Quand les médecins ont besoin de soins médicaux

Étant médecin, je savais que mon problème n'était pas urgent ni émergent; il n'a d’ailleurs jamais été une priorité face à l'achèvement de ma résidence et de mon stage, la gestion de ma famille, et ainsi de suite. Puis un jour, il y a quelques semaines, je discutais autour d'un verre de vin avec une amie médecin qui dispose d’une expertise dans le même domaine que mon problème persistant. J'ai mentionné au passage que je faisais de mon mieux pour gérer ce problème et je lui ai demandé des «conseils» supplémentaires. Elle a levé un sourcil et m'a regardée avec une expression du genre «Tu es folle?», avant de me dire: «Tu as juste à le faire soigner...». «Ouais, bien, ce n'est pas près d'arriver», ai-je répondu. «Je suis sur le point de déménager à l'autre bout du pays, d'inscrire mes enfants à de nouvelles écoles, de passer un autre examen du Royal College et de commencer un nouvel emploi. Étant donné qu'il ne s'agit pas d'un problème urgent, qu’il ne menace pas ma vie et que je peux me faire opérer n’importe où au pays, cela ne surviendra pas avant des années.» Comme le font souvent les amis médecins, parce que nous comprenons la situation et parce qu'il n'y a pas beaucoup d'autres avantages à offrir à ses amis quand on est chirurgien, elle m’a dit qu'elle allait «voir ce qu'elle pouvait faire pour moi». Une semaine plus tard, j'ai reçu un appel de la clinique d'un autre médecin du groupe de mon amie. Il a proposé de me recevoir à la fin de sa journée de travail, deux jours plus tard. Et bien sûr, comme je savais qu'il s'agissait d'un médecin qui rendait service à l'ami médecin d'un autre médecin, je lui ai dit que je ferais en sorte que ça fonctionne. Et ça a marché. Je me suis présentée à mon rendez-vous et, comme tout bon patient, j'ai attendu que la journée du médecin surmené se termine, soit une heure plus tard que prévu. Sachant que cela risquait d'arriver, j’étais venue avec du matériel d'étude. Lorsque j'ai enfin pu rencontrer le médecin qui m'a fait une place à la fin d’une journée déjà longue et probablement surchargée, j'ai été choquée (je n'aurais pas dû l'être, vraiment) d'apprendre que mes tentatives au fil des ans pour «gérer mon problème» n'avaient rien donné de bon et m'avaient seulement amené à un stade où la chirurgie était la seule option. Je crois que ses mots exacts étaient quelque chose comme: «Seul un médecin tolérerait cela aussi longtemps sans y remédier.» Il a sorti son téléphone pour consulter son calendrier et m'a demandé quand aurait lieu mon déménagement. Quand je lui ai dit que ce serait vers la mi-août, il a fait claquer sa langue et m'a demandé si je tenais vraiment à subir une intervention chirurgicale juste avant de déménager. En guise de réponse, je lui ai demandé combien de temps prendrait le processus pour me référer à un collègue dans une autre province (et la prise en charge qui s'en suivrait). Il m'a fait un signe de tête, a regardé son téléphone et m'a dit: «J'ai un peu de temps dans ma salle d'opération la semaine prochaine et je peux vous caser, mais il y a une chance sur deux que votre opération soit annulée si mes autres cas prennent du retard». Je l'ai remercié et j'ai signé les formulaires de consentement. Selon moi, une chance sur deux est de bon augure... et, à vrai dire, est-ce que continuer à persister indéfiniment avec mon problème (manifestement) mal géré est mieux que de subir une chirurgie mineure trois semaines avant le déménagement? Il y avait 50% de chance pour que je le découvre… Au cours de la semaine qui s'est écoulée entre ce rendez-vous et le bloc opératoire, j'ai eu le privilège d'endurer les nombreuses épreuves et tribulations auxquelles sont soumis les patients qui se préparent à subir une intervention chirurgicale. De multiples appels téléphoniques, de multiples rappels et de multiples rendez-vous (sans oublier le test COVID). À l'exception d'une petite dispute avec l'infirmière pour savoir si je devais me rendre à un rendez-vous préopératoire en personne (il s'est avéré que ce n'était pas nécessaire) et d'une attente de deux heures pour subir le test de dépistage de la COVID-19, tout s'est déroulé sans problème. Lorsque le jour de l'opération est enfin arrivé, mes nerfs étaient à vif: on m’avait donné le dernier rendez-vous de la journée et mon admission était à 13 heures. Je m'attendais à recevoir à tout moment un appel téléphonique me disant que mon opération était annulée. Si cela s’était produit, tous mes efforts auraient été vains: prendre un jour de congé pour me faire opérer, toutes les petites faveurs et les pressions exercées par des médecins pour des médecins qui savent trop bien à quel point il est difficile de mettre en pratique ce que nous prêchons. Mais à 13 heures, on a fait mon admission pour une chirurgie d’un jour. On m'a transféré dans la zone d'attente préopératoire et j'ai rencontré mon équipe chirurgicale. Je me suis bien remise de l'anesthésie, et j'ai été emmenée en fauteuil roulant jusqu’au stationnement pour que j’y retrouve mon mari. Je suis arrivée à la maison à 19 heures, de retour à ma réalité. Il y aura toujours des débats pour savoir si les médecins devraient bénéficier ou pas d'un accès aussi «privilégié» aux soins médicaux, du fait de leurs amitiés et de leurs relations avec leurs collègues. Il s'agit certainement d'une zone grise, surtout si l'on considère qu'un tel accès peut enlever des disponibilités à des patients qui ont vraiment besoin de soins. Mais nous oublions parfois que les médecins en ont également besoin et que les exigences relatives à notre profession rendent souvent irréaliste l'accès aux services de la même manière que nos patients. Je suis heureuse que mon «problème» de longue date soit enfin pris en charge de façon appropriée. J'ai négligé de prendre soin de moi pendant des années en raison des lourdes exigences de ma formation médicale et de mon engagement envers les patients. Un collègue a proposé de me voir à l’extérieur de ses heures de consultation habituelles et m'a attribué une place en chirurgie qui n’aurait pas été utilisée de toute façon. J'ai réussi à me préparer pour une intervention chirurgicale dans un très court délai, sans compromettre mes engagements envers mes patients ou mon stage de formation. Et, suivant le même état d’esprit qui m'a mis dans cette situation au départ, et probablement pas le meilleur choix pour mon rétablissement, je n'ai pris qu'un jour de congé supplémentaire pour me remettre de l'opération.

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Ginevra Mills

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