Quand des pharmaciens comblent un angle mort de la formation en médecine

Ce jour-là, dans une des salles de la Faculté de médecine de l’Université de Montréal (UdeM), résonnaient encore des questions laissées en suspens après un atelier d’apprentissage en pneumologie. Iliya Dmitriev et Zakaria Chajai, tous deux pharmaciens de formation devenus étudiants en médecine, tentaient d’éclairer leurs camarades de première année sur les antibiotiques ou les pompes à inhaler. En pareilles circonstances, Marie-Ève Newberry, elle aussi pharmacienne, les rejoignait souvent dans ces moments improvisés d’explications. «À chaque séance, on voyait que nos collègues n’étaient pas certains du fonctionnement de certains médicaments», raconte Iliya. Les trois pharmaciens l’ont senti simultanément: leur PharmD leur donnait des réflexes que d’autres avaient moins. «On s’est dit qu'il y avait vraiment quelque chose à faire», relate le jeune homme. C’est dans cette atmosphère dense, entre deux blocs de préclinique, que l’idée d’un comité pédagogique consacré à la pharmacothérapie a commencé à émerger. Le déclic est venu d’une observation de Zakaria. À l’Université Laval, où il a étudié en pharmacie, «il y avait une sorte de comité de pharmacologie fondé par des étudiants en médecine qui étaient aussi pharmaciens». Le trio réalise alors que leur propre cohorte compte plusieurs pharmaciens et ex-étudiants en pharmacie, un contexte propice pour bâtir une initiative semblable. «On avait tous le même bagage… et on voyait tous les mêmes lacunes», résume-t-il. L’idée de créer un «chapitre pharmaco» au sein du Comité de développement médical (CDM) s’est alors imposée d’elle-même.Le CDM de la Faculté de médecine de l’UdeM produit des contenus pour aider les étudiants à préparer l’examen clinique objectif structuré (ECOS), qui précède l’externat. Les trois complices imaginent pourtant autre chose, sans lien nécessairement avec l'ECOS: un pendant entièrement dédié aux médicaments, pensé par des pharmaciens pour des étudiants en médecine, au pré-clinique comme à l’externat, dans l’espoir de combler ce qu’ils percevaient comme un angle mort de leur formation.Le CDM Pharmaco s’inscrit dans la continuité du CDM, mais il a sa dynamique propre liée au parcours de ses membres. Marie-Ève, qui avait collaboré au CDM avant de cofonder le chapitre pharmaco, résume bien cette différence d’approche. «Dans le CDM “général”, les outils sont construits par les résidents et les médecins. Nous, l’expertise vient de nous-mêmes, de notre groupe de pharmaciens.» Cette particularité oriente la façon dont ils conçoivent leurs contenus, pensés pour offrir des repères pharmacothérapeutiques clairs et utiles aux étudiants. Leur ambition reste modeste et concrète. Les trois futurs médecins souhaitent surtout aider leurs pairs à trouver, au bon moment, une information fiable et facilement mobilisable, dans une étape du cursus où la pharmacothérapie demeure encore peu développée.Un angle mort de la formation médicaleLes trois étudiants ont rapidement pris conscience de l’écart entre leur PharmD et leur formation médicale. «En médecine, on passe beaucoup plus de temps sur la maladie, sur la physiopathologie et sur les complications possibles. Les traitements, eux, sont abordés beaucoup plus brièvement», signale Iliya. Pour Marie-Ève, cela laisse une place importante à l’apprentissage en milieu clinique, avec toute la variabilité que cela implique. «C’est correct si la personne est suffisamment exposée durant ses stages, mais ça crée aussi certaines lacunes si elle ne l’est pas assez», indique-t-elle. Et leurs observations en classe allaient dans le même sens. «On voyait que nos collègues n’étaient pas toujours sûrs de bien comprendre le fonctionnement de certains médicaments», ajoute Iliya. Pour eux, ces angles morts méritaient d’être abordés plus tôt, avant que les externes soient plongés dans la réalité du terrain.Lors de leurs expériences en pharmacie communautaire, les trois étudiants ont été témoins de situations qui, selon eux, pourraient être mieux anticipées si la formation en pharmacothérapie occupait une place plus claire dans le parcours médical. Les benzodiazépines en étaient un exemple récurrent. «En pharmacie, on a eu des cours sur l’utilisation de ces médicaments et sur les gros risques. On est très sensibilisés à leurs répercussions», souligne Iliya, qui voyait défiler quotidiennement des patients âgés avec des prescriptions chroniques de «benzos», malgré les risques bien documentés de chutes, de troubles cognitifs ou de dépendance.