Protection cardio-rénale: conseils pour la prescription de thérapies à base d’incrétines

Au cours de l'année écoulée, des essais importants ont mis en évidence les avantages des agonistes des récepteurs du peptide 1 de type glucagon (GLP-1) et des agonistes du double récepteur GLP-1/polypeptide insulinotrope dépendant du glucose (GIP) chez les personnes souffrant d'insuffisance rénale chronique et/ou d'insuffisance cardiaque. Il existe aujourd'hui de bonnes raisons d'inclure ces traitements pour protéger le cœur et les reins, mais les lignes directrices existantes n'ont pas encore pris en compte les nouvelles découvertes. Des experts se sont réunis au Congrès canadien sur la santé cardiovasculaire en octobre pour discuter de ces thérapies.Les preuvesLes résultats de l'essai SELECT ont montré que les personnes atteintes de diabète et d'obésité présentaient moins d'événements cardiovasculaires lorsqu'elles étaient randomisées pour recevoir le sémaglutide plutôt qu'un placebo. Cependant, ce sont les résultats des essais STEP-HFpEF (insuffisance cardiaque avec fraction d'éjection préservée) et STEP-HFpEF-DM, publiés dans le New England Journal of Medicine (NEJM) en août 2023 et avril 2024, qui ont fermement établi le sémaglutide comme un médicament faisant partie de l’arsenal thérapeutique des cardiologues, observe la Dre Shelley Zieroth, cardiologue, directrice des cliniques d'insuffisance cardiaque et de transplantation à l'hôpital Saint-Boniface de Winnipeg, et professeure de médecine interne à l'Université du Manitoba.Les essais ont porté sur des patients souffrant d'obésité et d'insuffisance cardiaque symptomatique, avec ou sans diabète. Ceux qui prenaient 2,4 mg de sémaglutide par semaine présentaient moins de symptômes et une meilleure fonction physique que ceux qui prenaient un placebo. Les résultats de l'essai fournissent des preuves de l'existence d'un «autre niveau de traitement pour les patients souffrant d'insuffisance cardiaque aiguë et d'obésité, dont les options thérapeutiques sont souvent limitées», note le Dr Abhinav Sharma, cardiologue et professeur adjoint à l'Université McGill et à l'Institut de recherche du Centre universitaire de santé McGill, à Montréal.Les essais SELECT-HFpEF ont montré que les effets sur les résultats cardiovasculaires allaient au-delà de la perte de poids et du contrôle de la glycémie, avec des réductions des niveaux de protéine C-réactive (CRP) et de peptide natriurétique de type N-terminal pro-B (NT-proBNP). «Ce n'est pas seulement la perte de poids, mais aussi d'autres changements physiologiques qui sont à l'origine de ces résultats», commente le Dr Sharma.À lire aussi: Risques CV: les analogues du GLP-1 ont aussi des bénéfices pour les patients atteints de DT2 souffrant d’arthrite inflammatoireLes données de l'essai SUMMIT, publiées dans le NEJM en décembre 2024, sont désormais disponibles. Elles montrent que les patients souffrant d'HFpEF et d'obésité ont bénéficié de manière significative du double agoniste GLP-1/GIP tirzépatide par rapport au placebo. D'autres données sont à venir, notamment les résultats de l'étude SURPASS CVOT, une comparaison entre le tirzépatide et le dulaglutide chez les patients atteints de diabète de type 2 (DT2).En mai 2024, le NEJM a publié les résultats de l'essai FLOW, portant sur des patients atteints d'insuffisance rénale chronique et de DT2, randomisés entre 1 mg de sémaglutide (la dose la plus courante au moment du lancement de l'essai) et un placebo. Ces résultats s'ajoutent aux données d'autres essais (ex: LEADER, REWIND, SUSTAIN-6) montrant que les inhibiteurs du GLP-1 ont un effet protecteur sur la fonction rénale. Ces études portent sur des patients atteints de diabète et de maladie rénale, mais des essais contrôlés randomisés de moindre envergure montrent les avantages des thérapies à base d'incrétines chez les personnes atteintes d'insuffisance rénale chronique (IRC) avec ou sans diabète, souligne le Dr Navdeep Tangri, néphrologue et professeur de médecine au Max Rady College of Medicine de l'Université du Manitoba, dans une entrevue avec le Medical Post.