs peuvent maintenant dire que même s’il n’y a plus beaucoup d'anticorps, l'immunité cellulaire est beaucoup plus durable dans le temps. On a également pu établir qu'avec les vaccins, il y a une augmentation de la quantité d'anticorps (ce qui était prévisible), mais avec les connaissances et les technologies de mesure auxquelles ont accès les chercheurs, on peut mesurer la prolifération des lymphocytes T et B relativement aisément et précisément, ce qui nous permet de quantifier les cellules et pas seulement les anticorps. Ça, c'est une belle nouveauté. Avant, on ne le faisait pas souvent, car c'était long, très coûteux et qu'on n'avait pas tant de technologie pour le faire. La pandémie a agi comme un facteur d'innovation dans la recherche médicale. Qu'est-ce qui y a le plus contribué, selon vous: l'urgence de la situation ou l’importante collaboration entre les scientifiques dans le monde? C'est certainement les deux, mais je nuancerais en disant que l'urgence de la situation a catalysé l'augmentation de la collaboration entre les chercheurs. Au début de la pandémie, on essayait de comprendre de quelle façon le virus se transmettait. On devenait de plus en plus familiers avec le R0, entre autres, et l'aspect épidémiologique a vraiment pris le pas dès mars 2020. L'immunologie est arrivée beaucoup plus tardivement, avec les vaccins, notamment. En mai 2020, on m'a demandé si je croyais qu'un vaccin serait disponible pour la fin 2020-début 2021. J’avais répondu que c'était tout à fait réalisable du point de vue de la science, bien que plusieurs disaient que ça prend normalement au moins cinq à dix ans pour en mettre un au point. Or, ce qu’on jugeait irréaliste au début de 2020 était basé sur ce qu'on connaissait à ce moment-là à propos de leur développement. Les connaissances sur les vaccins ont progressé très rapidement, notamment sur les plans technologique et scientifique. On pourrait citer l’exemple des vaccins à ARN messager, sur lesquels les chercheurs travaillaient depuis quelques années entre autres pour le SIDA et la rage. Dans le contexte de la pandémie, les chercheurs ont davantage partagé leurs connaissances. La collaboration entre les chercheurs a toujours été présente, sauf que là, on a eu très rapidement accès aux données sur la séquence du virus parce que les Chinois les ont partagées en janvier 2020, ce qui a permis d'asseoir la recherche qui allait se faire par la suite sur les vaccins. Tout ça a été un catalyseur qui a fait en sorte qu’on a eu des vaccins fonctionnels dès la fin de l’année, ce qui était presque impensable au début de la pandémie! En même temps, il y a une crainte partagée par les communautés scientifiques dans le monde concernant une «covidisation» de la science, car beaucoup de chercheurs ont redirigé leurs intérêts vers la COVID. Au départ, c'était une excellente chose puisqu'il fallait gérer une situation d'urgence planétaire. Bien qu’il s’agisse d'un sujet mobilisateur, il ne faut pas non plus laisser tomber toutes les autres recherches! Qu'est-ce que vous pensez que les disciplines concernées vont retenir de la pandémie? Du point de vue épidémiologique, prenons l'exemple de la question de la transmission par les aérosols du virus de la COVID. Ce type de transmission n'est pas nouveau en tant que tel; on vit avec la grippe depuis un bon bout de temps. On suspectait fortement qu'elle se transmettait par l'air et par le contact avec les surfaces, mais il y avait plusieurs zones grises. Avec la situation d'urgence qu'a amenée la COVID, on a dû réévaluer toutes nos connaissances sur la transmission par les aérosols et par les surfaces. Avec ce nouveau virus, on peut dire aujourd'hui que les risques de transmission par les surfaces sont probablement très marginaux, alors qu'au début de la pandémie, on désinfectait tout - de son épicerie aux mobiliers des transports en commun -, jusqu'à ce que l'épidémiologie nous dise de mettre ça un peu plus de côté. Puis, la science s'est davantage orientée du côté de la transmission par les aérosols, donc de la qualité de l'air, de la distanciation et de la ventilation. On est partis des approximations qu'on avait au départ, et les connaissances acquises les ont rendues beaucoup plus tangibles et précises. En quoi ces avancées scientifiques pourront nous être utiles advenant une nouvelle pandémie? Elles vont nous être utiles à plusieurs niveaux. Les épidémiologistes ont raffiné leurs modèles et ont désormais l'expérience de leurs fluctuations; on sait que certains modèles prédictifs ont visé complètement à côté. Avec le temps, les modèles et les méthodologies épidémiologiques se sont précisés et on arrive maintenant dans une tranche de prédictions beaucoup plus réalistes qu'auparavant. Même chose en ce qui concerne la transmission par les aérosols et la ventilation. Nos connaissances actuelles nous permettent de faire de la prévention plutôt que d'être en réaction, comme ça été longtemps le cas avec la COVID. Les connaissances qu’on a graduellement acquises nous ont permis d’en savoir suffisamment pour être capables de faire des prédictions fiables et d’introduire des mesures plus spécifiques, ce qui pourra sans doute être fort utile advenant la survenue d’une autre pandémie.

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