À lire aussi: 10 leçons qu'on n'enseigne pas à la faculté de médecine (mais qu'on devrait)Marie-Ève mentionne pour sa part la fréquence des antibiotiques prescrits pour des tableaux qui, selon les signes cliniques, relevaient clairement du viral. Ces constats, répétés au fil des stages et de leurs emplois étudiants, ont nourri leur conviction qu’une exposition plus précoce aux principes de base de la pharmacothérapie pourrait aider leurs collègues à reconnaître plus tôt ces zones grises. Une petite unité pédagogique bien rodéeLa structure mise en place par le trio a vite pris de l’ampleur. Entre les premières discussions de septembre 2024 et le lancement officiel en janvier 2025, ils ont bâti une véritable petite unité pédagogique, avec ses rôles clairement définis, ses processus et son calendrier éditorial. Après avoir échangé avec le CDM à l’automne 2024, ils recrutent une première cohorte d’une trentaine de membres, majoritairement issus de la pharmacie. «Au début, on devait jouer tous les rôles pour comprendre comment mettre en place tout ça», raconte Marie-Ève. Fiches, capsules, ateliers, vignettes cliniques: chaque ressource est désormais confiée à un représentant, puis revue par un comité scientifique dédié. «On est quand même un peu partout en même temps», admet-elle en souriant. De son côté, Zakaria se souvient du démarrage comme de la phase la plus exigeante. «On devait penser à tout le concept… Ça nous a demandé beaucoup d’investissement», se remémore-t-il aujourd’hui.À lire aussi: L’IA peut-elle nous dispenser de l’effort d’apprendre?Cette organisation serrée leur permet maintenant de publier leurs ressources progressivement, en les alignant sur les blocs d’enseignement qui jalonnent le cursus préclinique. Les premières ressources portaient sur la gynécologie-obstétrique, un système choisi parce que c’est l’un des premiers abordés par les étudiants. On y trouve deux types de fiches. Des fiches pharmacologiques, qui regroupent indications, effets indésirables, moments de prise, interactions et contre-indications; et des fiches par pathologie, où sont détaillées les lignes de traitement. «On voulait que l’essentiel soit clair et accessible, sans que les étudiants aient à lire des centaines de pages du CPS (le Compendium des produits et spécialités pharmaceutiques, NDLR) au complet», explique Marie-Ève.Un corpus pédagogique qui s’étoffe rapidementLe comité travaille désormais en parallèle sur quatre autres systèmes - cardiologie, pneumologie, psychiatrie et neurologie - dont les premières fiches doivent être diffusées à la mi-décembre. «On veut rendre cette information-là digeste, mais pertinente pour les étudiants en médecine avant qu’ils soient immergés à l’externat», précise la pharmacienne. Une résidente en médecine familiale a d’ailleurs utilisé l’une de leurs fiches durant sa rotation en gynécologie; un signe concret, pour le trio, que ces outils répondent à un vrai besoin.À travers leur projet, les trois étudiants visent avant tout à réduire le fossé entre le préclinique et l’externat, où les attentes en matière de prescription deviennent soudain très concrètes. «Notre but, ce n'est pas de former des experts, mais de commencer à exposer les étudiants aux choix qui les attendent quand ils vont prescrire un médicament», résume Iliya. Ils y voient aussi une manière d’uniformiser un apprentissage qui peut varier d’un milieu de stage à l’autre. Pour Iliya, le CDM Pharmaco incarne enfin quelque chose de plus large: «C’est une démonstration de l’interdisciplinarité.»

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