«En tant qu'endocrinologue, j'adore utiliser les GLP-1 dans le cadre de l'IRC», explique la Dre Julie Lovshin, clinicienne-chercheuse au Sunnybrook Health Sciences Centre et professeure adjointe à la faculté de médecine Temerty de l'Université de Toronto. «Pourquoi? Parce que leurs effets sur l'A1C et la perte de poids n'ont rien à voir avec le débit de filtration glomérulaire (DFG), ce qui est très différent des inhibiteurs de la SGL2. Ils sont également sûrs dans le cadre de l'IRC et peuvent être utilisés quel que soit le DFG et quelle que soit la dialyse.»Conseils pour en discuter avec les patientsLorsqu'on introduit ces médicaments, il faut parler de la protection des organes plutôt que de la glycémie, suggère la Dre Alice Cheng, endocrinologue au St. Michael's Hospital et au Trillium Health Partners de Unity Health Toronto, et professeure associée à l'Université de Toronto. De cette façon, les patients ne seront pas enclins à arrêter leur traitement une fois que leur glycémie aura atteint le niveau cible. La Dre Cheng commence ses consultations par cette phrase: «J'aimerais vous proposer des médicaments pour protéger votre cerveau, votre cœur et vos reins.»Les agonistes des récepteurs du GLP-1 et les agonistes du double récepteur GLP-1/GIP doivent être titrés. Lorsqu'il s'agit de présenter ces médicaments, «commencez lentement et restez sur le long terme», ajoute le Dr Tangri. Concentrez-vous sur les bénéfices pour les organes cibles, même s'il faut six mois pour obtenir la bonne dose.À lire aussi: Un utilisateur de GLP-1 sur deux arrête son traitement au bout d’un anLe Dr Sharma précise qu'il laisse généralement les patients procéder à une autotitration, en les informant du régime souhaité et de la dose de base, mais en ne les autorisant à augmenter la dose que lorsque les effets secondaires sont maîtrisés.«L'essentiel est qu'au fur et à mesure que l'on augmente la dose, si les patients développent des effets secondaires, il est toujours possible de revenir à la dose précédente qu'ils toléraient, de la conserver un peu plus longtemps, puis de l'augmenter à nouveau», explique-t-il.L'important est de maintenir une dose de base. Je leur dis toujours: «N'arrêtez pas sans m’avertir», note la Dre Cheng.Les médecins doivent conseiller aux patients de faire de l'exercice pour contrer la perte musculaire.Selon le Dr Tangri, la décision des patients de prendre ou non ces médicaments dépend de leur coût. Au Canada, le financement public de ces médicaments est actuellement limité aux personnes souffrant de diabète ou d'obésité selon la Dre Cheng.Effets indésirablesLes effets indésirables les plus courants, observés chez environ 10 à 20% des patients, sont «ce trio charmant de nausées, de vomissements ou de diarrhées», précise la Dre Lovshin. La constipation est un autre effet indésirable. La médecin prévient les patients qu'ils risquent de ne pas se sentir bien.«Il s'agit essentiellement d'un effet transitoire qui disparaît», poursuit-elle. La clinicienne conseille aux patients d'arrêter de manger lorsqu'ils n'ont plus faim, de manger en plus petites quantité, d'éviter les aliments épicés et de s'hydrater.La Dre Lovshin prévient ses pairs qu'ils doivent s'attendre à ce que les patients aient une fréquence cardiaque élevée en raison de la présence d'un récepteur du GLP-1 dans le nœud sinusal du cœur. Cela pourrait être difficile pour les patients souffrant de fibrillation auriculaire.À lire aussi: Une alternative efficace au GLP-1 sans effets gastro-intestinaux indésirables? C’est possible, selon des chercheursCertains patients ne doivent pas prendre d'inhibiteurs du récepteur du GLP-1, notamment les femmes enceintes ou qui allaitent. Les médecins ne doivent pas non plus les proposer aux personnes souffrant de pancréatite chronique ou ayant des antécédents familiaux de cancer médullaire de la thyroïde.La question de savoir s'il faut ou non conserver les agonistes des récepteurs du GLP-1 avant une intervention chirurgicale est un sujet brûlant. Ils retardent la vidange gastrique et retiennent le contenu gastrique, ce qui entraîne un risque potentiel d'aspiration pulmonaire. Pour la Dre Cheng, il est préférable de laisser la décision à l'anesthésiste.Les patients atteints de rétinopathie périphérique doivent être traités par un ophtalmologiste avant de commencer un traitement par agonistes des récepteurs du GLP-1, a déclaré le Dr Lovshin.Autres médicamentsLes bénéfices des thérapies à base d'incrétines sont additifs. Les données actuelles (par exemple celles de STEP-HFpEF) suggèrent qu'il n'y a pas ou peu d'interactions négatives avec d'autres médicaments, y compris les SGL2i (inhibiteurs du cotransporteur sodium-glucose), souligne la Dre Zieroth.Cependant, il faut s'assurer d'arrêter les inhibiteurs de la DPP-4 («gliptines») avant d'ajouter un agoniste des récepteurs du GLP-1 ou un agoniste double GLP-1/GIP. Bien que le sémaglutide oral ait le même profil de sécurité que le sémaglutide injectable, il peut affecter l'absorption d'autres médicaments.Alors que les directives de Diabète Canada recommandent de commencer par la metformine pour les patients souffrant de diabète, de facteurs de risque cardiovasculaire et d'un taux d'A1C non contrôlé, les directives européennes et américaines diffèrent, explique le Dr Akshay Jain, endocrinologue au TLC Diabetes and Endocrinology à Surrey (C.-B.) et instructeur clinique à l'Université de la Colombie-Britannique. Ce dernier commencerait par un agoniste des récepteurs du GLP-1 parce qu'il «voudrait utiliser un médicament qui agit non seulement sur la glycémie, mais aussi sur d'autres systèmes organiques».Ces traitements ne provoquent pas d'hypoglycémie, mais si un patient prend de l'insuline ou des sécrétagogues de l'insuline et que son taux d'A1C est inférieur ou égal à 8%, il faut envisager de réduire la dose d'insuline ou de sécrétagogues de l'insuline, indique la Dre Cheng. Cette décision doit être prise en concertation avec le patient et le médecin responsable de la gestion du traitement du diabète.Si la perte de poids est trop importantePour certains patients, la perte de poids associée aux thérapies à base d'incrétines n'est pas nécessaire. «Si le patient dit qu'il a perdu trop de poids et qu'il ne se sent pas bien, c'est à ce moment-là qu'il faut agir», prévient la Dre Cheng. Envisagez de passer à une dose plus faible, qui reste cardioprotectrice, ou à un agoniste des récepteurs du GLP-1 dont les effets sur la perte de poids sont moindres.Traitement à viePour obtenir une protection des organes, les patients doivent continuer à suivre le traitement, souligne le Dr Jain. Pour ceux qui en ont besoin pour perdre du poids, il s'agit d'une autre conversation, ajoute la Dre Cheng. D’après sa consœur, la Dre Lovshin, les patients doivent savoir que «si vous arrêtez un GLP-1, ils reprendront du poids».D'autres données sur ces thérapies seront disponibles dans les mois à venir, ce qui influencera davantage la pratique. «C'est une période assez passionnante», conclut la clinicienne-chercheuse.

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